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À la tête des plus grands orchestres mondiaux et de ses deux orchestres attitrés, Daniel Harding multiplie les projets. Alors qu'il s'apprête à diriger Otello de Verdi à Paris et Luxembourg et qu'il sort des Carmina Burana de Carl Orff, ResMusica rencontre un chef charismatique et éminemment sympathique.
« Berlioz ne m'apparaît pas comme un compositeur français, il vient d'une autre planète, comme Rameau »
ResMusica : Vous êtes directeur musical de l'Orchestre de la Radio Suédoise et du Mahler Chamber Orchestra. Pouvez-vous nous parler de ces deux orchestres ?
Daniel Harding : J'entretiens une relation particulière avec le Mahler Chamber orchestra (MCO). Il a été fondé en 1997 et je le dirige depuis sa naissance. Tous ses musiciens étaient alors très jeunes et, au fil des ans, nous grandissons ensembles. L'ambition de l'orchestre est de sortir du modèle des orchestres institutionnalisés, le Chamber Orchestra of Europe a été pour le MCO une source d'inspiration. L'orchestre a la volonté d'éviter toute routine et de se réunir pour des productions qui sortent de l'ordinaire du quotidien des musiciens d'orchestre. Ils choisissent leurs projets, leurs artistes invités et sont portés par une volonté de maintenir un niveau très très élevé. Je connais donc les musiciens depuis de nombreuses années et nous passons évidemment beaucoup de temps ensembles. Nous sommes comme une famille avec ses avantages et ses inconvénients. Des moments d'enthousiasme et de bonheur alternent avec des moments plus difficiles. L'orchestre de la radio suédoise est un orchestre institutionnalisé selon le modèle des orchestres radiophoniques. Au fond, ils sont plus similaires que différents ! Ces deux orchestres sont très flexibles et ils sont animés par le même souci d'excellence et le même bonheur de faire de la musique.
RM : L'année dernière vous avez dirigé le Requiem de Verdi, à Pâques c'était la Messe n°3 de Bruckner et hier, vous avez conduit Elias de Mendelssohn. Vous vous orientez vers les partitions chorales par hasard ou par intérêt ?
DH : C'est difficile à dire, j'ai débattu à plusieurs reprises de cette question avec mes amis et je n'ai pas de réponse exacte à vous fournir. Je dois reconnaître qu'il m'est plus facile de travailler avec des pièces où il y a une histoire à raconter, à partir d'un texte. Ces partitions, comme celles de que vous avez cité ou les Scènes de Faust de Schumann ou encore la Création de Haydn m'apparaissent très claires. Bien sur, les symphonies de Schumann, Brahms ou Haydn, racontent une histoire, mais ma sensibilité m'orientera toujours vers ces partitions chorales. Si je peux choisir de diriger entre Das Paradies und die Peri et les Symphonies de Schumann, je choisirai toujours, la partition avec texte. Si je dois emporter une seule partition de Bach sur une île déserte, ce sera une Passion ou la Messe en Si.
RM : À La Scala vous avez dirigé un spectacle de ballet autour de Maurice Béjart avec le Sacre du printemps. Les chefs d'orchestres réputés n'aiment pas trop s'aventurer dans la fosse pour diriger des ballets, pourquoi avez vous accepté ?
DH : Si le ballet est acceptable pour Daniel Baremboim, Carlos Kleiber et Simon Rattle, il n'y a aucune raison qu'il ne le soit pas pour moi ! Bien sur, je sais qu'il existe un cliché très répandu qui dit qu'il n'est pas très épanouissant musicalement pour un chef d'orchestre de devoir calquer ses tempi et son interprétation sur les exigences des danseurs. Mais, je ne peux concevoir que des milliers de spectateurs qui se rendent à travers le monde pour admirer cette merveilleuse forme d'art, ne bénéficient que d'interprétation musicale moyenne ou bâclée. Une autre motivation était de me confronter à des partitions que je dirige régulièrement en concert, mais dans un contexte de ballet. Par exemple : le Sacre du Printemps risque, en concert, de devenir un «concerto pour orchestre» démonstratif alors qu'en tant que ballet «pur», il garde une force intrinsèque incroyable et une énergie très sombre. J'ai été très très heureux de cette expérience !
RM : Vous avez dirigé la Messe n°3 de Bruckner, l'année prochaine vous allez affronter sa symphonie n°5, ce n'est pas commun pour un chef anglais de diriger Bruckner !
DH : Mais je ne suis pas un chef anglais ! J'ai quitté l'Angleterre quand j'avais 19 ans pour m'installer à Berlin et devenir assistant de Claudio Abbado. En Allemagne et Autriche, cette musique occupe une place centrale ! Bruckner n'est pas vraiment inconnu pour les chefs anglais : Sir Colin Davis, Simon Rattle ou Roger Norrrington le dirigent, même si pour Norrington, son optique se révèle être très spéciale.
