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Genève. Grand Théâtre. 04 et 05-IX-2010. Gioachino Rossini (1792-1868) : Il Barbiere di Siviglia, opéra en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini. Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Silvio Aymonino. Lumières : Fabio Barettin. Avec (en alternance) : Silvia Tro Santafé, Jane Archibald, Rosina ; Bénédicte Tauran, Carine Séchaye, Berta ; Juan Francisco Gatell, John Tessier, Conte Almaviva ; Alberto Rinaldi, Eduardo Chama, Dottore Bartolo ; Nicolas Carré, Harry Draganov, Fiorello ; Tassis Christoyannis, Pietro Spagnoli, Figaro ; Burak Bilgili, Ugo Guagliardo, Don Basilio ; Aleksandar Chaveev, Romaric Braun, un ufficiale. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Ching-Lien Wu). Orchestre de la Suisse Romande, direction : Alberto Zedda
Pour son ouverture de saison, le Grand Théâtre de Genève inscrit à son programme Il Barbiere di Siviglia, le plus célébré des opéras de Rossini. Jusque-là rien de bien particulier. Sauf que l'affaire se corse quand on apprend qu'on entendra le chef d'œuvre de Rossini dans deux versions différentes.
La première voit une Rosina en mezzo-soprano, telle que l'avait imaginée Rossini dans sa version d'originale et la seconde avec le même rôle pour une soprano. Imaginer que les différences entre ces deux variantes ne portent que sur la tessiture d'une Rosina par rapport à l'autre, c'est aller vite en besogne. Pour s'en convaincre, le Grand Théâtre de Genève a fait appel à l'incontesté «Monsieur Rossini», Alberto Zedda, pour diriger ces deux œuvres depuis la fosse du Grand Théâtre. A 82 ans, le chef italien surprend par l'énergie qu'il dégage. Autant sur sa personne que sur sa dynamique direction d'orchestre. Dans ces deux Barbier, si l'intrigue est identique, la musique en est sensiblement différente. Des dissemblances substantielles quoique subtiles. Le changement de tessiture de Rosina a nécessité du compositeur la réécriture de nombreuses parties, des transpositions, des passages harmoniques dans le but de conserver la ligne musicale de cette comédie. Des changements que le spectateur assistant à l'une ou l'autre des représentations ne percevra pas mais qu'Alberto Zedda a soigneusement mis en place pour respecter l'entier des versions proposées. Si après avoir assisté aux deux représentations notre goût penche pour la plus grande légèreté et la majeure brillance de la version pour soprano, la version pour mezzo nous apparaît vocalement cependant plus intéressante. Mais, peut-être aussi que la différence entre les distributions et la forme de l'orchestre entre les deux soirées ont-elles influencé notre jugement.
En homme de théâtre plus qu'en musicien, la musique n'a certainement pas été la préoccupation première du metteur en scène Damiano Michieletto. Flanqué de son décorateur attitré, ils ont axé leur discours sur le raconter l'intrigue au plus près du livret tout en la meublant d'actions parallèles qui, pour souvent réussies, n'apportent rien d'autre qu'un parasitage. Ces actions souvent menées par d'excellents acteurs, comme l'exige l'opéra aujourd'hui, captent l'attention du spectateur au point de détourner l'attention du spectateur et de voir le malheureux protagoniste de l'action principale chanter son affaire dans l'indifférence. Dans une Séville moderne et populaire, la scène s'ouvre sur un gigantesque décor (très applaudi à la seconde représentation) d'une modeste rue bordée d'un groupe de maisons de trois étages avec autant de volets, de balcons, et autres antennes satellites plantées au mur. Stationnant devant l'immeuble qui cache Rosina prisonnière du Dottore Bartolo, la Ford customisée d'Almaviva. La foule des passants s'attroupe autour de cet objet de désir. Et c'est tout l'esprit qui habite la mise en scène de l'Italien. Une amourette de «djeuns» dans un monde contemporain zappant avec trépidation dans la consommation contrastant avec celui du souvenir suranné d'un Bartolo, ex-champion cycliste, dont le bureau montre le haut des armoires encombré de coupes gagnées à la force du mollet et dont le vélo pend lamentablement au mur, le pédalier décoré d'une image sainte. Le décor tournant révèle alors, l'intérieur de la maison de Bartolo, un appartement sur trois étages avec force escaliers, portes et petites pièces. C'est dans cet ensemble volontairement étriqué et meublé d'»Ikéateries» de tous poils que Michieletto raconte avec talent l'intrigue rossinienne. Son discours scénique trépidant avec ses montées et descentes d'escaliers, ses portes qui claquent, s'il exprime bien la bouffonnerie de cette comédie, s'accorde assez mal avec les efforts physiques que le chant requiert.
