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After Life de Michel Van Der Aa, l’éternité et un souvenir

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Lyon. Opéra National. 18-III-2010. Michel Van Der Aa (né en 1970) : After Life, opéra sur un livret du compositeur. Création en France. Mise en scène : Michel van der Aa. Dramaturgie : Klaus Bertisch. Décors : Dries Verhœven. Costumes : Robby Duiveman. Lumières : Florian Ganzevoort. Vidéo technique : Peter Wilms. Son : Clare Gallagher. Avec : Roderick Williams, Aiden ; Richard Stuart, Mr Walter ; Yvette Bonner, Sarah ; Margriet Van Reisen, Ilana ; Claron McFadden, La chef ; Helena Rasker, Bryna. Asko׀Schönberg Ensemble, direction : Otto Tausk

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Même en y mettant la meilleure volonté du monde, il est parfois difficile de comprendre le public !

Atteints de «bravoïte» aigüe lors de la création d'une bien monotone et bavarde Emilie de Kaija Saariaho, les spectateurs lyonnais ont fait la fine bouche (applaudissements timides, deux rappels seulement et quelques huées) devant cet After Life saisissant d'intelligence, d'audace et de sensibilité ; l'un des spectacles phares de la Biennale Musique en Scènes 2010 et sans conteste la plus belle chose vue récemment in loco.

Admettons que , jeune compositeur hollandais et metteur en scène de cet opéra créé à Amsterdam en 2006 n'ait pas la notoriété de la compositrice finlandaise, invitée régulière du festival de Salzbourg ! Soit, il est toujours plus facile de se fier à des valeurs sûres. Reconnaissons maintenant que pour un public lettré, il est plus convenable d'applaudir à une version opératique d'une pièce de Tchekhov, Genet ou Strindberg plutôt qu'à celle d'un obscur film japonais ! Doit-on pour autant, sous prétexte que l'opéra est un «art noble», passer à côté d'un travail aussi puissant et moderne, bénéficiant de surcroît d'une réalisation scénique et d'une interprétation musicale quasi parfaites, la synergie entre tous étant palpable dès les premières secondes.

«Qui y a t-il après toi? / Je n'en sais rien, je ne suis que la Mort». Nul n'a oublié cette percutante réplique du Septième Sceau d'Ingmar Bergman, ni la partie d'échecs qui mettait au prise un chevalier de retour des croisades et la Grande Faucheuse dans un Moyen-âge de ténèbres. S'interrogeant également sur le mystère de la mort, le cinéaste japonais Hirokazu Kore-Eda, à cent lieux du scepticisme bergmanien imagine, dans After Life (1998) un «sas de décompression» qui confronte chaque préposé à l'éternité à ses souvenirs, l'objectif étant d'en choisir un seul pour affronter la grande solitude consolatrice. Du lundi au dimanche, une semaine pour revoir le film de sa vie, et pour certains faire l'amer constat du ratage ou de l'insignifiance d'un éphémère passage sur terre. Thème magnifique, à la poétique indéniable qui se double d'une poignante – car universelle – méditation sur le sens de la vie et le temps qui passe.

On louera la finesse et la pertinence avec laquelle a adapté le scénario pour l'opéra honorant la dimension cinématographique de son sujet, en donnant vie – grâce à la vidéo qui s'intrique avec la scène – à une dizaine de personnages, gardiens et futurs pensionnaires de l'Eternité. Tous extraordinaires et héroïques dans leur banalité, jamais stéréotypés (même si chaque âge de la vie est représenté), ce qui les rend extrêmement attachants. On n'oubliera pas de sitôt la poignante ingénuité du petit garçon qui emporte avec lui se souvenir de son chien posé sur les genoux, tel une Pietà michelangelesque ou certaines silhouettes comme cette femme hantée par l'Afrique sans oublier Ilana, la rebelle qui n'a rien à se remémorer de beau dans son existence ! Ou ce stupéfiant Aiden, gardien hanté par l'amour déraisonnable qu'il portait à Kira et qui, grâce à un vieil homme, lui-même amoureux de cette femme, va enfin pouvoir féconder un souvenir !

Par son sujet, son désir profond de métissage interdisciplinaire (cinéma, vidéo et opéra), After Life impose un geste fort, ample, qui préfère penser l'avenir plutôt que lorgner sur un passé jadis glorieux. Aucune sécheresse ou autarcie dogmatique dans la signature musicale de , bien au contraire générosité d'inspiration, expressivité et foisonnement sonore font merveille. L'écriture vocale sait particulièrement mettre en valeur les voix, notamment dans les ensembles, et il y un je ne sais quoi de haletant dans la gestion du flux musical qui happe l'auditeur.

Visuellement, le spectacle est une splendeur – exploitant pour le meilleur les ressources de la vidéo dans la droite ligne du duo Viola/Sellars ou de , sans la fantasmagorie de la Fura del Baus ou «l'entomologisme» obscène d'un Warlikowski (par ailleurs souvent étonnant). Subtilité et équilibre, la bonne dose, toujours la juste mesure. Le décor, au début bric-à-brac informe accueillant valises et voyageurs se dénude au fil des scènes – épousant états d'âmes, pensées et affects des personnages qui se délestent de leur pesanteur terrestre pour atteindre l'inaccessible étoile de la sérénité céleste.

Dirigé avec une rare conviction par , l'ensemble Asko׀Schonberg privé de fosse (quel bonheur!) interprète Michel Van Der Aa avec l'ardeur qu'il mettrait dans Tristan ou Pelléas et tous les chanteurs réunis dessinent des personnages au relief saisissant. Déplorons une nouvelle fois que certains spectateurs, qui font fête à bien des distributions faiblardes réunis par l'Opéra de Lyon, n'aient pas cru bon d'être plus généreux dans leurs applaudissements. Excellent Papageno, impose sans problème sa présence charismatique et son timbre de bronze. Lumineuses et bienveillantes (le plus angoissé des hypocondriaques n'y résisterait pas), et sont à ravir de musicalité et de fluidité vocale. Tous méritent d'être cités, , (couleur vocale à la Kathleen Ferrier) et .

A la sortie, on entendait des sons de cloches fort différents mais tous, détracteurs et admirateurs, s'accordaient à trouver After Life «moderne, très moderne». Si la modernité revêtait ces atours-là, pourrait-on sincèrement le déplorer ?

Crédit photographique : (Aiden) © Hans Van Den Bogaard

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