Edito
Donald Morrison, journaliste au «Times Magazine Europe», clamait en 2006 la fin de la culture en France. Personne – pas même nous – n'avait pris en compte son avis. Cassandre n'avait pas été écoutée non plus. Pourtant l'avis d'un américain, étranger à la culture jacobine et à l'intervention de l'Etat, méritait plus que l'ignorance ou le dédain. Les réformes à venir des collectivités territoriales, la crainte de la perte de la clause de compétence générale en matière de culture pour ces mêmes collectivités, le tout allié à une politique de rigueur qui n'ose dire son nom, confirment les prédictions de Donald Morrison.
Revenons en arrière. Depuis quelques années les tirs isolés se sont rapprochés. En 2003 une grève massive des intermittents du spectacle avaient annulé bien des festivals. Puis «l'intelligence de la main» de Raffarin Premier Ministre a lancé en 2004 «l'Appel contre la guerre à l'intelligence» initié par «Les Inrockuptibles». Le nombre de recrutements des professeurs de musique (concours du CAPES et de l'agrégation) a été divisé par trois. Un haut fonctionnaire publie La République et l'Ecole (Fayard, 2006), brûlot anti-culturel. La même année, le Ministre de l'Intérieur règle ses comptes avec La Princesse de Clèves.
Puis est venue la présidentielle de 2007 avec son programme culturel proche du néant. Les menaces ont commencé à peser sur des orchestres et des maisons d'opéra. L'organigramme interne du Ministère de la Culture a été revu à la baisse. Des nominations à la tête de grands opérateurs culturels sont faites en dépit du bon sens (souvenez-vous de l'épisode Benamou à la Villa Médicis). Des subventions essentielles à la survie de petits ensembles sont supprimées.
Maintenant le feu est nourri : les budgets «culture» des villes, départements et régions risquent de passer à la trappe. Des chefs d'orchestre sont traités comme le moindre contractuel employé de mairie en CDD. Pendant que les collectivités territoriales sont exsangues, l'Etat se retire. Pour raison de crise, le mécénat ne vient pas. Les millions pour racheter in extremis Pleyel ou rénover l'Opéra-Bastille sont trouvés pourtant.
Non, la culture, c'est le clinquant, le divertissant ou l'éducatif. La culture est en passe de ne plus exister pour elle-même. Quels élus croise-t-on au concert ou à l'opéra ? Pas grand monde. Une apparition au premier acte, et on s'en va à la pause. Quand le Festival Enesco s'ouvre à Bucarest, les membres du gouvernement roumain répondent présent. Quand Pierre Boulez vient diriger l'Intercontemporain à Helsinki, la Présidente de la République de Finlande est dans le public. Angela Merkel a son abonnement à la Philharmonie de Berlin.
Le monde de la culture paye très cher des années d'isolement et de reproduction consanguine. Soutenu presque totalement par la puissance publique, il n'a rien anticipé, rien vu venir, au risque de se couper non du public, mais de la société. Oui il faut renforcer les liens culture et éducation. Oui il faut de grandes manifestations populaires. Mais la culture reste la culture. Elle n'est pas l'éducation. Elle n'est pas le divertissement. Elle doit vivre pour ce qu'elle est.
Mais mis à part les acteurs de la vie culturelle, qui l'a compris ?
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