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Shirley Brill. Un nom à retenir. La clarinettiste israélienne fait sans contredit partie de la garde montante des solistes de cette discipline.
« D'où vient le son ? – Du corps, Monsieur, du corps !!!!! »
Au Concours de Genève de 2007, avec le culot de ses vingt-cinq ans, elle a tant enthousiasmé le jury qu'il n'a pu s'empêcher de lui octroyer le Premier Prix de Clarinette, un premier prix que le concours de Genève n'avait plus offert à aucun instrument depuis plusieurs années. C'est quelques instants avant le début d'un concert donné au Conservatoire de Genève qu'elle a bien voulu répondre à nos questions.
ResMusica : Votre biographie révèle que votre carrière de soliste débute avec l'Israël Philarmonic Orchestra, mais avant d'en arriver là qu'avez-vous fait ?
Shirley Brill : J'avais 6 ans quand j'ai commencé la musique avec le piano. Ma sœur ainée jouait du piano et je voulais lui ressembler. Par la suite, je trouvais le piano ennuyeux parce qu'on peut en jouer toute seule. J'aimais la compagnie. Faire de la musique dans mon coin ne m'intéressait pas. A cette époque, je ne jouais pas de musique de chambre. Comme j'avais besoin d'échanger, de faire des choses avec des gens, j'ai voulu étudier un autre instrument. Un instrument avec lequel je serais presque obligée de pratiquer avec d'autres gens. Je ne savais pas quel instrument choisir. En confiant ce problème au directeur de l'école de musique, il m'a dit qu'un très bon professeur de clarinette allait commencer à enseigner lors du prochain semestre. Le directeur m'a conseillé d'essayer. J'ai donc essayé et dès le début de notre collaboration, j'ai été conquise les enseignements de ce nouveau professeur. Il m'a fait aimer cet instrument. Tout en faisant mes études, nous sommes devenus de vrais amis. Mieux, comme mon troisième grand-père. Encore aujourd'hui nous avons de fréquents entretiens. Je lui raconte tout ce que je fais dans ma carrière.
RM : Reste un mystère : pourquoi ce musicien joue-t-il de la trompette, cet autre du violon et cet autre du basson? Et pour en faire une vie entière de musique avec ce même instrument ? Aimer un instrument est une chose, mais devenir un soliste de cet instrument est autre chose ?
SB : Dans le cas d'espèce, cela vient de mon professeur, Itzak Kazap. Il a été la personne qui m'a introduit en profondeur à la musique, qui m'a fait aimer cet instrument.
RM : Mais si vous aviez appris la harpe ?
SB : C'est vrai. Mais je dois remercier la direction de l'école qui m'a convaincue d'étudier la clarinette.
RM : Mais venant d'Israël, la musique kletzmer, la tradition….
SB : Ce n'est certainement pas la raison. Je n'ai exploré la musique kletzmer que récemment. Auparavant je n'appréciais pas particulièrement ce genre de musique. La musique de jazz est aussi une musique qui m'a intéressée depuis quelques années. J'en joue parfois dans mes bis. La musique de Gershwin par exemple. Mais tout est écrit, je ne me lance pas encore dans l'improvisation.
RM : Êtes-vous issue d'une famille de musiciens ?
SB : Par particulièrement, ma mère jouait du piano. Pour des raisons d'éducation bourgeoise. Je suis la première de la famille à avoir épousé la carrière de musicien professionnel.
RM : Depuis plusieurs années, le Concours de Genève n'avait pas décerné de premier prix. Mais vous en avez décroché un avec votre instrument. Le monde de la musique compte beaucoup d'excellents instrumentistes. Qu'est-ce qui fait de vous cette musicienne qui reçoit un premier prix ?
