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Versailles. Château de Versailles / salle du Grand couvert du roi. 10-X-2009. Jean-Frédéric Edelmann (1749-1794) : Sonate en mi mineur op. 10 n°4 ; Jean-Louis Adam (1758-1848) : Sonate en sol mineur op. 7 n°2 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1789) : Variations sur un thème des Mariages samnites de Grétry K352 ; Hyacinte Jadin (1769-1802) : Sonate, en ut dièse mineur op. 4 n°3 ; Hélène de Montgeroult (1764-1836) : Études n° 106, 104, 66 et 111. Alain Planès, piano Lapissa (Vienne, 1815)

Versailles. Théâtre Montansier. 17-X-2009. La Belle et la Bête, spectacle pantomime d’après l’opéra-comique d’André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) : Zémire & Azor, sur un livret de Jean-François Marmontel, d’après le conte La Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont. Pastiche musical fait d’extrait empruntés à de œuvres de Grétry, Haydn et Mozart. Avec : Compagnie Le Shlemil Théâtre. Mise en scène, direction artistique : Cécile Roussat et Julien Lubek. Scénographie : Antoine Milian. Costumes : David Messinger. Ensemble Ausonia, direction : Frédérick Haas

Parmi l'opulente programmation de ce rendez-vous annuel automnal à Versailles, on élira deux joyaux.

Dans l'exercice délicat de composer un récital pour le clavier qui, d'un répertoire inconnu, en propose à la fois le panorama (en ses divers niveaux qualitatifs) et les rocs (des partitions de grande envergure), a atteint l'idéal. Pour le panorama, c'est-à-dire la recherche d'œuvres qui peignent la sensibilité dominante à une époque donnée, la sonate et les études d' correspondent à l'idée communément admise quant au goût musical à la fin du XVIIIe siècle français. À l'instar du fameux Hameau sis près de Trianon où une architecture factice (pur décor de théâtre, cet édifice n'a pas de profondeur, donc pas d'existence physique) est un écrin pour épanouir une sincère sensibilité à la Nature originelle, ce goût musical privilégia une esthétique de la charmante fragilité. Gracieux mais assez vite oublié. Puis, au cœur de ce programme, résonna un peu connu cycle de variations que Mozart écrivit d'après une œuvre lyrique de Grétry ; la variation alla Mozart y est intacte, avec son parcours circulaire et le désir de non-perdition (jamais le thème initial n'est placé hors de la conscience de l'auditeur), ce qui n'empêche nullement des atmosphères contrastées, notamment dans le bouleversant visage de la mélancolie. Enfin, les sonates d'Adam et de Jadin ont constitué la colonne vertébrale de ce programme. La première a frappé par sa construction solide mais inquiète en ses irrégularités (deux mouvements, comme certaines des ultimes sonates de Haydn) et par un discours musical en perpétuel suspense. Si le premier mouvement s'est présenté comme un monde désolé et anxieux, le second fut une vertigineuse course à l'abîme. Quant à la sonate de Hyacinte Jadin, elle a confirmé la grande envergure de ce compositeur que la camarde faucha bien trop tôt. Tout comme le trio à cordes que Trio AnPapié joua, si bien, lors du dimanche à Trianon le 4 octobre, cette sonate recèle de rageuses aventures harmoniques, une maîtrise du temps long et une irrépressible nécessité de rompre les élans expressifs et discursifs afin de les réorienter subitement vers l'inattendu et l'inouï.

Mais ce programme, ô combien intelligent, n'eut été que virtualités si ne lui avait si merveilleusement rendu sa chair sonore. Les années passant, ce grand musicien a approfondi un entendement limpide de son métier : il sait quelle est sa place, essentielle pour rendre réel – certes fugacement – le texte musical, mais destinée à la transparence afin de laisser l'auditeur dialoguer, directement, avec l'œuvre. Nul orgueil dans cette omission de soi, juste l'accomplissement d'une démarche. N'est-ce pas là le portrait de grands interprètes, tel Rudolf Serkin ? Assurément ; et est de cette rare famille. Ajoutons qu'il toucha là un piano ancien d'une sombre et moroitante beauté.

