Charlie de Bruno Giner par l’Ensemble Aleph, la peste brune

Il est terrible le dessin d'Enki Bilal sur la jaquette de ce nouvel album produit par Radio France sous le label Signature ; une manière directe et percutante de nous introduire dans le théâtre de la violence et de la brutalité qui se joue dans Charlie.

Tirée de la nouvelle, aussi courte qu'efficace, de Frank Pavloff, Matin brun, cette Fable musicale de Bruno Giner raconte – «presque à la manière d'un conte d'enfants» précise le compositeur – la montée d'un régime totalitaire (la «peste brune») et l'absence de réaction de Charlie et son copain («ni héros ni salauds») qui laisseront filer le temps jusqu'à l'inévitable étranglement : une thématique qui mobilise personnellement Bruno Giner auteur d'une chronique historique, « de Weimar à Térézine », traitant de « l'épuration musicale » de 1933 à 1945″.

Dans Charlie, le dispositif économe (une voix et cinq instruments) et le format ramassé (quelques 40') relèvent de «l'opéra de poche» des années 20 que le compositeur pointe ça et là par de brèves allusions/citations (chanson de cabaret, musique de Kurt Weil, rythme de jazz…) au sein d'un langage volontairement éclectique. Tout sonne à point nommé dans cette trame narrative où la/les voix sont souvent «traitées», comme on le dirait en électroacoustique, pour engendrer différents niveaux de narration. Bruno Giner joue sur l'interpénétration des deux mondes vocal (la voix soliste, celle du copain de Charlie) et instrumental (les musiciens chantent, commentent, lancent des slogans), une stratégie diablement efficace pour articuler les différentes séquences, amorcer les relances dramatiques et faire circuler l'énergie sur le plateau. L'Ensemble Aleph s'y entend à merveille, conjuguant des talents de musicien/acteur au service d'une écriture de timbre prodigieusement inventive qui donne au récit son « grain » singulier et son impact résonnant. Bruno Giner signe là son premier essai en matière de scène lyrique : un coup de maître !