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Paris. Salle Pleyel. 06-XI-2010. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Cinq pièces pour orchestre op. 16 ; Variations pour orchestre op. 31. Bruno Mantovani (né en 1974) : Postludium (création française) pour orchestre. Jens Joneleit (né en 1968) : Dithyrambes (création française) pour grand orchestre en un mouvement. Johannes Maria Staud (né en 1974) : Contrebande (On Comparative Meteorology II) (création française) pour orchestre. Ensemble Modern Orchestra ; direction : Péter Eötvös
Remplaçant Pierre Boulez retenu à Chicago pour raison de santé, Péter Eötvös était ce soir à la tête de l'Ensemble Modern Orchestra de Franckfort pour porter un projet initié par le Kulturfonds Frankfurt-Rrhein-Main et co-produit par le Festival d'Automne ; cette initiative, donnant lieu à une tournée de six concerts de rayonnement européen, met au cœur de la problématique le mouvement expressionniste, porte-flambeau de la modernité des trente premières années du XXe siècle ; avec les Cinq pièces pour orchestre (1909) d'Arnold Schoenberg comme partition de référence et de questionnement, trois compositeurs d'aujourd'hui étaient invités à écrire une nouvelle pièce : occasion rare de nos jours d'empoigner à bras le corps le très grand orchestre (vents par 4) et de le soumettre à son désir compositionnel. Ses œuvres données en création française étaient toutes trois dédiées à Pierre Boulez pour ses quatre vingt cinq printemps.
En ouverture musclée de la soirée, Postludium de Bruno Mantovani convoque d'emblée le «plein-jeu» en embrasant l'espace de clameurs de cuivres et autres déflagrations sonores très impressionnantes. Le compositeur met à l'œuvre son geste radical et fulgurant dans ce qu'il nomme «un prolongement à son opéra Akhmatova», et témoigne ici d'une maîtrise peu commune des forces en présence. Visant l'efficacité de l'écriture orchestrale avec une technique confondante et tous les ressorts, spectaculaires autant que flamboyants, de l'énergie du son, Mantovani ménage cependant des plages de «relâchement» d'une belle intensité émotive, exerçant un art de la ligne qui s'inscrit désormais comme un trait stylistique de la maturité.
Dans un processus qui ne laisse pas moins indifférent, le compositeur et plasticien autrichien Jens Joneleit explore à son tour, dans Dithyrambes, les potentialités du grand orchestre avec une urgence, «une rage d'écrire» comme il le dit lui-même, qui met la musique sous tension. Des surgissements fauves favorisant le foisonnement sonore font naître des textures vibratiles qui développent, dans la première moitié de l'œuvre, une dramaturgie tout en suspens. D'un geste large et puissant, Joneleit modèle ensuite la matière sonore qui, de lave incandescente, se cristallise dans une homorythmie finale, comme un grand chorus d'orchestre répercutant haut et fort sa masse résonnante.
Le cheminement de Johannes Maria Staud est autre dans Contrebande donnée en seconde partie de concert. À l'énergie débridée des deux premières pièces faisant éclater l'espace, le compositeur autrichien préfère les paysages intérieurs et plus oniriques, ceux que lui suggère l'écrivain polonais Bruno Schulz (1892-1942) à qui il emprunte le titre de sa pièce et dont le monde étrange sert de catalyseur à son inspiration. Alternent des moments pulsés et des temps lisses et en suspension qui captivent l'oreille à l'écoute de leurs morphologies sonores inouïes ; cette superbe pièce est conçue dans des registres clairs et une facture transparente laissant apprécier la finesse du trait et la ciselure de ses contours. Précis autant que réactif aux sollicitations d'une direction exemplaire, l'Ensemble Modern Orchestra témoignait ce soir de l'investissement et des qualités hors norme de tous ses pupitres.
Pour preuve également l'interprétation remarquable, dans la version originale – et somme toute assez rare – pour grand orchestre, des Cinq pièces du Maître viennois, dans lesquelles il exalte la fonction structurante du timbre. En même temps qu'une rigueur absolue dans la conduite du discours, c'est la sensualité du son qu'obtient Péter Eötvös dans cette «succession chatoyante et ininterrompue de couleurs, de rythmes et d'atmosphères» visée par le compositeur.
Déviant quelque peu la thématique originelle, les Variations pour orchestre (1928), première grande forme de Schœnberg composée selon le système dodécaphonique, venaient couronner la soirée. L'énorme effectif orchestral requis est ici rarement utilisé dans son plein rendement – il est parfois réduit à un ensemble de solistes incluant la mandoline! – et se plie aux exigences drastiques du contrepoint sériel à l'aune du maître de Leipzig dont le cryptogramme célèbre (sib la do si) circule telle une obsession dès les premières pages de la partition. L'entreprise frise parfois l'académisme, la rhétorique brise ça et là l'élan symphonique mais le défi orchestral est magistralement relevé, emblématique de ce découvreur au royaume de la langue musicale, véritable maître à penser de cette soirée.
Crédit photographique : Péter Eötvös © Andrea Felvégy
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Paris. Salle Pleyel. 06-XI-2010. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Cinq pièces pour orchestre op. 16 ; Variations pour orchestre op. 31. Bruno Mantovani (né en 1974) : Postludium (création française) pour orchestre. Jens Joneleit (né en 1968) : Dithyrambes (création française) pour grand orchestre en un mouvement. Johannes Maria Staud (né en 1974) : Contrebande (On Comparative Meteorology II) (création française) pour orchestre. Ensemble Modern Orchestra ; direction : Péter Eötvös