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Caen. Théâtre de Caen. 29-IV-2010. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Rinaldo, opéra en 3 actes sur un livret de Aaron Hill et Giacomo Rossi. Mise en scène : Louise Moaty. Décors : Adeline Caron. Costumes : Alain Blanchot. Lumières : Christophe Naillet. Avec : Mariana Rewerski, Rinaldo ; Katerina Knežiková, Almirena ; Stanislava Jirku, Goffredo ; Marie Fajtová, Armida ; Adam Plachetka, Argante ; Markéta Cukrová, Eustazio ; Jan Martiník, Mago & Araldo ; Stanislava Mihalcová, La prima Sirena & Una Donna ; Andrea Brožáková, La seconda Sirena. Collegium 1704, direction : Václav Luks
Créée l'an dernier au Théâtre national de Prague, cette production est marquante, tant, pour sa première mise en scène lyrique, Louise Moaty touche juste. Par ses passées collaborations avec, entre autres, Eugène Green et par son actuel compagnonnage avec Benjamin Lazar, on devine son environnement artistique et esthétique.
Son mérite initial est de l'assumer ouvertement et de le dépasser avec une probe sérénité. Son travail exhale une substantielle poétique personnelle où s'entrelacent quatre fondements : une tension entre les diverses profondeurs de la frontalité scénique ; une dialectique de l'apparition et de la disparition ; une lecture «rhétorisée» du corps humain en mouvement ; et une ample culture picturale (autant le cadre du tableau que ce qui est figuré). Détaillons quelque peu ces fondements.
On le sait un éclairage à la bougie (ici majoritaire) et à la torche (plus épisodique) n'est qu'un outil ; son usage ne dépasse l'anecdote que si notre perception s'en trouve bouleversée. Pendant les dix premières minutes du spectacle, on est tenté de reprendre le titre d'un grand livre de Daniel Arasse (On n'y voit rien) tant la forêt de minces et élancés fûts d'arbres qui constitue l'unique, épuré et ingénieux décor l'emporte sur les silhouettes humaines ; puis il devient limpide que, ordinairement, nous gâtons notre vue à exiger trop d'intensité lumineuse, et que, pour discerner les strates frontales successives de la profondeur d'un plateau, une rampe de bougies en devant de scène est irremplaçable. Entre lumière légèrement trémulante (cire oblige) et obscurité presque totale, une lucidité visuelle oubliée et enfouie resurgit.
Bref, tout le dispositif d'éclairage qui caractérise la peinture occidentale entre la perspective renaissante et la révolution ourdie par Manet prend ici réalité et chair. Autre fondement : apparaître et disparaître – ce jeu fondamental (il réjouit le tout jeune enfant et structure son développement) – est ici saisi grâce à ces frontalités lumineuses, entre corps physique et ombre mouvante. Puis le matériau qu'élabore Louise Moaty n'est ni la psychologie des personnages ni la littéralité du livret mais un langage du corps humain chorégraphié (la contribution de Françoise Denieau est ici essentielle, qui culmine dans le combat lors de la pénultième scène), à partir des innombrables postures dont la peinture, le dessin et la gravure – notamment dans le second XVIIe siècle français – surabondent. L'énergie qui relie les différents instantanés de ce langage est continue et tendue. Des gestes et déplacements mesurés et doux (jamais la moindre brusquerie), à la taille des corporéités, nous conduisent, magnétisés, à faire dialoguer les tableaux baroques enclos dans notre mémoire avec ceux de ce spectacle ; dieux et humains y parlent un identique langage de postures et de gestes. Enfin, Louise Moaty assoit sa dramaturgie sur le cadre (de scène et du tableau) : presque pas de hors-champs mais un cadre dans lequel on entre et duquel on sort, comme une suite d'instantanés picturaux (à rapprocher de l'écriture cinématographique de Charlie Chaplin à ses débuts, dans les années 1910). On l'a compris, voici une réalisation scénique pensée, accomplie et difficilement oubliable, où la mise en scène consiste moins à régir, au cordeau, chaque acteur qu'à lui offrir un strict cadre que sa nature théâtrale saura remplir ou non.
À cet égard, l'équipe vocale ici rassemblée – des membres de la troupe du Théâtre national de Prague – répond à ces sollicitations peu courantes. Au regard du chant proprement-dit, disons que, homogène en maîtrise technique, elle offre une projection sonore un peu courte au regard des formats vocaux que ces rôles requièrent. Les plus gênées sont les trois mezzo-sopranos (surtout Stanislava Jirku en Goffredo) : faute de réelles contralti (seul véritable équivalent actuel à feu les castrati alto), elles assument des rôles trop graves pour elles, «tapent» trop souvent dans les ponticelli, fatiguent manifestement leur voix et offrent une palette de couleurs un peu limitée. Toutefois, ce chant soutient l'intérêt par sa musicalité et, au bilan, cette jeune troupe pragoise est d'une réjouissante mobilisation.
En France, on n'entend trop peu souvent Collegium 1704 et c'est bien dommage. Par sa densité sonore, avec un bas médium charnu, et par son alerte lyrisme, cet ensemble, basé à Prague, fait songer au Concentus Musicus Wien en son âge d'or (n'oublions pas que cet historique orchestre est moins viennois que porteur de toute une tradition issue de la Mittle Europa, via les Suk et autres Vegh). Le travail des cordes y est de premier ordre. Quant à Václav Luks, ce jeune chef est un excellent rythmicien, talent qui lui permet de tenir l'attention de tous, sans ciller, jusqu'au terme de la partition. Sa musicalité se matérialise essentiellement par une fine oreille timbrique, où s'épanouit une poétique limpide et touchante.
On l'aura compris : Rinaldo a connu, à Caen, une fameuse représentation !
Crédit photographique : © Ilona Sochorová / Hana Smejkalova
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Caen. Théâtre de Caen. 29-IV-2010. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Rinaldo, opéra en 3 actes sur un livret de Aaron Hill et Giacomo Rossi. Mise en scène : Louise Moaty. Décors : Adeline Caron. Costumes : Alain Blanchot. Lumières : Christophe Naillet. Avec : Mariana Rewerski, Rinaldo ; Katerina Knežiková, Almirena ; Stanislava Jirku, Goffredo ; Marie Fajtová, Armida ; Adam Plachetka, Argante ; Markéta Cukrová, Eustazio ; Jan Martiník, Mago & Araldo ; Stanislava Mihalcová, La prima Sirena & Una Donna ; Andrea Brožáková, La seconda Sirena. Collegium 1704, direction : Václav Luks