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Paris. Opéra-Comique. 12-V-2010. Georges Aperghis (né en 1945) : Les Boulingrin, opéra-bouffe en 1 acte d’après la pièce éponyme Georges Courteline [commande de l’État / Ministère de la Culture et de l’Opéra-Comique ; création mondiale]. Jérôme Deschamps, mise en scène ; Laurent Peduzzi, décors ; Macha Makeïeff, costumes ; Dominique Bruguière, lumières. Avec : Lionel Peintre, Des Rillettes ; Jean-Sébastien Bou, Boulingrin ; Doris Lamprecht, Madame Boulingrin ; Donatienne Michel-Dansac, Félicie. Klangforum Wien, direction : Jean Deroyer
Avec Les Boulingrin, aboutit la première commande que Jérôme Deschamps a passée depuis qu'il dirige l'Opéra-Comique. Georges Aperghis qualifie d'»opéra-bouffe» ce pendant de son sombre Avis de tempête (2004).
Et pourtant, la pièce de Courteline n'est pas, à proprement parler, du théâtre bouffe. Contrairement au théâtre désespéré, cynique et mortifère de l'autre Georges (Feydeau), celui de Courteline constate, avec une égale lucidité, les lâches comportements humains ; mais, par une radieuse dinguerie, il (s')offre un fenêtre d'optimisme (dans un état d'esprit voisin, on songe à une de ses autres pièces, L'honneur des Brossarbourg).
Dans Les Boulingrin, un pique-assiette (Des Rillettes) s'impose chez Madame et Monsieur Boulingrin afin de profiter de leur confort bourgeois ; en un crescendo destructeur au cours duquel Des Rillettes risque sa vie, Madame et Monsieur Boulingrin, pour le faire déguerpir, le rendent témoin de leurs destructrices scènes de ménages et le somment prendre leur parti pour l'un d'eux. Jouant avec le spectateur, le malicieux Courteline lui offre une échappée optimiste : il arrête l'action et nul ne saura à quel moment, par quel sortilège et dans quel état Des Rillettes aura définitivement décampé. Le rideau tombé, une ambiguïté demeure : le sort qui tombe sur Des Rillettes est-il exceptionnel ou résulte-t-il d'un méchant complot que le couple Boulingrin et Félicie ont l'habitude d'ourdir ?
Audacieux, Georges Aperghis a mis en musique toute la pièce sans en retrancher un mot et sans ménager la moindre pause dans un rythme haletant. Notamment par rapport aux fascinants et récents Ismène et Hapiness Daily, il y a encore approfondi cet irrépressible vocalité qu'il jette dans l'espace de représentation, selon une vaste palette tendue entre le strict parlé et le chanté le plus lyrique. Le vertige est d'autant plus ample que ce texte opulent l'a conduit à un rythme élocutoire très soutenu. Ce défi est pleinement relevé et cet opéra-bouffe grouille d'une vie inquiétante et ravageuse. Prolongeant totalement cette pleine dramaturgie vocale, l'écriture instrumentale virevolte. Le plus ahurissant est que, à eux deux, Georges Aperghis et son complice post mortem Georges Courteline produisent un ouvrage si gorgé de théâtre que sa présentation en version de concert pourrait se suffire à elle-même. Rarissime.
Disposant d'un tel trésor, Jérôme Deschamps avait deux légitimes possibilités : faire un travail scénique qui abstraie une partition «auto-suffisante» ou la prolonger par un surcroît de grotesque. Il a choisi la seconde solution mais a tant recherché l'outrance qu'il finit par étouffer l'œuvre. Certes le décor conçu par Laurent Peduzzi est esthétiquement judicieux : cette coupe transversale de l'immeuble où vivent Madame et Monsieur Boulingrin révèle six pièces qu'occupent le couple-titre et les dix musiciens de Klangforum Wien ; mais ce décor s'avère être un piège à sons dont les effets sont doublement dommageables. Tenu à distance (surtout dans la délicate acoustique de la Salle Favart), le matériau instrumental sonne confus et atténué ; quant aux chanteurs, ils s'expriment avec une intensité trop élevée et qui culmine trop tôt, au risque de lasser quelque peu. Les subtilités de l'écriture vocale en sont estompées. Globalement, le registre expressif est plus celui de la farce qu'un écho acéré de Jacques Tati ou des Marx Brothers.
Malgré le léger frein qui l'empêche d'exalter le raffinement (certes dans la démesure !) de l'écriture, la distribution vocale est de premier ordre : Lionel Peintre en punching-ball, Jean-Sébastien Bou en teigneux, Doris Lamprecht en maîtresse-épouse et Donatienne Michel-Dansac en servante malicieusement cynique. Chacun d'eux réussit une enthousiasmante composition dramaturgique.
Et, grâce à l'impeccable concours de Klangforum Wien, Jean Deroyer est à la fois un chef de théâtre précis et sait faire monter froidement l'incandescence. Après avoir, le mois passé, tout aussi remarquablement créé L'amour coupable de Thierry Pécou à l'Opéra de Rouen, il vit un printemps plus qu'enviable.
Crédit photographique : Donatienne Michel-Dansac (Félicie) © Elisabeth Carecchio / Opéra-Comique
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Paris. Opéra-Comique. 12-V-2010. Georges Aperghis (né en 1945) : Les Boulingrin, opéra-bouffe en 1 acte d’après la pièce éponyme Georges Courteline [commande de l’État / Ministère de la Culture et de l’Opéra-Comique ; création mondiale]. Jérôme Deschamps, mise en scène ; Laurent Peduzzi, décors ; Macha Makeïeff, costumes ; Dominique Bruguière, lumières. Avec : Lionel Peintre, Des Rillettes ; Jean-Sébastien Bou, Boulingrin ; Doris Lamprecht, Madame Boulingrin ; Donatienne Michel-Dansac, Félicie. Klangforum Wien, direction : Jean Deroyer