Concours, La Scène

La musique des loosers

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Genève. Salle du Conservatoire de Musique, Grand Théâtre de Genève. Du 02-XI-2009 au 12-XI-2009. Finales de la Compétition de chant.

Finale du 64ème Concours de Genève (Chant)

Il faut remonter aussi loin qu'en 2000 pour voir le jury du Concours de Genève décerner un 1er prix de chant. Même si l'écoute des premiers concurrents aux épreuves éliminatoires de l'édition 2009 laissait imaginer un concours un peu pâlot, quelques figures se sont pourtant révélées au-dessus de la mêlée. Pour avoir suivi pratiquement toutes les épreuves du chant (éliminatoire, deux récitals et finale avec orchestre), des six candidats présents à l'épreuve finale avec orchestre, trois pouvaient logiquement prétendre à la couronne suprême.

Si le premier prix attribué cette année à la soprano hongroise fait l'unanimité d'un public qui souvent n'a assisté qu'à la plus spectaculaire épreuve, celle avec orchestre, et du jury, la chanteuse le doit aussi à ses prestations exemplaires données de tout au long des treize jours de compétition. Point d'orgue d'un parcours sans faute, son «Beim Schlafengehen», troisième chant des Vier Letzte Lieder de Strauss, transporte l'auditoire dans un monde éthéré. Son interprétation inspirée révèle l'étoffe d'une exceptionnelle artiste. Complètement prise dans son chant, sa voix claire et céleste s'exhale au-delà d'elle-même. Comme absente du monde, promenant son regard dans l'espace du Grand Théâtre, jamais elle ne fixe le chef qui dirige un très bel . Elle sait ce qu'elle chante, pourquoi elle chante, et en magnifique musicienne, ce que le texte et la musique dans leur essence lui imposent de dire. Un instant magique et émouvant justement récompensé par les lauriers qui lui ont été décernés.

Restent les «loosers». Comme dans presque toutes les compétitions, seul le nom des gagnants des premiers prix reste dans la mémoire. Celui des autres lauréats est vite oublié sans pour autant que cela les freine dans le développement de brillantes carrières. Dès lors, pourquoi attribuer d'autres prix que le premier ? D'autant plus, qu'en dehors de ceux-ci et leur évidence, les jurés, choisis dans des professions qui n'ont pas forcément des intérêts convergents sur la finalité de l'utilisation des concurrents dans leurs carrières professionnelles, ont des avis qui divergent grandement d'un candidat à l'autre. Ainsi, certains chanteurs alignés dans la finale de ce Concours de Genève n'ont pas été récompensés au simple titre de la musique. Celle qui s'écrit avec une majuscule.

Au premier rang de ces concurrents malheureux, la soprano australienne Valda Wilson ne bénéficie d'aucune reconnaissance officielle. Et pourtant. La voix de cette jeune femme est certainement l'une des plus belles jamais entendues sur la scène du Grand Théâtre de Genève depuis de bien nombreuses années. Son «Je marche sur tous les chemins» de la Manon de Massenet dévoile une musicalité subtile dans une voix aussi aérienne qu'aérée qui n'est pas sans rappeler une certaine Victoria de Los Angeles, autre célèbre premier prix du Concours de Genève en 1947. Armée d'une simplicité vocale désarmante et exemplaire, elle place la barre de la musique très haute dès le début de ce tour final. Mais comme le soulignait Jean-Jacques Balet, le professeur d'accompagnement et de musique de chambre contemporaine au Conservatoire Supérieur de Genève : «En 1947, en musicien Dinu Lipatti dominait le monde du piano. Aujourd'hui, on entend Lang Lang ! Les temps changent.» Ainsi des artistes aussi sensibles et musiciennes que Valda Wilson semblent avoir moins de chances de toucher le monde de l'opéra à l'époque quelque peu superficielle dans lequel il vit actuellement. Peut-être qu'avec un peu plus d'audace vocale, plus de spectaculaire, elle enchantera ses auditoires comme dans son inoubliable «Les Filles de Cadix» de Léo Delibes chanté lors du second tour éliminatoire.

Autre concurrente malheureuse, la soprano Soon Young Kim n'a pas eu les honneurs d'un prix. Là encore, irréprochable, la chanteuse coréenne domine tout le spectre de la voix, sans aspérité aucune dans les notes de passage. Elle fait de son «Piangete voi» d'Anna Bolena de Donizetti un très beau moment de «beau chant». Cependant, probablement parce qu'il est si beau, il ne raconte rien du texte de cet air de folie. Logiquement, le métier doit encore rentrer chez la jeune soprano asiatique.

Seul représentant masculin en finale, le ténor coréen Seil Kim choisit l'ingratitude d'un air du «Davide penitente» de Mozart sur lequel il trébuchera se fermant inexorablement une quelconque reconnaissance. Dommage, parce que la voix est rare et intéressante, même si son air de Lensky d'Eugène Oneguine pêche gravement dans la prononciation de la langue russe.

Autre représentante asiatique, la mezzo coréenne Jung-Mi Kim (à croire que toute la famille Kim chante mais aucuns liens de parenté ne joint ces trois finalistes au patronyme identique !) mérite son deuxième prix quand bien même son interprétation du «Parto, parto» de La Clemenza di Tito de Mozart ne transcende pas. Pas plus que le rondo final de La Cenerentola de Rossini dont les vocalises apparaissent un peu courtes. Mais la voix est là, belle, chaude, profonde, les aigus comme les graves bien sonores, la mezzo s'est révélée solide et admirablement préparée dès le début de la compétition. Elle laisse le souvenir d'un époustouflant «Agitata da due venti» de la Griselda de Vivaldi en ouverture du premier jour du concours, une démonstration d'agilité extraordinaire qui, d'entrée de jeu, lui a ouvert la porte vers la finale.

Plus surprenante par contre reste la décision du jury d'accorder le troisième prix à la soprano française . Si elle possède une puissance vocale souvent impressionnante, elle manque d'expression artistique. Ainsi, le soir de la finale avec orchestre après un assez bien chanté «Elles se cachaient… Il ne revient pas» du Faust de Gounod, son ennuyeux et faussement intimiste «September» des Vier letzte Lieder de Strauss laisse l'auditeur sur sa faim.

Crédit photographique : Valda Wilson ; © Bertrand Cottet

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