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Marie-Nicole Lemieux, contralto

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Présentatrice de la dernière soirée en date du MIDEM Classical Award, à l'aise tout autant dans le récital que sur scène, du baroque à nos jours, est de plus en plus présente sur nos scènes. Conversation à bâtons rompus avec une contralto toujours en verve.

« Aux États-Unis le mécénat va de soi, alors qu'au Québec nos élites, nos fortunes ne donnent presque rien »

ResMusica : Vous souvenez-vous de quelle manière vous a-t-on connu en France ?

: Après le concours Reine-Elisabeth j'étais connue des imprésarios, des directeurs de théâtre, mais ma première rencontre avec le public français remonte à 2003 au Théâtre des Champs-Élysées dans l'Orlando furioso de Vivaldi avec Jean-Christophe Spinosi. Je devais faire un second rôle mais Nathalie Stutzmann, prévue pour le rôle titre, avait du se désister. Ils m'ont demandé si je pouvais la remplacer, j'ai dit «oui» tout de suite, après je me suis dit que j'étais folle… Finalement la soirée fut mémorable, j'étais entourée de Jennifer Larmore, Véronica Cangemi, Philippe Jaroussky, c'était les débuts de l'ensemble Matheus, c'était magique. Je voulais mourir quand je me maquillais avant d'entrer sur scène, je me disais «mais ma pauvre fille qu'est-ce que tu fais là ? tu es folle ! tu es à Paris dans un premier rôle et personne ne te connais !». Quand j'ai fini le premier air, j'avais tout donné, mis les tripes sur la table et une fois assise, j'entends… «Bravoooo» venant de la foule.

RM : Peu de temps après vous interprétiez un air de l'Orlando furioso aux Victoires de la Musique classique, donc devant plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs.

MNL : Là aussi j'étais nerveuse (rires). Mais au plus je suis nerveuse au plus je me donne. De plus il y avait Plasson, Rostropovitch, tout le gratin musical. J'étais avec Jean-Christophe Spinosi et avant d'entrer on s'est dit «allez on s'amuse et c'est tout !». C'est ce plaisir là qui a transparu dans notre interprétation, ce qui a du surprendre dans une soirée aussi «sérieuse». Le public a du être surpris de voir ces deux hurluberlus qui faisaient de la musique et qui s'éclataient royalement, cela a beaucoup plu à la salle. A la fin plusieurs personnes sont venues me dire «merci ! ça faisait du bien» (rires)

RM : On vous a connu dans le répertoire baroque, puis quelques temps plus tard dans la musique française du tournant du siècle (le Livre de la jungle, Pelléas et Mélisande, …). Le grand écart entre deux styles séparés de 200 ans et deux langues différentes n'est pas trop dur ?

MNL : Non d'autant plus qu'on peut écarter encore plus puisque je chante souvent Mahler. Curieusement l'un nourrit l'autre, je ne pourrais pas me spécialiser dans un période. C'est une gymnastique de la voix nécessaire sinon je serai malheureuse.

RM : C'est un parcours comparable à nombre de confrères et consœurs (Sandrine Piau, Véronique Gens, …) qui se sont faits connaître dans le baroque et abordent beaucoup la mélodie française. Y a-t-il des passerelles entre ces deux répertoires ?

MNL : C'est une bonne question… Peut-être ? Pour faire du baroque il faut quand même beaucoup d'agilité vocale et de présence, surtout dans le récitatif. Le récitatif fait avancer l'action, il faut beaucoup utiliser le rythme, la couleur de la voix, il faut faire de l'invention. C'est la même chose pour le récital, mélodie française comme lied, se créer un monde intérieur et avoir quelque chose à dire. Grâce à ça on a le sens d'une phrase, le sens d'une ligne vocale. Dans le grand répertoire lyrique on s'attend plus à un traitement vocal plein, on se préoccupe plus de la projection de la voix. Dans le baroque on a plus l'esprit d'artisanat, l'orchestre est plus petit, les nuances sont plus délicates.

RM : Il est vrai que certains airs du grand répertoire présentent des difficultés de voyelles sur des passages puissants, comme le contre-ut sur le mot «présence» dans «Salut, demeure chaste et pure» du Faust de Gounod.

