Éditos

Culture pour chacun, le retour de Jdanov

 

Edito

«Culture pour chacun, programme d’actions et perspectives». ENFIN trois ans et demi après son élection la politique culturelle du mandat de Nicolas Sarkozy est théorisée – après deux ministres, un Conseil à la Création Artistique et un Haut Conseil à l’Education artistique.

La «culture pour chacun» n’est pas nouvelle, c’est une conception de Malraux : «Il y a deux façons de concevoir la culture : la soviétique et la démocratique. Disons plutôt : la culture pour tous et la culture pour chacun» (discours à l’Assemblée nationale du 27 octobre 1966). Pied de nez officiel au TNP de Jean Vilar et à tous les artistes encartés au PCF. L’intendance a suivi la politique de Malraux, les exemples les plus probants étant les MJC, la valorisation du patrimoine et pour la musique le «Plan Landowski». Plutôt que d’apporter la culture vers le peuple, il fallait faire des lieux symboliques pour que le peuple puisse s’y repaître de culture. Aujourd’hui, l’intendance ne suit plus.

Les politiques culturelles ambitieuses, Malraux excepté, sont plutôt de gauche. Brisons-les, elles sont néfastes. Haro donc sur, nous citons le programme, «la Culture elle-même [qui] conduit sous-couvert d’exigence et d’excellence [à] l’intimidation sociale». Pas un mot sur la paupérisation galopante d’un pays censément riche, sur le creusement de plus en plus flagrant des inégalités sociales (et donc culturelles) ni du démantèlement du premier vecteur institutionnel de la culture, l’Education nationale. La suite est encore plus drôle : «Cette intimidation tient les groupes sociaux exilés d’une culture officielle trop éloignée de leurs modes d’existence. De plus, il dénie à ces groupes sociaux le droit de considérer leur propre culture comme légitime et digne de reconnaissance par le ministère de la Culture et de la Communication»

Laissons le rap à la banlieue – et inversement, confinons l’opéra aux CSP+, fermons l’Orchestre de Bretagne pour créer autant de bagad [ndlr : orchestre breton formé de cornemuses, bombardes et percussions], fifre, galoubet et tambourin obligatoire dans les conservatoires de Provence, etc. Voila une véritable politique culturelle, des besoins de chacun. La culture pour tous, Mozart pour tous, Le Marteau sans maître pour tous, la musique arabo-andalouse pour tous, le rock underground pour tous, c’est has been. Adressons-nous à chacun, pas au peuple en sa globalité, qui n’est – comme chacun sait – qu’une masse ignorante.

La culture pour tous, une idée ringarde de soixante-huitards mal dégrossis ? Pourtant, les institutions musicales britanniques, pays hautement réputé pour son libéralisme, ont depuis des lustres développé des projets sociétaux vers les publics défavorisés (30% de leur budget est consacré à cette ambition). Il n’y a qu’à citer le LSO Discovery de l’Orchestre symphonique de Londres qui est un modèle mondial de démocratisation de la musique. Avec des ateliers instrumentaux, des concerts pédagogiques, des forums de jeunes compositeurs, des spectacles chorégraphiques de Royston Maldoom qui associent des centaines d’adolescents à l’orchestre.

A faire de la culture «classique» une tour d’ivoire on peut s’interroger si ce n’est pas l’objectif de la couper de la société pour mieux l’assassiner prochainement sur l’autel de la rigueur.

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