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Trouble in Tahiti & L’Enfant et les Sortilèges, doublé gagnant

Le couple de Dinah et Sam bat de l'aile. Témoin impuissant de leur déchirement, leur enfant souffre et se venge sur les objets et les animaux qui l'entourent. Ceux-ci se rebellent et l'agressent. Tel est le lien, ténu en apparence, que Benoît Bénichou a pris comme fil conducteur pour joindre en une même soirée Trouble in Tahiti de et l'Enfant et les Sortilèges de .

Dés son entrée, le spectateur est transporté dans l'Amérique triomphante des années cinquante. Une immense affiche vantant les mérites du progrès électroménager sert de rideau de scène, l'enfant est vautré devant la télévision qui diffuse des séries et des spots publicitaires, la radio grésillante envahit la salle de ses sonorités agressives. A une semaine de distance et sans aucune concertation, Benoît Bénichou nous ramène à l'univers qu'a choisi (dont il fut maintes fois l'assistant) pour sa Platée strasbourgeoise. Mais il est en cela beaucoup plus conforme à l'époque du livret, puisque Trouble in Tahiti fut crée en 1952. Du pur Bernstein, du grand Bernstein, injustement méconnu, qui alterne un trio jazzy – mezzo, ténor et baryton qui commentent l'action – et de grands épanchement très lyriques – l'air de Dinah chez son psy, le magique duo Sam et Dinah dans la rue – sur des paroles d'une quotidienne banalité à la prosodie soignée. Benoît Bénichou assure la fluidité de succession rapide des sept scènes par un morcellement de l'espace scénique, au moyen de toiles peintes mobiles et de spots lumineux, très efficace. Dans le rôle de Dinah, met à profit ses études musicales aux Etats-Unis pour emmener le show de sa présence scénique, de son américain naturel, de son sens du rythme et de ses qualités de danseuse, sans oublier l'émotion qu'elle met dans ses interventions solo. Et qu'il est agréable d'entendre dans cette musique une vraie voix d'opéra à l'aigu charnu et facile ! en Sam fait valoir, comme à son habitude, un timbre riche aux graves sonores et aux aigus puissants mais reste plus réservé scéniquement, question d'école probablement. Un tantinet scolaire dans les chorégraphies inspirées des musicals d'époque et reconstituées par Florence Blanco Scherb, pas toujours idéalement homogène dans le mariage des tessitures, le trio composé de , et demeure suffisamment investi et appliqué pour ne pas dépareiller un spectacle qui fonctionne bien, laisse l'émotion s'instiller peu à peu, sait swinguer quand il le faut et dont on sort avec l'envie de danser à son tour.

L'ambiance change nettement en seconde partie, pour faire place au huis clos onirique (et parfois cauchemardesque) de l'Enfant et les Sortilèges. Benoît Bénichou le place dans une boîte un peu carcérale, où des projections vidéo dessinent un sol géométrique et évolutif à la Vasarely. Il se sort impeccablement des difficultés du livret par la fluidité qui caractérise à nouveau sa mise en scène, par un traitement varié et imaginatif des multiples intervenants, aidé en cela par les costumes soignés et à tendance expressionniste de , et par une progression minutieusement dosée et sans heurts de la scénographie, évoluant du noir et blanc initial aux tableaux finaux richement colorés. De la distribution pléthorique et soigneusement constituée, on retiendra notamment l'Enfant d'un grand naturel et richement sonore de , la stratosphérique – mais parfois tendue dans l'extrême aigu – en Princesse, Feu ou Rossignol, l'inénarrable , toujours excellent dans les rôles de composition, en Théière snob ou Arithmétique tyrannique et l'inaltérée somptuosité vocale de Wenwei Zhang en Fauteuil et Arbre.

Du côté de la fosse, l' nous a paru plus à son aise dans les rythmes chaloupés de Bernstein que dans les raffinements de l'orchestration ravélienne. Il se peut que le chef New Yorkais, , ait plus d'affinités avec la musique de son pays mais, si Trouble in Tahiti était impeccable de précision rythmique et d'allant, quelques scories orchestrales sont venues émailler l'Enfant et les Sortilèges : un léger déficit de transparence, de finesse, de liberté et quelques difficultés instrumentales (les bois de l'introduction !). Mais rien de rédhibitoire cependant ou qui soit venu compromettre irrémédiablement la magie de cette partition extraordinairement délicate et qui surexpose les solistes. Très bien préparés, le Chœur de l'Opéra national de Nancy et le Chœur des enfants du Conservatoire régional du Grand Nancy ont apporté leur contribution musicale et scénique à la réussite de ce spectacle qui, au vu des ovations qu'il a reçues, a su charmer son public.

Crédit photographique : (trio baryton) & (Sam) ; (la Tasse chinoise), (l'Horloge comtoise), (l'Enfant) & (la Théière anglaise) © Opéra national de Lorraine

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