Après d'importantes redécouvertes (Andromaque de Grétry, Proserpine de Lully) et un remarquable Orfeo de Monteverdi, l'éditeur Glossa connaît décidément la réussite sur le marché, bien sinistré, de l'enregistrement lyrique.
L'intérêt principal de ce nouveau Couronnement ne réside pas dans ses aspects musicologiques, puisque le manuscrit de Naples a déjà été enregistré, même s'il est considéré comme plus éloigné de l'original que le manuscrit vénitien. Certaines séquences étaient absentes du disque de Gabriel Garrido (K617), qui en comportait d'autres coupées dans celui-ci, aucune des deux versions n'étant complète, d'ailleurs… Pour l'instrumentation, Claudio Cavina invoque ce que l'on sait sur l'ordinaire théâtral de l'époque pour limiter l'ensemble instrumental à quatre cordes et à un continuo bien fourni. Il n'est pas le premier à faire ce choix, mais le résultat est merveilleux d'inventivité et de souplesse, échappant à l'aridité qui guettait par exemple la version de Richard Hickox (Virgin). Chaque phrase est soigneusement ourlée par des formules savoureuses, les répliques et les scènes se succèdent sans les silences que l'on y entend trop souvent, et qui détraquent un livret débordant de vie.
Ici, le théâtre règne en maître, pas seulement dans la basse continue, mais aussi dans la voix et le caractère des personnages, tous dessinés, même les apparitions divines ou les utilités, avec une vérité et une fraîcheur étonnantes. Dans cette atmosphère emplie d'énergie dramatique, Othon n'est plus seulement un pierrot geignard, mais il retrouve avec Josè Maria Lo Monaco une virilité que, paradoxalement, les contre-ténors peinent à lui donner. L'Octavie de Xenia Meijer délaisse le ton de la noble dame affligée pour une véhémence impérieuse, au prix, malheureusement, d'un chant violemment poussé. Moins de surprise avec la sensuelle Poppée d'Emanuela Galli, dont les chatteries frôlent parfois le roucoulement, qu'avec le Néron de Roberta Mameli. D'un timbre plus clair que sa maîtresse, c'est un empereur poète, attiré par Apollon autant que par Dionysos, au chant d'une exceptionnelle beauté. Drusilla, Sénèque, la Nourrice d'Octavie et son Page rivalisent d'excellence.
Bien sûr, on pourra relever certaines outrances passagères dans la scansion ou la rapidité, on appréciera plus ou moins la truculence croassante d'Ian Honeyman, qui était déjà Arnalta dans l'enregistrement de Jean-Claude Malgoire (Sony), il y a vingt-cinq ans. Sa berceuse, aux accents volontairement folkloriques, tire avec bonheur vers l'expérimentation, tout comme l'autre page célèbre de l'œuvre, le duo final, syncopé et étiré jusqu'à l'extase. En somme, une réussite enthousiasmante.