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L’Affaire Makropoulos à Strasbourg, une vie d’artiste

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 02-IV-2011. Leoš Janáček (1854-1928) : Věc Makropulos, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Robert Carsen. Décors : Radu Boruzescu. Costumes : Miruna Boruzescu. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Avec : Cheryl Barker, Emilia Marty (Elina Makropoulos) ; Charles Workman, Albert Gregor ; Martin Bárta, Jaroslav Prus ; Enric Martinez-Castignani, Dr Kolenatý ; Guy de Mey, Vitek ; Angélique Noldus, Krista ; Enrico Casari, Janek ; Andreas Jäggi, Hauk-Šendorf ; Peter Longauer, le Machiniste ; Nadia Bieber, la Femme de ménage / la Femme de chambre. Chœurs de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Michel Capperon), Orchestre symphonique de Mulhouse, direction : Friedemann Layer

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«Il m'arrive de penser que moi aussi j'ai trois cents ans à cause de tous les rôles que j'ai abordés, comme autant de vies différentes à travers le temps».

Dans un entretien accordé à l'Avant-scène Opéra, Catherine Malfitano résumait ainsi ses affinités avec le rôle d'Emilia Marty, née Elina Makropoulos en 1575, cantatrice adulée mais vouée à une existence de plus de trois siècles par l'élixir de jouvence que son père lui a fait absorber. Un don qui s'est rapidement révélé une malédiction !

Tel est l'angle d'attaque qu'a choisi pour aborder cette histoire complexe, à mi-chemin entre le fantastique et la réflexion philosophique. Dès le prélude, la diva endosse les costumes des rôles qui ont fait sa gloire (Tosca, Traviata, la Maréchale…), pour aller se faire applaudir à la rampe située en fond de scène. Le second acte se déroule dans le décor de la Cité Interdite, où Emilia vient d'interpréter Turandot dont elle porte encore la tenue caractéristique. Et après s'être débarrassé de sa perruque, elle se résoudra à accepter la mort qu'elle désire, en se dirigeant une dernière fois vers les sunlights aveuglants qui l'ont tant de fois appelée. Soutenu par les décors réalistes de Radu Boruzescu et les costumes variés et élégants de Miruna Boruzescu, tient de bout en bout son postulat, révèle ainsi de manière éclairante, mais sans en rien escamoter, l'intrigue touffue du drame et signe une mise en scène pleinement lisible et cohérente. Mieux, les réminiscences qu'on décèle de productions antérieures offrent une sorte de quintessence de son art ; le plateau scénique inversé rappelle Les Contes d'Hoffmann de Bastille, le fouillis de la loge du III évoque Der Rosenkavalier de Salzbourg, le monologue final avec la cantatrice seule en scène, s'éloignant vers le fond au tomber de rideau, évoque irrésistiblement Capriccio au Palais Garnier (d'ailleurs Hugues Gall, sous le mandat duquel cette production fut créée, était présent ce soir).

Toujours magicien du théâtre, ménage encore des moments d'une suffocante beauté, d'une intelligence rare ou d'une prenante émotion, comme cette scène finale justement, dans son dénuement même, où Emila Marty confesse sa lassitude de vivre et d'avoir tout éprouvé en s'adressant au public de la salle dont les lumières ont été rallumées, comme la transformation à vue au I du plateau nu en bibliothèque du notaire Kolenatý ou comme la liaison pertinente entre premier et deuxième actes par l'apparition dans les loges d'avant-scène des admirateurs d'Emilia Marty lui jetant force bouquets. Enfin, la direction d'acteurs parachève la réussite en faisant de chaque protagoniste un caractère parfaitement dessiné et en interaction constante avec les autres.

empoigne avec énergie le difficile rôle d'Emilia Marty et porte le spectacle. Pas toujours à l'aise dans le registre grave un peu étouffé en début de soirée, quelquefois acide dans l'aigu, elle est jusqu'au bout des ongles la diva suffisante, hautaine et méprisante qu'impose le livret aux I et II et culmine comme il se doit dans son monologue final, où tombe le masque, se révèlent les fêlures et déborde l'émotion. Une incarnation vraiment marquante et acclamée par le public. En Albert Gregor, séduit par la suavité du timbre et sa puissance respectable, quoique de menus accidents dans l'extrême aigu aient démontré qu'il touchait là aux limites de ses moyens. impressionne en Jaroslav Prus par l'autorité de l'accent, la présence scénique et l'homogénéité d'une voix saine et jamais mise en difficulté. Les rôles moins exposés sont tous aussi impeccablement tenus et investis, du Vitek soigneusement tracé et toujours bien chantant de au Hauk-Šendorf haut en couleurs de Peter Longauer, du rayon de lumière qu'apporte à la fragile Krista au tendre Janek d'Enrico Casari, sans oublier le cauteleux Dr Kolenatý d'Enric Martinez-Castignani.

Après voir dit tout le bien qu'on pensait de lors de Jenufa qui ouvrait l'an dernier le cycle Janáček de l'Opéra du Rhin, on doit reconnaître une certaine déception dans cette Affaire Makropoulos. La précision rythmique, la mise en place, la cohérence fosse-plateau sont toujours irréprochables mais cette direction manque cruellement d'épanchement, de lyrisme, pénalisée sans doute par un trop grand souci d'objectivité et par une dynamique insuffisamment variée et trop uniformément forte, qui oblige souvent les chanteurs à hurler. De plus, l'aridité des cordes et l'agressivité excessive des bois tendraient à conclure que l' est moins à son aise dans cette partition très difficile que l'Orchestre philharmonique de Strasbourg qui œuvrait pour Jenufa.

Après cette Jenufa anthologique, après une Affaire Makropoulos aussi pleinement réussie scéniquement que vocalement, le voyage dans l'univers lyrique de Janáček se poursuivra l'an prochain avec Katja Kabanova venue du Vlaamse Opera, toujours dans la mise en scène de Robert Carsen. A vos agendas…

Crédit photographique : (Emilia Marty) © Alain Kaiser

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