Passons à l'autre joyau : La Belle et la Bête, qui mêle la pantomime au pastiche musical. Décidément, l'opéra-comique Zémire & Azor de Grétry et Marmontel a bien de la chance en cet automne : après la singulière production lyrique créée, le 17 septembre dernier, à l'abbaye de Royaumont, cet ouvrage se mue ici en une admirable et spirituelle parodie. Le socle de cette production versaillaise est le conte proprement dit : La Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont.

De notre (déjà assez longue) vie de spectateur, cette production est une des rares où l'onirisme devient préhensible aux sens, sans désemparer, pendant toute la durée de la représentation. L'imaginaire scénographique qui, ici, prend chair est celui des livres animés dont, enfant, nous avons raffolé et grâce auxquels chacun d'entre nous prit conscience qu'il existe une entité spatio-temporelle – mentale et affective – distincte du temps et de l'espaces sociaux. L'imaginaire de ce spectacle a une autre source : la veine fantastique au temps du cinéma muet. On songe là au film Die Nibelungen de Fritz Lang : sa maquette du dragon géant que Siegfried combat (elle appartient aux collections permanente de La Cinémathèque française) semble se prolonger dans la marionnette de La Bête (une façon de grand mais très souple saurien roulant qu'un manipulateur rend expressif par des tiges qui en animent les membres supérieurs). La pantomime, qui entrelace toutes les échelles de grandeurs (du minuscule au géant), envoûte par son savant alliage de récit, quelquefois effrayant, et d'humour. L'éclairage, surgi de nulle part et jamais frontal, est d'une finesse peu ordinaire, dégageant des micro-espaces autarciques que l'œil du spectateur parvient cependant à tous embrasser en un regard. Quant à l'écriture mimodramatique, elle ravit, au plein et littéral sens du verbe : allusive et virtuose en rythme comme en agilité, elle devient sortilège quand on mesure que seuls cinq «acteurs» se démultiplient sur le plateau.

Ce rêve éveillé demeurerait inaccompli si la part musicale n'était si passionnante. Pourtant, le pari était risqué : réaliser un pasticcio (pour reprendre le terme en vogue au XVIIIe siècle) dont le morcellement suscite l'unité. Pourquoi une mosaïque de morceaux, pour la plupart, arrangés (ouvertures d'opéras, mouvements de symphonies, airs d'opéra) devient-elle homogène ? On ne sait expliquer ce prodige mais on constate qu'il a lieu : les ouvertures d'Idomeneo et de Die Zauberflöte, le 2ème mouvement du Concerto pour piano n° 21 de Mozart et un trio de Haydn s'entrelacent sans défaut à des pages arrachées à l'opéra-comique de Grétry. Créditons en , ce grand claveciniste qui dévoile ici de grands talents d'arrangeur. En outre, il se révèle éminent pianofortiste, au point que le corpus concertant mozartien lui est évidemment destiné. Et vive Ausonia qui, en alliant sonorités pleines et alacrité rythmique est la vie même.

Crédit photographique : Alain Planès © Elisabeth Carecchio ; La Belle et la Bête © Atcherniak

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Versailles. Château de Versailles / salle du Grand couvert du roi. 10-X-2009. Jean-Frédéric Edelmann (1749-1794) : Sonate en mi mineur op. 10 n°4 ; Jean-Louis Adam (1758-1848) : Sonate en sol mineur op. 7 n°2 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1789) : Variations sur un thème des Mariages samnites de Grétry K352 ; Hyacinte Jadin (1769-1802) : Sonate, en ut dièse mineur op. 4 n°3 ; Hélène de Montgeroult (1764-1836) : Études n° 106, 104, 66 et 111. Alain Planès, piano Lapissa (Vienne, 1815)

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