Le label russe Northern Flowers s'est fait remarquer par sa série «Wartime music» qui rend hommage aux compositions soviétiques écrites lors de la seconde guerre mondiale. Une initiative historiquement et artistiquement pertinente dont nous parle Yuri Serov, le directeur artistique de Northern Flowers.
«Nous sommes honnêtes avec notre public, nos artistes et nos partenaires. Ces aspects vous semblent peut-être normaux ! Mais, en Russie, c'était très rare! »
ResMusica : Pouvez-vous nous parler de l'histoire de Northern flowers ?
Yuri Serov : Le nom de Northern Flowers renvoie à des almanachs littéraires publiés à l'époque de Pouchkine. Ils ont été fondés par le baron Anton Delwig en 1825 et publiés de manière continue pendant sept ans. Il s'agissait alors d'une entreprise intellectuelle sans équivalent que seule la mort de Delwig interrompit ; le dernier recueil fut d'ailleurs publié par Pouchkine lui-même. Ces recueils accordaient une place à la musique et dans chaque numéro, on pouvait trouver des articles sur la vie musicale ou des analyses d'œuvres. Ainsi, en 1831, le Prince Vladimir Odoievski publie un texte intitulé «les derniers quatuors de Beethoven». Ces ouvrages sont des sources précieuses pour l'histoire de la musique en Russie. En reprenant ce nom, historique et symbolique, nous voulons nous placer dans cette continuité culturelle et contribuer au maintient d'une tradition artistique ici à Saint-Pétersbourg, la capitale du Nord. Depuis 1999, nous organisons des concerts et un festival annuel, nous publions des disques et des livres sur la musique et nous proposons aussi des master-classes. La collection de disques s'intitule «Archives musicales de Saint-Pétersbourg» car tous les compositeurs, œuvres et artistes sont liés à la vie musicale de cette ville.
RM : Vous êtes aussi musicien ?
YS : Je viens d'une famille de musiciens : mon père est le chef d'orchestre Edouard Serov et ma mère est une pianiste qui enseigne au conservatoire Rimski-Korsakov. J'ai donc reçu la musique dans le biberon et nous avions à la maison une incroyable collection de partitions, de disques et de livres sur la musique ; j'ai aussi pu bénéficier de la solide éducation musicale soviétique. Étant jeune, je me rendais aux concerts de Mravinsky, Gilels et Richter. J'ai ensuite décidé d'utiliser cette chance et j'ai lancé le projet Northern Flowers.
RM : Quelles sont les ambitions du projet «Wartime Music» ?
YS : Il s'agit d'une ambition commune avec le chef d'orchestre Alexander Titov. Alexander Titov est un grand connaisseur de la musique du XXe siècle ; il souhaitait explorer les musiques nées durant les plus terribles années de l'histoire de la Russie. L'objectif principal est de rendre justice à ce pan méconnu de notre passé et de rendre justice à des compositions et des auteurs oubliés. Nous avons planifié un total de vingt-cinq volumes, nous en avons déjà publié neufs. Le premier semestre 2010 verra la parution des six suivants (consacrés à Prokofiev, Kochurov, Glière, Evlakhov, Polovinkin et à mélodies de cette période) alors que nous enregistrerons d'autres albums consacrés à : Sviridov, Shaporin, Krein, Dzerzhinsky, Vasilenko, Shebalin. Ce projet nécessite un gros investissement en temps et en argent. La plupart de ces parutions ne sont pas éditées et nous devons faire des recherches dans des bibliothèques, les archives et les musées pour trouver les manuscrits et ensuite en réaliser les matériels. Fort heureusement, le gouvernement de Saint-Pétersbourg nous apporte son soutien. Je suis heureux de vous dire qu'il s'agit du premier projet d'enregistrement de musique classique qu'il supporte ! C'est un bon signe pour l'avenir de notre vie culturelle. Mais malgré toute cette énergie, Wartime Music est un projet stimulant pour l'équipe artistique car beaucoup de mélomanes vont ainsi découvrir des compositeurs et des œuvres importantes dans l'histoire de la musique russe.
RM : Northen Flowers organise aussi un festival de musique de chambre ?
YS : Ce festival a 10 ans. Il est le résultat de mon expérience de pianiste invité à des festivals européens comme Kuhmo ou West Cork. J'étais intéressé par l'idée de proposer des concerts de musique de chambre dans les palais de Saint-Pétersbourg et d'inviter des artistes que je respectais profondément. L'idée était de développer un festival et un concept que nous ignorions. Nous avons désormais une série de dix concerts programmés chaque fin de mois de juin. Nous sommes honnêtes avec notre public, nos artistes et nos partenaires. Ces aspects vous semblent peut-être normaux ! Mais, en Russie, c'était très rare !
RM : La vie musicale à Saint-Pétersbourg est très riche avec des institutions historiques comme le Mariinsky ou la Philharmonie. Est-il difficile de se frayer un chemin entre ces deux prestigieuses institutions ?
YS : La vie musicale de Saint-Pétersbourg est si riche que chacun peut trouver sa propre voie. Il y a de la place pour de nombreux projets. Je n'aime pas me focaliser seulement sur le Mariinsky et les activités du philharmonique. Leurs productions ne sont pas toujours bien ficelées et pas toujours basées sur les qualités musicales réelles (trop de productions purement commerciales).
RM : Est-ce que la crise actuelle a une influence sur la vie musicale russe ?
YS : La vie culturelle quotidienne a toujours été si peu soutenue (particulièrement dans les petites «places» musicales) que la crise ne change pas grand chose… Notre état et les grands sponsors du gaz et du pétrole ne sont intéressés que par les grands noms et le prestige. Ainsi, c'est certainement un peu plus difficile, pour eux, maintenant…
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