Voir pour la centième fois «Les Iris» de Van Gogh ou «Les Nymphéas» de Monet, est un plaisir renouvelé comme celui de revisiter les enregistrements de Cecilia Bartoli, fussent-ils vieux de quinze ans !
Malgré l'attraction irrésistible qu'opère chaque nouvel album de la diva romaine, on se dit néanmoins que cette compilation va nous projeter dans du réchauffé, du déjà vu, du déjà entendu. Du déjà entendu ? Oui. Mais comment ne pas admettre que l'émotion de réentendre ces airs conserve toute sa candeur, son authenticité ? Comme la diva l'affirme elle-même, ces enregistrements exposent le travail accompli pendant ces dernières années de son existence artistique. Indéniablement, Cecilia Bartoli a marqué de son empreinte le chant baroque. Depuis son renversant album «Opera prohibita», on ne chante plus Händel sans cette référence. Et le compositeur Caldara a ainsi pu repasser la porte de la renommée, une antichambre où tant de compositeurs seraient restés emprisonnés sans son admirable travail de redécouverte.
Si bien souvent une compilation n'a qu'un caractère commercial, celle-ci semble s'attacher à une démarche plus respectueuse. Le choix des plages tend à le prouver tout au long de l'écoute de ce bel album. La qualité de l'interprétation supplante de loin la popularité des œuvres. Réentendre «Sposa, non mi conosci» de Geminiano Giacomelli plonge l'auditeur dans dix minutes d'un bonheur parmi les plus extatiques jamais offertes par le répertoire baroque. Le mariage éclatant, lumineux qu'elle combine de sa voix avec l'accompagnement orchestral. Visiblement inspirée par l'éther sublime de cette cantilène, toute entière au service de la mélodie, Cecilia Bartoli fait toucher à l'indicible. Avec cette façon de napper ses aigus de la caresse de sons filés, la mezzo romaine dépasse la musique. Si on savait de la dextérité vocale des castrats, avec les soupirs musicaux de cet album, on imagine mieux combien l'extrême sensibilité vocale de ces «divos» pouvaient soulever l'enthousiasme du public.
Les inconditionnels de la diva se précipiteront sur les deux plages inédites de cet album. D'abord, les cinq minutes de vocalises époustouflantes avec ce Cervo in Bosco attribué à Leonardo Vinci et cet étonnant Una voce poco fa, air de Rosine du Barbier de Séville de Rossini. Non pas que l'air soit inconnu, mais la version gravée ici, comme un retour de Bartoli à ses toutes premières amours, montre ce que la technique vocale acquise dans ses voyages baroques lui permet de chanter cette rengaine mieux qu'elle ne l'a jamais chanté auparavant, même si ces précédentes versions étaient déjà enthousiasmantes.
Et quel bonheur d'entendre le charmant duo de L'Amico Fritz de Mascagni, entre Bartoli, mutine Suzel, charmant le Fritz convaincant et convaincu d'un touchant Luciano Pavarotti.
S'il existe encore des mélomanes qui n'ont pas d'enregistrements de Cecilia Bartoli, assurément cette compilation est celle qui retrace le mieux l'art de la mezzo italienne.