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Paris. Opéra-Comique. 13-V-2011. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys, tragédie en musique en un prologue et cinq actes, sur un livret de Philippe Quinault. Jean-Marie Villégier, mise en scène ; Christophe Galland, assistant à la mise en scène ; Carlo Tommasi, décors ; Patrice Cauchetier, costumes ; Francine Lancelot et Béatrice Massin, chorégraphie ; Patrick Méeüs, lumières. Avec : Bernard Richter, Atys ; Stéphanie d’Oustrac, Cybèle ; Emmanuelle de Negri, Sangaride ; Marc Mauillon, Idas ; Sophie Daneman, Doris ; Jaël Azzaretti, Mélisse ; Paul Agnew, Le sommeil ; Cyril Auvity, Morphée ; Bernard Delettré, Le Temps & le fleuve Sangar ; Jean-Charles di Zazzo, Le maître des cérémonies & Alecton ; Élodie Fonnard, Flore & membre de la suite de Sangar ; Rachel Redmond, Iris ; Anna Reinhold, Melpomène ; Francisco Fernández-Rueda, Zéphir & un membre de la suite de Sangar ; Reinoud Van Mechelen, Zéphir ; Callum Thorpe, Phobétor ; Benjamin Alunni, Phantase ; Arnaud Richard, Un songe funeste. Les Fêtes galantes – compagnie chorégraphique, Les Arts Florissants, direction : William Christie
Lorsque, en 1987, William Christie et Jean-Marie Villégier révélèrent Atys, leur magnifique production fut immédiatement flanquée d'une aura fondatrice qui n'a jamais cessé. Et pourtant, l'opéra lulliste n'était pas alors une découverte : d'autres productions lullistes avaient déjà fleuri sur des scènes françaises (notamment, au Théâtre des Champs-Élysées, Armide, par Philippe Herreweghe et le tandem Caurier-Leiser).
Rappelons que cette aura, dont Atys est nimbé, masque encore un point essentiel : cette production accueillit deux trajectoires dissemblables. Si, alors, William Christie était l'un de ces «baroqueux» de la deuxième génération dont la démarche poursuivait une plausibilité historique musicale, Jean-Marie Villégier venait d'un tout autre univers : enseignant universitaire spécialisé dans le répertoire théâtral pré-classique et classique, il avait accompli, à la Comédie Française, de formidables débuts de metteur en scène, mais dans une esthétique moderne (le texte dramatique comme alpha et oméga du travail dramaturgique), issue de Jean Vilar et d'Antoine Vitez. Au milieu des années 1980, un seul metteur en scène, en France, s'attachait à la plausibilité historique théâtrale (avec prononciation historique restituée et gestique empruntée aux traités anciens) : Philippe Lenaël. Jean-Marie Villégier ne s'est jamais intéressé à une telle démarche.
Depuis lors, la recherche musicologique et la pratique scénique ont affiné le portrait du Surintendant – prodigieux producteur (au sens hollywodien du terme) de spectacle – et précisé l'identité et la carte du tendre de la tragédie lyrique selon Lully. Également, de nombreux chefs (notamment Christophe Rousset et Hugo Reyne) ont redécouvert presque tous les ouvrages lyriques de Lully, y compris, récemment, Bellérophon. Et si, actuellement, la part théâtrale d'Atys demeure au pinacle (au théâtre, ce parfait livret de Quinault frapperait les spectateurs d'aujourd'hui), la partition n'apparaît plus sans défaut (des récitatifs souvent monocordes ; un acte V qui s'épuise à ne pas finir), comparée à Bellérophon, à Roland ou à Armide.
Il y a trois ans, un mécène émit une inhabituelle demande : que le tandem Christie-Villégier reprenne l'originelle production d'Atys. Dans le domaine théâtral où témoigner du présent est une règle primordiale, une telle démarche est impensable, obscène (au sens étymologique du terme). Et dans le domaine lyrique, les quelques exceptions (Le nozze di Figaro «de» Giorgio Strehler) ont montré que la nostalgie n'est pas toujours bonne conseillère. Et qu'en est-il de cette reprise d'Atys ? À notre regret, elle déçoit.