SB : Peut-être est-ce en raison de mon aptitude à me connecter avec le public. Quand je joue, je pense toujours à le faire comme dans un opéra, comme un chanteur. Sans jamais essayer de cacher quoi que ce soit de moi-même. Essayer de parler au public avec mon cœur, avec mes sentiments. Je pense que cela se ressent dans le public. Et puis, je cherche à toujours offrir un son de clarinette qui soit toujours dans la douceur. J'ai étudié en Allemagne et je joue avec un système français. Les musiciens qui jouent avec le système allemand de la clarinette, comme Sabine Meyer, prétendent que leur son est plus riche, plus clair, avec plus d'harmoniques de la note. Mais, j'arrive à démontrer que ce n'est pas une question d'instrument et que le système «français» donne des sons tout aussi beaux que le système «allemand».
RM : Alors d'où vient le son ?
SB : Du corps, Monsieur, du corps !!!!!
RM : Et sur quelle marque de clarinette jouez-vous ?
SB : Sur une clarinette de fabrication allemande. Une manufacture d'une dizaine d'artisans située à Bamberg en Allemagne. Des gens qui fabriquent les instruments pratiquement à la main.
RM : Vous avez deux clarinettes avec vous. Pourquoi ?
SB : J'ai deux clarinettes dont les bois sont différents. La «grenadine», une clarinette en ébène, une clarinette disons traditionnelle et l'autre est une clarinette en buis. Ma clarinette normale, celle que je joue le plus souvent est faite de bois composite beaucoup plus stable et moins délicat que le bois d'ébène massif utilisé au siècle dernier. Toutefois, je préfère le son de la clarinette en buis. Il est beaucoup plus soyeux, plus doux. Il convient très bien à la musique classique de la période romantique.
RM : La plupart de vos concerts sont des concerts de musique de chambre. Est-ce pour des raisons économiques ?
SB : Bien sûr j'aime jouer comme soliste avec des orchestres. Mon mari est pianiste, c'est la raison pour laquelle nous jouons fréquemment ensemble. Nous sommes mariés depuis deux ans et demi, mais nous jouons ensemble depuis douze ans.
RM : Quel est votre répertoire ?
SB : Bien sûr, les concertos de Mozart et Weber sont les plus souvent réclamés pour mes concerts, mais je joue aussi ceux de Spohr et de Stamitz. La semaine dernière j'ai joué le concerto de Jean Françaix à Brno, et la semaine prochaine je vais jouer celui de Gerald Finzi. En septembre dernier, j'ai enregistré à Bucarest une œuvre très intéressante issue de la Sonate pour flûte et violon de Serguej Prokoviev que le compositeur américain Kent Kennan a arrangé pour la clarinette et l'orchestre. Un travail magnifique. Du Prokoviev parfaitement assimilé. La musique de ce concerto a été perdue pendant longtemps. Nous l'avons finalement retrouvée dans une université. C'est mon professeur à Boston qui m'a fait découvrir cette œuvre et, pour moi, de jouer ce concerto est un rêve depuis longtemps. Le disque devrait sortir bientôt en septembre prochain.
RM : Qui va éditer cet enregistrement ?
SB : Pan classics.
RM : Ni EMI, ni Universal Music ne sont pas intéressés à vous signer ?
SB : Pas encore, mais je suis très heureuse avec l'ingénieur du son de Pan Classics avec lequel je m'entends très bien.
RM : Votre réputation n'est plus à faire, vous jouez sur toutes les scènes, vous voyagez beaucoup mais, personne ne semble vous avoir encore contactée pour jouer dans de grands festivals comme Verbier, Gstaad ou autres ?
SB : Pas encore. Je ne joue pour le moment que dans des festivals plus intimes. Des festivals de musique de chambre. En Suisse, je vais jouer au Festival des Haudères en Valais, puis au Festival de Davos, au Festival Hindemith de Zurich. Mais j'ai beaucoup d'engagements pour des concerts en Allemagne.
RM : Est-ce une question d'agents ou de connexions ?
SB : Plutôt une question de connections et de relations publiques.
Shirley Brill sur ResMusica :
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