Par bonheur, Damiano Michielletto peut compter sur des chanteurs dont la majeure partie est suffisamment athlétique pour se démener dans cette comédie déjantée. Un déjantement source de très bonnes idées comme cet air de la calomnie qui, au moment du colpo di cannone, voit des journaux tomber des cintres, à la une desquels un gros titre informe les protagonistes d'un «Almaviva au centre d'un scandale».
Dans les deux distributions, c'est le rôle de Figaro qui tient le haut du pavé grâce au talent de ses protagonistes. Ainsi, le coiffeur du baryton grec Tassis Christoyannis convainc tant par son personnage théâtral à-là-Vittorio-de-Sica que par une vocalité claire et une diction absolument parfaite. De son côté, Pietro Spagnoli n'a rien à envier à son collègue grec. Excellent acteur, il possède une voix admirablement claironnante et chargée d'harmoniques, même si elle souffre parfois de quelques légères «nasalités».
Le Comte Alamaviva de Juan Francisco Gatell s'affirme comme un personnage idéal. L'allure jeune, comme la voix magnifiquement timbrée, souple, il enchante. De plus, il se paie le luxe de terminer sa prestation avec l'épuisant et périlleux exercice du rondo final qu'il envoie avec tout ce qui lui reste d'énergie. Tout au plus, on regrette qu'il ne soit pas meilleur acteur pour incarner ses scènes de déguisement en soldat ivre ou en maître de musique dans lesquelles il n'obtient que des sourires au lieu des rires que ces scènes suscitent. John Tessier, son alter ego de la seconde distribution souffre des mêmes limitations théâtrales. Avec sa voix plus corsée que son collègue, son agilité vocale moins brillante, il est un personnage quelque peu moins crédible.
Côté féminin, la mezzo espagnole Silvia Tro Santafé s'avère une Rosine au charme vocal envoûtant. Quelle belle voix, quels étranges et émouvants graves ! Déjà remarquée dans ce rôle au Grand Théâtre de Luxembourg en 2006, elle confirme ici l'assise parfaite de sa voix et son personnage théâtral, discrètement fouillé, cache une parfaite intégration du rôle. Quant à elle, la soprano canadienne Jane Archibald est vocalement plus spectaculaire avec ses vocalises stratosphériques. Malheureusement, son jeu scénique est faussement exubérant occultant l'idée même d'un personnage de notre époque.
A noter la prestation de Bénédicte Tauran (Berta) dont le seul petit air en fin de spectacle ne reflète guère du talent dont cette artiste fait preuve tout au long de la soirée. Servante du Dottor Bartolo, les scènes où elle tente de séduire le Comte Almaviva sont d'un comique extraordinaire. Avec son sens inné du théâtre que nous avions déjà noté dans La Donna del Lago de Genève et dans La finta Giardiniera à Fribourg. D'un simple geste, comme sa manière de s'affaler dans un fauteuil, elle habite toute la scène à l'image des plus grands acteurs. A quand un rôle à la véritable mesure de son talent ?
Quant aux autres protagonistes, ils s'avèrent bien en deçà de ce qu'on peut attendre du comique de leurs rôles. Les Dottor Bartolo (Alberto Rinaldi et Eduardo Chama) sont tous deux vocalement un peu courts et, physiquement moins alertes que leurs jeunes compagnons de scène, manquent de la bouffonnerie du personnage pour convaincre. Il en est de même des Don Basilio (Burak Bilgili et Ugo Guagliardo), même si vocalement le second apparaît vocalement plus à l'aise que le premier.
Crédit photographique : Tassis Christoyannis (Figaro) ; Silvia Tro Santafé (Rosina), Tassis Christoyanni (Figaro), Juan Francisco Gatelle (Comte Almaviva), Bénédicte Tauran (Berta), Burak Bilgili (Don Basilio), Alberto Rinaldi (Bartolo) © GTG / Vincent Lepresle
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Genève. Grand Théâtre. 04 et 05-IX-2010. Gioachino Rossini (1792-1868) : Il Barbiere di Siviglia, opéra en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini. Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Silvio Aymonino. Lumières : Fabio Barettin. Avec (en alternance) : Silvia Tro Santafé, Jane Archibald, Rosina ; Bénédicte Tauran, Carine Séchaye, Berta ; Juan Francisco Gatell, John Tessier, Conte Almaviva ; Alberto Rinaldi, Eduardo Chama, Dottore Bartolo ; Nicolas Carré, Harry Draganov, Fiorello ; Tassis Christoyannis, Pietro Spagnoli, Figaro ; Burak Bilgili, Ugo Guagliardo, Don Basilio ; Aleksandar Chaveev, Romaric Braun, un ufficiale. Chœur du Grand Théâtre de Genève (chef de chœur : Ching-Lien Wu). Orchestre de la Suisse Romande, direction : Alberto Zedda