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Paris. Salle Pleyel. 30, 31-I-2011. John Adams (né en 1947) : Slonimsky’s Earbox. Leonard Bernstein (1918-1991) : Symphonie n°1 « Jeremiah ». Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°7 en la majeur op. 92. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°9. Kelley O’Connor, mezzo-soprano. Los Angeles Philharmonic Orchestra, direction  : Gustavo Dudamel

A peine trentenaire, puisque né en 1981, jouit auprès des publics du monde entier d'une évidente cote d'amour dont ces deux concerts données les deux derniers jours de janvier dans une salle Pleyel archi comble en constituent une preuve éclatante. Nous proposant le premier soir un programme à l'américaine mariant Adams, Bernstein et Beethoven, le chef apporta sa touche à l'année mahlérienne en réservant son deuxième concert à la dernière symphonie achevée du compositeur viennois natif de Bohème. De quoi se faire une bonne idée des qualités de l'incontestable étoile montante de la direction d'orchestre, au charisme tel qu'il est peut-être un des seuls musiciens «classiques» actuels à pouvoir espérer une notoriété dépassant les limites du milieu des mélomanes, comme Bernstein ou Karajan jadis.

C'est donc à la tête du Philharmonique de Los Angeles, désormais sien depuis qu'il a succédé à Esa-Pekka Salonen fin 2009, que se présente à nous et on ne peut qu'être frappé par le changement de style opéré par le sud-américain. Celui-ci apporte sans doute ce qui a, un peu ou beaucoup selon les sensibilités de chacun, manqué à l'ainée, ajoutant chair et sang à ses interprétations, cherchant sans pudeur l'émotion directe, contrastant avec le style plus réservé, posé, «intellectualisé» du finlandais. On ne s'étonnera pas du succès immédiat de ce style incontestablement plus charmeur auprès du public américain, évoquant d'ailleurs le souvenir de , sans qu'on puisse parler de mimétisme, comme le démontra l'interprétation de la Symphonie «Jeremiah» donnée ce soir. Mais c'est un autre compositeur américain qui ouvrit le bal avec Slonimsky's Earbox de , œuvre démonstrative permettant en un peu plus de dix minutes de faire exploser les qualités d'un grand orchestre, et de ce point de vue le LA Philharmonic nous apparut d'emblée superlatif. Etant placé face au chef, on put se rendre compte avec quelle gourmandise jubilatoire il dirigeait son orchestre, et avec quelle précision celui-ci lui répondait, montrant qu'incontestablement ce couple chef-orchestre fonctionne à merveille.

C'est avec la même communicative joie de vivre que Dudamel attaqua la première symphonie de , dont la référence au Livre des lamentations avec trois mouvements nommés Prophétie, Profanation, Lamentation, nous sembla du coup quelque peu effacée, comme si Dudamel avait réinventé l'œuvre sans trop tenir compte de son arrière plan programmatique. Et vue comme ça c'était impressionnant, il était difficile de résister à l'élan imprimé à cette musique comme à la puissance émotionnelle qui s'en dégageait. L'orchestre se montra époustouflant, brillant, puissant, tout ce qu'il fallait pour emporter le morceau, alors même que la dimension tragique constitutive de l'œuvre avait disparu. On peut même dire que Dudamel se plaça à 180° de ce que faisait le compositeur dans ses propres interprétations, l'exemple le plus extrême en fut le second mouvement Profanation, ce soir quasiment orgiaque et jubilatoire alors que «ce scherzo cherche à donner une idée générale de la destruction et du chaos que la corruption païenne engendra parmi les prêtres et le peuple», pour citer Bernstein lui-même. Le dernier mouvement Lamentation (Lento) comporte une partie en hébreu pour mezzo-soprano, chantée ce soir sans affectation par l'américaine Kelley O'Connor, rapprochant enfin l'œuvre de son ton originel.

La Symphonie n°7 de Beethoven qui suivit montra que Dudamel est décidément un esprit libre car il ne se laissa enfermer dans aucune chapelle, y compris celles qui ont en ce moment le vent en poupe. Point de recherche de «léger, vif et transparent» pour ne citer que l'exemple récent de Bernard Haitink, les reprises des premier et dernier mouvements zappés comme au bon vieux temps, la monotonie métronomique au placard, la liberté de rubato à l'honneur. Et même avec seulement cinquante cordes, le chef utilisa sa puissance de feu au maximum. A l'évidence le bonheur et le plaisir sans arrière pensées de jouer cette musique prima sur toute autre considération, ce qui nous donna au final une version de concert assez épatante. Il est probable que si on cherchait la petite bête, on finirait surement pas la trouver, (juste un exemple, citons des premiers accords trop neutres), mais si on laisse un temps soit peu de côté son esprit pinailleur, on pouvait se laisser emporter par la progression du premier mouvement, par la rondeur et la douceur de l'Allegretto, par la dynamique du Presto et par la formidable énergie de l'Allegro con brio final, commencé peut-être un poil trop vite pour l'articulation des cordes mais qui sut progresser jusqu'à la fin, déchainant l'enthousiasme du public dont la standing ovation quasi instantanée des trois quarts des spectateurs d'orchestre était impressionnante et fut récompensée par deux superbes bis, une inévitablement joyeuse Danse hongroise de Brahms, mais surtout une magnifique Valse, second mouvement du Divertimento de Bernstein jouée par les seules cordes de l'orchestre.

Après ce premier concert euphorisant (même s'il l'était parfois à contre sens), on se demandait comment un jeune homme aussi manifestement heureux pouvait aborder la Symphonie n°9 de Mahler, tant celle-ci nous parait peu «euphorisante». Et à l'évidence, il faut admettre que Dudamel ne s'est pas montré aussi convainquant, ne réussissant pas toujours à susciter simplement l'émotion comme il l'avait fait la veille, semblant encore se chercher avec des choix de tempo chaotiques, échouant finalement à donner une unité fédératrice à cette longue œuvre. Ce qui renforça notre idée que cette symphonie est une œuvre de maturité et qu'il faut laisser à Dudamel le temps de construire sa vision de cette symphonie. Car ces deux concerts ont quand même montré que nous avons avec ce chef une incontestable «pointure» avec qui il faudra compter, d'autant qu'il semble donner ce surplus d'âme à l'européenne (tendance latine) à cet orchestre californien, déjà doté de toutes les qualités à l'américaine, ce qui risque de le hisser au dessus du lot des grands orchestres d'outre atlantique.

Crédit photographique : © DR

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