MNL : Non je ne suis pas d'accord, on peut faire une vrai «an» qui ne soit pas nasal ni criard, ni le déformer en «a» sur une note aussi haute. Le ténor Paul Groves, ou même Richard Verreau, un grand ténor québécois des années 60, y arrivent très bien. Je ne considère pas ces voyelles là comme des difficultés, pour moi le français est la langue la plus facile à chanter, la plus vocale. Peut-être parce que je suis québécoise, et au Québec on ouvre beaucoup les voyelles en prononçant.

RM : Toujours à propos de mélodies, de texte, ce qui a été marquant dans les dernières productions de Pelléas au TCE et au Theater an der Wien est la totale intelligibilité des paroles. Est-ce un travail fait avec les metteurs en scène ou bien est-ce le B-A BA de tout chanteur d'opéra ?

MNL : Dans ces productions c'est la base de tout travail préparatoire. Tous les chanteurs sont aussi des récitalistes et/ou des acteurs. On aurait fait un opéra ensemble en allemand, le résultat aurait été le même. Cela va de soi qu'il faut être compréhensible. Pour moi c'est très important. Pour une récitaliste francophone qui aime cette langue je ne ferai jamais l'affront de ne pas faire ce travail indispensable. Je suis chanceuse, c'est merveilleux car dans ces deux productions on sent qu'on fait partie d'une création ou tout le monde ont à cœur que ce soit parfait musicalement et théâtralement. Ça n'arrive pas souvent.

RM : Justement théâtralement ce qui a été remarquable est l'expression vocale demandée, à la limite entre le chuchotement inaudible ou le cri.

MNL : Oui ça a été un travail extrêmement précis. On a eu beaucoup de répétitions, un vrai luxe, qui a permis un travail de fond sur l'interprétation la manière de dire les phrases, de réagir. Tant mieux si c'est bien apparu sur scène.

RM : Ce n'est pas frustrant de lire une lettre et de ne plus chanter après le premier acte ?

MNL : C'est vrai que musicalement oui, c'est frustrant, car je n'ai eu que cinq minutes avec Haitink ou de Billy (rires). Je finis de chanter avec «il faut que j'aille voir un instant le petit Yniold» et là c'est fini ! (rires).

RM : On peut espérer un Chant de la Terre avec un des deux chefs alors ?

MNL : Oh oui ce serait bien ! (rires) Déjà j'ai eu un apéritif avec la Symphonie n°2 de Mahler avec Daniele Gatti et l'ONF en février à Paris.

RM : Continuons sur le répertoire de contralto. Le baroque est en bonne place, ça va de soi, puis c'est le grand saut jusqu'au début du XXe siècle.

MNL : Ah ben non ! Vous oubliez Rossini mon cher ! Que de premiers rôles pour les contraltos !

RM : Mea culpa… mais ce sont beaucoup de rôles de vieilles dames, de méchantes, de nourrices ou de rigolotes comme Mrs Quickly dans Falstaff.

MNL : Ah oui c'est un rôle fabuleux. C'est vrai que nous avons beaucoup de nourrices, de rigolotes ou de ronchouillardes, sauf pour Carmen ou Dalila ou là on se reprend et on devient des croqueuses d'hommes, grrrr…

RM : Vous n'exprimez pas le ras-le-bol qu'avait Natalie Dessay d'être cantonnée dans des rôles de soubrettes écervelées ?

MNL : Mais moi j'aimerais bien faire une soubrette écervelée ! On fait souvent des vieilles dames, mais je préfère ce genre de rôle de méchante. Je comprends Natalie Dessay qui en a assez de jouer les poupées et de chanter des choses toujours légères. Alors qu'en contralto le Chant de la Terre pourrait suffire çà une carrière.

RM : Justement vous avez beaucoup chanté Mahler. Mais en matière d'opéra allemand, qu'avez-vous ou que voulez-vous aborder ?

MNL : Erda dans l'Or du Rhin ! C'est un rêve, mais avant ça je préfèrerais faire Waltraute, ou bien la première Norne. J'adore Wagner, mais j'attends que ma voix mûrisse pour aborder ce rôle.