RM : Est ce que vous êtes attiré par Berlioz ?
DH : La musique française est plutôt à la marge de mon répertoire. Par exemple, Ravel et Debussy sont très difficiles pour moi. J'adore écouter ces compositeurs, mais il m'est délicat de trouver la bonne voie pour les comprendre et leur rendre justice. Mais Berlioz m'attire, je dirige la Fantastique, Harold en Italie ou la Mort de Cléopâtre et je rêve de faire Roméo et Juliette. Mais, au risque de vous choquer, Berlioz ne m'apparaît pas comme un compositeur français, il vient d'une autre planète, comme Rameau. J'adore Rameau, même si le diriger parfaitement nécessite presque d'y consacrer sa vie tant il faut s'imprégner de son style. Rameau comme Berlioz sont géniaux, incontrôlables avec une inventivité qui n'a pas de limites.
RM : Bientôt vous allez diriger Otello de Verdi, pourquoi ce choix ?
DH : Parce que nous avons l'opportunité de monter cet opéra avec Ben Heppner. Une telle possibilité ne se refuse pas ! J'aime beaucoup Verdi mais Otello, pour non- italien, c'est une porte d'accès sur cet univers. C'est une partition assez «wagnérienne» à l'inverse d'autres opéras plus fortement marqués par la sensibilité italienne ou la latine.
RM : Et après Wagner ?
DH : J'ai déjà dirigé en concert l'acte n°2 de Tristan et Isolde et l'acte n°1 de la Walkyrie et je suis engagés pour 2 productions du Vaisseau fantôme. Je l'aborde donc raisonnablement et progressivement.
RM : Quels sont vos projets de disque ?
DH : Nous venons de sortir les Carmina Burana, une pièce que je n'avais jamais dirigé. L'Orchestre et les chœurs de la radio bavaroise sont rejoints par une superbe équipe de solistes. Nous venons d'enregistrer Elias et nous avons des discussions pour d'autres projets. Les disques purement orchestraux sont très difficiles à vendre dans le contexte actuel, les projets choraux semblent mieux résister à la crise. Ainsi DGG a proposé d'enregistrer Elias qu'ils le n'avait pas dans leur catalogue. Un de mes rêves est d'enregistrer les Scènes de Faust de Schumann.
RM : Vous dirigez aussi Carl Orff ! C'est rare les chefs qui acceptent de se lier avec cette musique. Vous n'avez pas de frontières ?
DH : C'est amusant, j'ai téléphoné à Simon Rattle et nous parlions de la pièce. Il l'a aussi enregistré pour EMI et il m'a dit «tu vas adorer !». Orff est assez particulier, il combine différents éléments de l'histoire de la musique et différentes traditions populaires, cette combinaison me fascine. Sinon, j'ai des frontières ! Il y a des musiques que je ne dirige pas et qui ne me parlent pas. La musique de Debussy et Ravel et même la musique anglaise. En dehors de certains opéras, je ne dirige ni les partitions symphoniques, ni les concertos de Britten. Quant à Elgar, il ne m'attire pas !
RM : Que faîtes vous quand vous ne dirigez pas ?
DH : Je donne des interviews ! J'ai une vie très normale : je passe du temps avec mes enfants, j'apprends des partitions, je lis des livres et des textes en rapport avec la musique, je regarde aussi le matchs de foot à la télévision
RM : Quelle équipe de foot supportez vous ?
DH : Manchester United !
Retrouvez Daniel Harding au disque
La discographie de Daniel Harding est déjà très riche. Elle est disponible chez Virgin et DGG. On recommande en particulier ces trois disques :
Benjamin Britten (1913-1976) : Billy Bud. Ian Bostridge, Edward Fairfax Vere ; Nathan Gunn, Billy Bud ; Gidon Saks, John Claggart ; NealDavies, Mr Redburn, first lieutenant ; Jonathan Lemalu, Mr. Flint, Sailing Master ; Matthew Rose, Mr Ratcliffe ; Daniel Teadt, Donald ; MatthewBest, Dansker ; Andrew Kennedy, The Novice. London SymphonyChorus, (chef de chœur : JosephCullen) ; London SymphonyOrchestra, direction : Daniel Harding. 1 coffret de 3 CD VirginClassics. Référence et code barre : 50999 5 19039 23.
Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°10 en fa dièse majeur (version complétée par Derick Cooke). Wiener Philharmoniker, direction : Daniel Harding. 1 CD Deutsche Grammophone DG4777347. Code barre : 028947773474.
Carl Orff (1895-1982) : Carmina Burana. Patricia Petibon, soprano ; Hans-Werner Bunz, ténor ; Christian Gerhaher, baryton. Chor & Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, direction : Daniel Harding. 1 CD DGG 000289 477 8778 5