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Si la musique acousmatique est l’art des sons fixés sur support, elle ne trouve sa dimension unique et sublimée qu’à travers une mise en espace dans un lieu qui en valorise la projection et grâce à un interprète qui en assure la transmission vivante ; c’est ce que le Festival Futura, avec la richesse de sa programmation, l’exigence et la qualité de son dispositif sonore, donnait à entendre à son public lors de cette 18ème édition concoctée par son directeur Vincent Laubeuf sous l’intitulé « Carnets de voyages ». C’est à Crest, charmante petite ville de la Drôme dominée par sa Tour, que Futura, le festival d’art acousmatique et des arts de support, déploie comme chaque année l’acousmonium Motus (quelques cent haut-parleurs reliés à une console de projection sonore) pour quatre jours de concerts non stop ponctués par la rituelle « Nuit blanche », une expérience d’écoute couchée, non dénuée de charme et d’indicibles sensations.
En présence de Bernard Parmegiani, l'un des pionniers de la musique concrète initiée par Pierre Schaeffer, Jonathan Prager, qui n'a pas son égal pour modeler le son dans l'espace, interprétait Divine comédie d'après Dante (1971-72), triptyque d'anthologie du répertoire acousmatique conçu en binôme par François Bayle et Bernard Parmegiani (qui, ensemble, ont composé Paradis, longue plage méditative dont l'interprète avait choisi ce soir la version longue) : traversée initiatique guidée par la voix d'un narrateur (Michel Hermon) où les sons charnus et gorgés d'énergie d'un Parmegiani (Enfer) s'opposent aux textures vibratiles et délicatement ciselées (Purgatoire) de son collaborateur.
Tout à la fois compositeurs et interprètes dans le festival, Guillaume Contré, Olivier Lamarche, Nathanaëlle Raboisson et Vincent Laubeuf s'étaient prêtés à une expérience rare autant que réussie, celle de l'œuvre collective : Tempurada Utopica – conversation avec Don Quichotte est une création en huit tableaux sélectionnant quelques aventures hautes en couleur du Chevalier à la triste figure ; «carnet d'errance» tapageur et ricochant, cette fresque foisonnante de 90 minutes exploite sans compter de multiples situations acousmatiques (boucles, collages, mixages… ) dont la cohérence n'est pas le maître mot mais où tous les sons disent le Quichotte et sa quête éperdue et risquée.
Dans Les stratigraphies euphoriques, quatre tableaux acousmatiques et cinq colorines, le plasticien lillois Philippe Leguerinel travaille au contraire à une fluidité de la forme finement articulée ; chaque page de ce livre d'images somptueusement coloré découvre une vision fugitive qui nous fait aussitôt basculer dans l'onirisme, conférant à l'espace sonore des horizons insoupçonnées.
Tant par ses dimensions temporelles et sonores que par son dépaysement, Nara de Bertrand Dubedout convie à un «voyage cosmique», une célébration sonore des mystères du temple Tôdai-ji de Nara ; dans cette ville du Japon se déroule toutes les quinze premières nuits de mars, depuis l'an 752, «l'un des rituels les plus mystérieux et les plus fascinants du monde bouddhique» précise le compositeur toulousain au terme d'une résidence de six mois à la villa Kujoyama de Kyôto. A partir de captations sonores des plus subtiles, Dubedout recrée en les stylisant l'atmosphère et le temps du rituel, du jaillissement originel de la source aux pratiques ancestrales des moines frappant le sol de leurs socques. Cloches immémoriales, orgue à bouche shô, joutes vocales à l'heure de la criée au thon ou voix en prières rythment cette trajectoire sonore quasi hypnotique dont on mesure l'étonnante force évocatrice.
L'hypnose et la transe sont également convoquées dans Voyage initiatique (2005) de Pierre Henry, le plus vieux maître de la musique concrète qui, pour ce nouveau voyage, enrichit son «jardin de sons» de quelques espèces rares puisées ici dans un «folklore imaginaire» pour une sorte de cérémonie secrète dont il règle avec maestria le rituel.
Plus discrète mais tout aussi obstinée, Agnès Poisson s'inscrit dans la lignée des virtuoses acousmates avec Il s'est passé quelque chose, la troisième création de cette édition 2010. Soucieuse d'une précision du détail à la Miro, la compositrice fait surgir un univers foisonnant autant que poétique où cela oscille, palpite, miroite, tinte et crépite : une sorte de caverne d'Ali Baba pour l'oreille invitée à développer une perception du très fin et de l'infiniment varié.
Grand Canyon, Arizona, Bagdad (USA), autant de lieux consignés dans le journal de bord du regretté Luc Ferrari pour son Far-West News, une œuvre-clé quant à la thématique des «Carnets de voyage» : ni Hörspiel, ni œuvre électronique, prévient-il mais pure composition, «un poème sonore d'après nature». Du 11 au 30 septembre 1998, ce spécialiste du micro voyageur accompagné de son épouse Brunhild nous convie jour après jour à un reportage réaliste autant qu'évocateur, à la frange de l'étrangeté, où les voix captées – le plus souvent en américain – sont musicales et savoureuses avant d'être significatives. «Je photographie with the sound» l'entend on dire à l'un de ses hôtes du voyage, sollicitant aussi les techniques de mixage et autres sophistications de studio avec cette touche personnelle et raffinée qui confine au chef d'œuvre.
Cette odyssée acousmatique s'achevait avec Terra Incognita (1998), sans doute l'une des plus belles réalisations de studio du maître très expert qu'est Denis Dufour, directeur honoraire et président de Futura. Avec Jonathan Prager à la console éclairée des premiers rayons du jour, c'est avec la fébrilité des grands départs que nous embarquions vers cette terre inconnue, certes déjà foulée par Pierre Schaeffer – ici largement cité – mais revisitée par le magicien acousmate comme un Varèse nous donnait à «voir» ses Amériques, avec l'assurance du geste et l'entêtement désinvolte des grands découvreurs ; alors, comme nous le recommande Pierre Schaeffer : «Fermons les yeux pour mieux les voir».
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Si la musique acousmatique est l’art des sons fixés sur support, elle ne trouve sa dimension unique et sublimée qu’à travers une mise en espace dans un lieu qui en valorise la projection et grâce à un interprète qui en assure la transmission vivante ; c’est ce que le Festival Futura, avec la richesse de sa programmation, l’exigence et la qualité de son dispositif sonore, donnait à entendre à son public lors de cette 18ème édition concoctée par son directeur Vincent Laubeuf sous l’intitulé « Carnets de voyages ». C’est à Crest, charmante petite ville de la Drôme dominée par sa Tour, que Futura, le festival d’art acousmatique et des arts de support, déploie comme chaque année l’acousmonium Motus (quelques cent haut-parleurs reliés à une console de projection sonore) pour quatre jours de concerts non stop ponctués par la rituelle « Nuit blanche », une expérience d’écoute couchée, non dénuée de charme et d’indicibles sensations.