RM : Et les méchantes chez Richard Strauss, la Nourrice de la Femme sans ombre, Hérodiade, Clytemnestre, Gaïa dans Daphné ?

MNL : Là aussi je vais attendre un peu. C'est un répertoire que je connais moins, les rôles sont assez lourds. Et puis Strauss a tellement peu composé pour nous que j'ai une petite dent contre lui (rires).

RM : Lançons un appel aux directeurs de théâtre ou d'orchestre. Quel rôle ou quelle œuvre rêveriez-vous d'interpréter, outre Erda ?

MNL : Carmen. Je me sens prête. Dalila un jour, Tancrède ou l'Italienne à Alger de Rossini (ndlr : prévu en 2012 à Nancy), Orphée et Eurydice de Gluck, … Et tout ce que je ne fais pas assez : la Rhapsodie pour alto de Brahms, les Kindertotenlieder, et tout un répertoire de lied que je voudrais faire ou refaire, Wolf, Strauss, Schubert, Schumann…

RM : Vous partagez votre vie entre la France et le Québec. Comment jugez-vous la vie musicale dans votre patrie d'origine ?

MNL : Ah c'est terrible ! On est dans une situation économique difficile, et ce qui est touché en premier est bien sur la culture. Ce que je ne comprends pas c'est que dans le Canada anglophone et aux États-Unis le mécénat va de soi, alors qu'au Québec nos élites, nos fortunes ne donnent presque rien. Mme Desmarais fait beaucoup d'efforts, mais elle reste quasiment seule. On donne au sport, c'est très populaire. Paradoxalement les productions de la télé québécoise sont locales et très riches, contrairement à la France, qui diffuse des séries américaines. En même temps l'opéra ne bénéficie pas de traitement de faveur.

RM : La musique classique en général non ?

MNL : Non, il y a deux mondes parallèles, le public de l'Orchestre Symphonique de Montréal n'est pas celui de l'Opéra. Le mécénat musical est insuffisant, et il y a une grande méconnaissance. Au Québec on s'étonne que je puisse vivre en tant que chanteuse d'opéra. Le Québec n'est fort que de 6 millions d'habitants, autant que les pays scandinaves, qui eux ont des maisons d'opéra qui marchent très bien. Pourtant le Québec a produit beaucoup de grandes voix, hier comme aujourd'hui. Le talent est tellement grand chez nous, mais reste inexploité. C'est triste, espérons que ça aille mieux ces prochaines années.

RM : Terminons sur une note optimiste, quels sont vos projets ?

MNL : La reprise de Falstaff au TCE sera le seul opéra de cette année. 2010 sera une année riche en concerts et en récital. Plus l'enregistrement qui me tient à cœur d'un disque d'airs d'opéra romantiques français avec l'ONF dirigé par Fabien Gabel, chez Naïve. Ainsi qu'un CD Mozart, Gaun, Haydn avec les Violons du Roy de Bernard Labadie.

Le questionnaire «plus» de ResMusica

RM : Votre héros dans la vie réelle ?
MNL : Maurice Richard. C'est un joueur de hockey des années 50, porte-flambeau des canadiens francophones. A cette époque les francophones étaient déconsidérés, il vous était difficile de faire carrière. Maurice Richard a fait tomber ces barrières. Pour moi c'est un héros.

RM : Et votre héroïne dans la vie réelle ?
MNL : Ma mère.

RM : Votre personnage de fiction préféré ?
MNL : Vous allez être surpris… Rocky Balboa… J'ai aimé tous les Rocky, sauf le cinquième. J'adore le personnage, son caractère, son coté combatif, droit. Oh je l'aime ! (rires)

RM : Votre peintre préféré
MNL : Egon Schiele ! C'est absolument magnifique.

RM : Et votre poète préféré ?
MNL : Gaston Miron, un poète québécois, auteur de l'Homme rapaillé. Sinon c'est Verlaine. Quand on chante ces textes, on se rend compte à quel point ses mots chantent. C'est d'une sensualité, ça fond dans la bouche : «Voici des fruits, des feuilles et des branches, et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous». Des caresses partout sur le corps. (rires)

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