La part scénique demeure aussi pertinente, même si, depuis lors (budgets étiques obligent), les autres productions de Jean-Marie Villégier et de sa compagnie, L'Illustre Théâtre, ont frappé par leur économie scénographique et par leur ravageuse aptitude à faire surgir, de Corneille (L'Illusion comique ou Sophonisbe) ou de Marivaux (L'île des esclaves et La colonie), de Molière (Tartuffe et, il y a peu, Dom Juan) ou de Jules Romains (Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche), des situations et des répliques si nécessaires et si urgentes qu'elles semblent avoir été inventées dans l'instant.
À l'opposé, William Christie a frappé par son inertie : tempi alentis, réinstrumentation symphonisante de l'ouvrage et rhétorique plus démonstrative que déclamatoire. Comme si Atys avait quitté la cour itinérante du fringant roi Soleil et s'était enfermé dans le rigide Versailles que régla Madame de Maintenon (la géniale scène du sommeil d'Atys en a été le fidèle miroir). Comme si les brillants et mobiles rituels de mort de 1987 avaient laissé la place à une auto-célébratrice pompe funèbre, ainsi que le reflète un opulent continuo (deux clavecins, quatre luths ou théorbes et trois basses d'archet) davantage employé pour sa masse que pour ses couleurs et ses potentialités énergétiques. Et pourtant, l'orchestre, que pilote Florence Malgoire, en premier violon, est de fort belle tenue.
La distribution vocale est assez inégale. Est-ce le hasard si les plus remarqués des chanteurs sont ceux qui, sans modifier leur émission vocale, parlent le Quinault comme le feraient des comédiens et ont répondu aux demandes de Jean-Marie Villégier : Stéphanie d'Oustrac (majestueuse Cybèle) mais aussi Nicolas Rivenq et Marc Mauillon qui donnent une épaisseur à des rôles assez subalternes. À Sangaride, Emmanuelle de Negri a donné un caractère (vocal et scénique) ancillaire qui, dans sa confrontation avec Cybèle, en a amoindri l'envergure. Enfin, dans le rôle-titre, Bernard Richter a été souvent tiraillé entre la dramaturgie de cette production et sa propre nature interprétative ; au cinquième acte, la part héroïque de son timbre et sa familiarité avec l'expression pathétique ont davantage trouvé à s'exprimer.
Pour le rédacteur de cette chronique, auquel la nostalgie n'est pas un pain quotidien et qui assista à trois représentations de cette production lors de sa première vie, ce revival, dont le travail scénique demeure urgent, suscite un «à quoi bon ?». Peut-être une jeune génération y découvrira-t-elle une source d'émotion et de réflexion, à moins que, désireuse d'un Atys plus alerte et à fleur de sensibilité, elle se reporte à la récente version phonographique gravée par Hugo Reyne (CD Musiques à la Chabotterie).
Crédit photographique : Bernard Richter (Atys) & Emmanuelle de Negri (Sangaride) © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique
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Paris. Opéra-Comique. 13-V-2011. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys, tragédie en musique en un prologue et cinq actes, sur un livret de Philippe Quinault. Jean-Marie Villégier, mise en scène ; Christophe Galland, assistant à la mise en scène ; Carlo Tommasi, décors ; Patrice Cauchetier, costumes ; Francine Lancelot et Béatrice Massin, chorégraphie ; Patrick Méeüs, lumières. Avec : Bernard Richter, Atys ; Stéphanie d’Oustrac, Cybèle ; Emmanuelle de Negri, Sangaride ; Marc Mauillon, Idas ; Sophie Daneman, Doris ; Jaël Azzaretti, Mélisse ; Paul Agnew, Le sommeil ; Cyril Auvity, Morphée ; Bernard Delettré, Le Temps & le fleuve Sangar ; Jean-Charles di Zazzo, Le maître des cérémonies & Alecton ; Élodie Fonnard, Flore & membre de la suite de Sangar ; Rachel Redmond, Iris ; Anna Reinhold, Melpomène ; Francisco Fernández-Rueda, Zéphir & un membre de la suite de Sangar ; Reinoud Van Mechelen, Zéphir ; Callum Thorpe, Phobétor ; Benjamin Alunni, Phantase ; Arnaud Richard, Un songe funeste. Les Fêtes galantes – compagnie chorégraphique, Les Arts Florissants, direction : William Christie