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Lausanne. Théâtre de Beaulieu. 25-III-2011. Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré. Mise en scène : Arnaud Bernard. Décors et costumes : Bruno Schwengl. Lumières : Patrick Méeüs. Chorégraphie : Pavel Jancik et Jan Fantys. Avec : Teodor Ilincăi, Roméo ; Maria Alejandres, Juliette ; Stefano Palatchi, Frère Laurent ; Antoinette Dennefeld, Stéphano ; Marc Barrard, Capulet ; Marc Mazuir, Mercutio ; Christophe Berry, Tybalt ; Isabelle Henriquez, Gertrude ; Benoît Capt, Le Duc ; Jérémie Brocard, Pâris ; Sacha Michon, Grégorio. Chœur de l’Opéra de Lausanne (chef de chœur : Véronique Carrot). Orchestre de Chambre de Lausanne, direction : Miquel Ortega
Qu'on nous permette d'en faire le pari, dans deux ou trois saisons, ce sont les salles du monde entier qui ne jureront que par lui. A 27 ans seulement, Teodor Ilincăi a offert, avec la force de l'évidence, au public lausannois le plus beau Roméo entendu depuis Roberto Alagna.
Tout prédestinait le jeune Roumain à incarner le romantique Montaigu : une voix indubitablement belle, puissante derrière son apparente légèreté, un style pur faisant honneur à «l'école française» et cette présence scénique, déjà admirée ailleurs, exhalant juvénilité, sincérité et une fougue qui sied idéalement à Roméo.
Alors oui, tout n'est pas parfait -heureusement au demeurant- il faudra perfectionner la technique, libérer l'émission notamment dans le registre aigu, améliorer la prononciation française mais depuis quand n'a t on pas autant vibré à l'écoute de «Ah lève-toi soleil», délivré ici avec un art de la demi-teinte envoutant et un legato qui n'a vengé nos oreilles de bien des outrages ? Au fil de la représentation, le ténor a semblé encore gagné en aisance et en maîtrise avec un duo du quatrième acte («Nuit d'hyménée, o douce nuit d'amour») absolument superbe. On rêve d'entendre, dans quelques années, Ilincai dans La Damnation ou mieux encore Werther… Certain Jonas Kaufmann a d'ores et déjà du souci à se faire !!
Encore auréolée des premiers prix remportés dans différents concours internationaux, la mexicaine Maria Alejandres est visiblement à l'orée d'une grande carrière. L'instrument est indiscutablement flatteur, présentant juste ce qu'il faut de vibrato pour lui donner chair et couleur et l'interprète ne fait qu'une bouchée des écueils du célèbre «Ah je veux vivre», couronné d'un aigu particulièrement radieux. De quoi faire oublier deux ou trois effets de mauvais goût, une diction française parfois peu intelligible et une émission manquant de naturel avec de curieuses distorsions vocales dans les voyelles. Elle forme cependant avec Ilincai un couple idéalement assorti, ingénu et spontané à souhait, même si le jeu du ténor est plus naturel que celui de sa compagne.
Dans la belle distribution réunie par l'Opéra de Lausanne, on retrouve avec plaisir Marc Barrard et Christophe Berry, toujours impeccables, surtout le second sous-distribué en Tybalt et une nouvelle fois modèle de beau chant. Le Stéphano d'Antoinette Dennefeld est tout simplement formidable pour sa courte mais marquante apparition au troisième acte et Stefano Palatchi incarne un Frère Laurent suffisamment noble de cœur et d'âme pour faire oublier que le rôle ne s'inscrit pas dans ses meilleurs notes. Seule la Gertrude d'Isabelle Henriquez, assez ingrate de timbre et visiblement fatiguée, freine notre enthousiasme.
