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Paris, Palais Garnier. 18-VI-2010. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Donna del lago, melodramma en deux actes sur un livret d’Andrea Leone Tottola. Mise en scène : Lluís Pasqual. Décors : Ezio Frigerio. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Vinicio Cheli. Chorégraphie : Montse Colomé. Avec : Joyce DiDonato, Elena ; Juan Diego Flórez, Uberto di Snowdown / Giacomo V ; Colin Lee, Rodrigo di Dhu ; Daniela Barcellona, Malcolm Grœme ; Simón Orfila, Duglas d’Angus ; Diana Axentii, Albina ; Jason Bridges, Serano ; Philippe Talbot, Bertram. Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris (chef de chœur : Alessandro Di Stefano), direction Roberto Abbado
La date avait été religieusement cochée par tous les amoureux de belcanto, et les places, prises d'assaut dès le début des réservations, s'arrachent au marché noir. Voici qu'après des années de disette, l'Opéra national de Paris offre un Rossini rare, qui n'avait même jamais été donné dans ses murs, de plus dans une distribution exceptionnelle !
Les amateurs de belles voix n'ont pas été déçus, car le plateau a tenu au-delà de ses promesses, à commencer par Juan Diego Flórez, à son zénith. La voix, tout en gardant souplesse et fraîcheur de timbre, est plus puissante. L'interprète, toujours aussi spectaculaire, a gagné en humanité, et l'acteur en finesse. On n'entendra peut-être jamais plus un Uberto si accompli, acclamé par une salle en délire à la fin de son air «O fiamma soave». A ses côtés, Joyce DiDonato est tout aussi miraculeuse, d'une tessiture égale allant de ses aigus délicieux à son médium crémeux, d'une incroyable délicatesse dans ses variations, maîtrisant les demi-teintes comme personne. Pour rester dans la peau de la douce Elena, qui n'a ni la verve de Rosina, ni l'abattage d'Isabella, elle offre un rondo final tout en raffinement rêveur, un rien distancié, qui tient de la magie. Daniela Barcellona, idéale dans les rôles rossiniens d'amoureux en travesti, offre par son timbre sombre un contraste parfaitement bienvenu avec l'exquis contraltino de Joyce DiDonato, et ne lui cède en rien au plan des messe di voce. Colin Lee est un Rodrigo excitant, avec une quinte aiguë électrisante, un timbre solaire et une belle facilité dans la vocalisation, mais il semble constamment sur le fil de cette tessiture inhumaine. On apprécie les moments de plaisir véritable qu'il nous a procurés, mais on tremble pour son avenir s'il persiste dans ce répertoire. Simón Orfila est un Duglas bien en situation. Les petits rôles sont excellemment tenus par Diana Axentii, Jason Bridges et Philippe Talbot.
On dit souvent que la musique de Rossini est simplement affaire de voix. Sans vouloir développer cette polémique, si cela est vrai, c'est tant mieux dans le cas présent, car le reste n'est pas particulièrement enchanteur, à commencer par un chœur débraillé, en décalage constant. L'orchestre, à force de ne plus jouer ce répertoire, a perdu ses réflexes, et la direction de Roberto Abbado est bien quelconque.
Lluís Pasqual n'a visiblement pas su quoi faire de ce livret, précurseur lors de sa création, puisqu'il s'agit du premier sujet tiré d'une œuvre de Walter Scott, ouvrant ainsi la porte aux œuvres futures de Donizetti et Bellini, mais qui relève d'une esthétique oubliée, celle de longs airs ou ensembles statiques, pendant lesquels deux ténors se menacent interminablement sans bouger, avant d'aller se trucider en coulisses. Il a tenté de se tirer d'affaire par la vieille astuce du théâtre dans le théâtre, avec un zeste de second degré, hélas, rien ne fonctionne. Dans le décor passe-partout d'un gigantesque hémicycle, des choristes en queue de pie et robes du soir déambulent une coupe de champagne à la main (a t'on expliqué au metteur en scène que de nos jours, on ne va plus à l'opéra ainsi vêtu ?) Des accessoires sortent de terre ou tombent des cintres, une harpe, un arbre en tissu, une toile peinte d'un kitsch infâme, une armure d'une laideur à faire peur, tandis que les solistes restent figés à l'avant-scène. Trois danseurs sont censés représenter les états d'âme de ces pauvres chanteurs laissés à l'abandon, hélas, la chorégraphie est grotesque. Les costumes, inspirés d'armures moyenâgeuses, auraient pus être jolis, s'ils n'étaient pas si lourds. Qu'importe, car finalement on ne voit pas grand-chose, l'action se déroulant constamment dans la pénombre.
Le public de cette deuxième représentation a cependant applaudi à tout rompre à la fin de chaque morceau et lors des saluts finals, réservant quelques huées aux danseurs, qui n'y étaient pourtant pour rien. Faut-il y voir un message à la «grande boutique» celui des mélomanes qui voudraient entendre plus souvent des œuvres de ce belcanto pré-romantique ? Rien de prévu pour la saison prochaine, hélas…
Crédit photographique : Daniela Barcellona (Malcolm Grœme) & Colin Lee (Rodrigo Di Dhu) ; Juan Diego Flórez (Giacomo V / Uberto Di Snowdown) & Joyce DiDonato (Elena) © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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Paris, Palais Garnier. 18-VI-2010. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Donna del lago, melodramma en deux actes sur un livret d’Andrea Leone Tottola. Mise en scène : Lluís Pasqual. Décors : Ezio Frigerio. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Vinicio Cheli. Chorégraphie : Montse Colomé. Avec : Joyce DiDonato, Elena ; Juan Diego Flórez, Uberto di Snowdown / Giacomo V ; Colin Lee, Rodrigo di Dhu ; Daniela Barcellona, Malcolm Grœme ; Simón Orfila, Duglas d’Angus ; Diana Axentii, Albina ; Jason Bridges, Serano ; Philippe Talbot, Bertram. Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris (chef de chœur : Alessandro Di Stefano), direction Roberto Abbado