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Paris, Cité de la musique. 14-I-2011. Franz Liszt (1811-1886) : Funérailles (Extrait des Harmonies poétiques et religieuses) S. 173 ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Le Merle de roche (Extrait du Catalogue d’oiseaux) ; Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) : Maldoror ; Jean Barraqué (1928-1973) : Sonate pour piano. Jean-Frédéric Neuburger, piano
Dans le cadre de la série de concerts organisée par Echo (European Concert Hall Organisation), la Cité de la musique recevait à l'Amphithéâtre le jeune pianiste – et néanmoins professeur au Conservatoire National Supérieur de Paris – Jean-Frédéric Neuburger (tout juste 24 ans) qui a été nommé «Rising Star» pour la saison 2010-2011. Le programme finement conçu – de la tradition lisztienne au «pianisme» sériel – était rien moins qu'exigeant, affichant en deuxième partie la plus que rare Sonate de Jean Barraqué, une œuvre écrite à l'âge de 24 ans par ce convaincu acharné du sérialisme et que fort peu d'interprètes se risquent à donner en concert.
Assis très près du clavier d'un des deux pianos Yamaha (certainement pas le meilleur!) occupant le plateau, Neuburger débutait avec Funérailles, la septième pièce des Harmonies poétiques et religieuses que Liszt date d'octobre 1849 soit le mois même de la mort de Chopin. Le pianiste très concentré lui confère une aura très sombre, recherchant davantage l'énergie du son que sa rondeur. La conduite dramatique y est remarquable, libérant au sommet de la trajectoire une cascade d'arpèges à la main gauche d'une puissance phénoménale.
Du Catalogue d'oiseaux d'Olivier Messiaen, Jean-Frédéric Neuburger sélectionne Le Merle de roche, l'une des pièces les plus développées et les plus singulières de toutes où les silences y sont très impressionnants. Le décor est plutôt sombre voire terrifiant selon la description qu'en fait Messiaen lui-même : «chaos de dolomies, rochers fantastiques [… ] le grand duc ulule et sa voix résonne dans les rochers apportant l'ombre et l'épouvante». Neuburger souligne ce caractère d'étrangeté et cette aura de mystère en privilégiant la profondeur de la résonance et la variété des attaques et des dynamiques sans concéder beaucoup de lumière à ce décor de pierre où les chants d'oiseaux alternent avec le jeu des permutations rythmiques chères à Messiaen.
Compositeur en même temps qu'interprète, Jean-Frédéric Neuburger jouait sa propre musique, sur l'autre piano légèrement «préparé». Maldoror qu'il écrit en 2010 est «une fresque fantastique et virtuose» nous dit-il. Musique d'humeurs aux climats très contrastés – de l'épure sonore à l'éblouissement virtuose – elle emprunte d'évidence à l'écriture de Xénakis dans ses fulgurances énergétiques et l'occupation systématique de l'espace. S'il est parfois difficile d'en suivre le cheminement de pensée, l'éclatement de l'écriture et la discontinuité du geste rejoignent assurément l'univers poétique subversif et extrême de Lautréamont.
La Sonate pour piano de Barraqué – sœur jumelle de la Deuxième Sonate de Boulez – figure comme opus 1 dans le catalogue plus que restreint du compositeur ; elle est née dans le contexte sériel des années 50 – il était à l'époque élève de Messiaen – dont elle exploite radicalement toutes les données techniques et esthétiques durant 40 minutes d'une musique athématique, extrêmement pointilliste où tous les paramètres (hauteurs, intensités, durées, attaques) sont soumis à l'exigence sérielle : à la limite du pays fertile pour paraphraser Boulez même si Barraqué précise que l'écriture alterne des sections de «style libre et de style rigoureux». Avec la partition cette fois et une souplesse féline dans le jeu qui bannit toute agressivité, Neuberger nous immerge dans ce flot incessant de lignes enchevêtrées. L'autorité souveraine avec laquelle il mène le discours est confondante ; sa clarté d'articulation, le contrôle permanent des sonorités et une mobilité du geste qui reste très élégant sont autant d'atouts pour mener l'auditeur au terme de cette trajectoire improbable.
Jean-Frédéric Neuburger n'en restait pas là, gratifiant l'auditeur d'une des Images de Debussy (Et la lune descend sur le temple qui fut) à qui Barraqué vouait toute son admiration : un instant privilégié qui nous révèle in fine une sensualité du son et une poésie de l'écoute chez cet interprète qui, plus que prometteur, s'impose ici comme une référence.
Crédit photographique : Jean-Frédéric Neuburger © DR
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Paris, Cité de la musique. 14-I-2011. Franz Liszt (1811-1886) : Funérailles (Extrait des Harmonies poétiques et religieuses) S. 173 ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Le Merle de roche (Extrait du Catalogue d’oiseaux) ; Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) : Maldoror ; Jean Barraqué (1928-1973) : Sonate pour piano. Jean-Frédéric Neuburger, piano