Si le Philippe Beaussant de La malscène (Fayard) organisait un symposium sur l'état de la mise en scène d'opéra en 2011 et invitait quelques critiques à disserter du travail des nouveaux chouchous du circuit, gageons qu'ils révéleraient l'existence d'une nouvelle donne. Les «détourneurs» sont connus depuis longtemps et fustigés ou admirés souvent pour les mêmes raisons. Il me semble en revanche que les «contourneurs» qui ont longtemps bénéficié de la bienveillance de la presse et du public soient aujourd'hui tombés en disgrâce. Nous en tenons pour preuve le cuisant échec du Giulio Cesare de Laurent Pelly à Paris. C'est tout le mérite du travail d'Arnaud Bernard pour ce Roméo et Juliette lausannois, de ne rien «détourner» ni «contourner». L'ex-collaborateur de Nicolas Joël prend Roméo et Juliette pour ce qu'il est, le plus bel opéra de Gounod sans doute mais aussi un ersatz du brûlant drame shakespearien. Pas de quoi réussir la mise en scène du siècle !
Avec l'humilité des frères Cœn lorsqu'ils font avec True Grit le remake d'un vieux western avec John Wayne, Arnaud Bernard ne cherche pas à épater le spectateur avec esbroufe mais surtout à intégrer dans un langage contemporain – en rien avant-gardiste – tout ce que l'histoire des amoureux de Vérone recèle d'archaïque, de mythique mais aussi d'historique et d'artistique, entre Moyen-âge finissant et Renaissance. Ainsi, assiste t-on à un spectacle que d'aucuns trouveront conventionnel mais qui nous aura semblé par son intégrité même, un exemple, tout en dégradé de blanc, de rouge et noir, cette dernière couleur particulièrement saillante dans le dernier tableau où un immense linceul vient recouvrir le blanc décor. La tonalité générale est celle de l'épure : seules quatre colonnes Renaissance surmontées de chapiteaux corinthiens évoquent Vérone, et la présence discrète du balcon efface l'agacement que nous avions ressenti une semaine avant en découvrant l'horrible balcon néo-gothique chantourné qui a été ajouté au XXe siècle dans le pseudo «Palais de Juliette». Le travail sur les éclairages est d'une intelligence confondante, avec des effets de bleu très poétiques, et la présence d'une lumière que l'on pourrait qualifier de céleste. Admirons aussi la manière dont Arnaud Bernard sait utiliser l'immense plateau du Théâtre de Beaulieu pour composer des tableaux -scènes de batailles, cortège nuptial- qui jamais n'étouffent ou n'indisposent. Ce spectacle qui gagne en force au fil des scènes se conclut par un dernier acte visuellement superbe -tombeau au cœur d'une pyramide de lumière, Roméo déchirant la nuit avec sa torche- sans doute l'une des plus belles choses vues sur une scène d'opéra depuis quelques temps. Tout juste lui reprochera t-on une faute de goût : les interminables et bruyantes évolutions de bretteurs zélés avant que la musique ne commence.
A la tête d'un Orchestre de chambre de Lausanne particulièrement concerné, Miquel Ortega dirige avec un indéniable lyrisme une partition dont les accents passionnés et la sève mélodique ne font pas oublier les faiblesses d'inspiration, notamment dans un dernier acte particulièrement languissant pour le public. En bon chef d'opéra, il aura su surtout se mettre au diapason de ses chanteurs et d'un chœur particulièrement performant et très bien intégré au spectacle, ce qui n'est pas toujours le cas.
Une production dramatiquement cohérente, musicalement satisfaisante qui a le mérite de révéler une nouvelle étoile qui brillera bientôt au firmament de la galaxie lyrique.
Crédit photographique : Maria Alejandres (Juliette) & Teodor Ilincăi (Roméo) © Marc Vanapppelghem
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Lausanne. Théâtre de Beaulieu. 25-III-2011. Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré. Mise en scène : Arnaud Bernard. Décors et costumes : Bruno Schwengl. Lumières : Patrick Méeüs. Chorégraphie : Pavel Jancik et Jan Fantys. Avec : Teodor Ilincăi, Roméo ; Maria Alejandres, Juliette ; Stefano Palatchi, Frère Laurent ; Antoinette Dennefeld, Stéphano ; Marc Barrard, Capulet ; Marc Mazuir, Mercutio ; Christophe Berry, Tybalt ; Isabelle Henriquez, Gertrude ; Benoît Capt, Le Duc ; Jérémie Brocard, Pâris ; Sacha Michon, Grégorio. Chœur de l’Opéra de Lausanne (chef de chœur : Véronique Carrot). Orchestre de Chambre de Lausanne, direction : Miquel Ortega