Elne piano Fortissimo s’enracine dans la terre catalane
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Crédit photographique : Vanessa Wagner © Stéphane Gallois / Naïve ; Ingmar Schwindt © DR
[Elne] Festival Elne Piano Fortissimo
C'est à la haute tenue de la programmation et à l'engagement d'une mairie dans sa politique culturelle et d'une équipe fédérée par ses initiateurs Nicole et Michel Peus que l'on doit le succès de la cinquième édition du Festival Elne Piano Fortissimo investissant comme chaque année un des hauts lieux de l'art roman roussillonnais.
Pour faire revivre l'âme romantique, en cette année anniversaire, des conférences sur Chopin et Schumann et des concerts durant trois jours consécutifs animaient la petite ville d'Elne convoquant, aux côtés d'artistes confirmés, les jeunes pousses des conservatoires régionaux de Perpignan et Montpellier.
La première soirée à la cathédrale débutait avec la pianiste Vanessa Wagner. Pour introduire l'univers de Chopin, elle avait choisi d'interpréter la très belle Sonate n°13 en la bémol majeur de Franz Schubert qu'elle aborde avec beaucoup d'intériorité à la faveur d'un jeu sensible et très contrôlé. A l'aura poétique raffinée que la pianiste fait naître sous ses doigts dans le mouvement lent, elle oppose la fantaisie toute mozartienne de l'allegro final. D'une âme romantique, l'autre : celle de Chopin avec les trois Valses très célèbres de l'opus 64 jouées avec une légèreté de touche qui privilégie la couleur et la transparence ; suivaient les quatre Mazurkas de l'opus 67 que notre interprète fait sonner avec l'élégance et la sobriété que réclament ces merveilleuses danses de l'âme. La Grande Polonaise brillante op. 22 couronnait le récital dans une plénitude sonore très chaleureuse témoignant de la part de cette artiste d'une belle maîtrise du clavier et d'un jeu mis au service de l'articulation formelle et de la résonance.
Plus inégal et moins convaincant, François Chaplin prenait le relai à 21h30 dans un répertoire mêlant cette fois Chopin et Schumann. Quid du Prélude et Fugue en sol dièse mineur du premier cahier du Clavier bien tempéré de Bach annoncé sur le programme ? Chaplin attaque directement avec le merveilleux Nocturne en si bémol mineur op. 9 n°1 de Chopin dans un état de tension qui nuit grandement à ce chant détaché de toute contingence que le compositeur nous livre d'un trait de génie alors qu'il n'a pas vingt ans. Chaleur, stress, surmenage ? Si le Nocturne déçoit, la Barcarolle irrite par son jeu approximatif et l'irrespect du texte qui surprend chez un interprète qui vient d'enregistrer l'intégrale des Nocturnes. Les yeux rivés sur la partition (est-ce bien tolérable?), son interprétation des trois Fantasiestücke et de la Romance op. 28 de Schumann n'autorisent pas plus de discernement dans la texture polyphonique et la conduite du discours. Un entr'acte salvateur lui permet d'aborder la deuxième partie de la soirée de manière plus sereine avec les quatre Mazurkas de l'opus 24, quatre Valses et les trois Nocturnes op. 48 n°1, op. 62 n°1 et n°2 qu'il fait sonner cette fois de manière beaucoup plus convaincante.
La seconde soirée conviait sous la voute de la cathédrale deux personnalités des plus opposées quant à leurs options artistique, esthétique voire même éthique. Il faut préciser tout de même que quelques trente années les séparent.
C'est le jeune pianiste allemand Ingmar Schwindt (à peine trente trois ans), bardé de diplômes et de récompenses internationales qui débutait à 19 heures avec un programme débordant largement l'heure de musique impartie. Si les 32 Variations en ut mineur de Beethoven captivent d'emblée notre écoute par la rigueur de la conception architecturale et le relief ménagé au sein du parcours de l'œuvre, le choix de l'intégrale du Deuxième cahier des Préludes de Debussy menaçait les oreilles d'un chaud/froid plutôt radical. L'abattage technique d'Ingmar Schwindt est phénoménal même si l'écriture debussyste est souvent soumise à un «clavier des sensations fortes». Nous avions ensuite la démonstration indubitable de la puissance transcendantale de son jeu que l'on aurait davantage appréciée avec Liszt qu'avec la Sonate op. 36 n°2 de Rachmaninov.
A la puissance, la pianiste chinoise Zhu Xia-Mei, seconde invitée de la soirée, préfère la patience et à la virtuosité transcendantale, la meilleure qualité de silence possible. Cette artiste trop discrète, que l'on connait mieux depuis la sortie de La rivière et son secret (l'histoire de son itinéraire chinois publiée chez Robert Laffont) conçoit la musique comme une ascèse – celle du Clavier bien tempéré de Bach par exemple dont elle a enregistré l'intégrale des deux cahiers -. Effacé, son jeu l'est aussi, toujours en demi-teinte, sans effusion ni brillance, exigeant davantage une posture méditative qu'une qualité d'écoute singulière. La démarche n'est ni esthétique ni artistique mais bien spirituelle. Comme si les œuvres choisies au programme, Mozart en première partie puis Schubert (l'Allegretto D. 915 et l'ultime Sonate D. 960) n'étaient que le lieu initiatique privilégié pour «franchir le seuil». Méditons alors sur ce que nous dit l'interprète : «Pour voir au fond d'un lac, il faut que la surface soit lisse et calme. Plus elle l'est, plus on peut voir en profondeur. Il en est de même de l'esprit». Il en était de même de la musique.
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Crédit photographique : Vanessa Wagner © Stéphane Gallois / Naïve ; Ingmar Schwindt © DR