« L’eau qui danse, la pomme qui chante et l’oiseau qui dit la vérité » de Gilles Tremblay : table-ronde
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En vue de la création de l'opéra de Gilles Tremblay, L'eau qui danse, la pomme qui chante et l'oiseau qui dit la vérité, dont la première aura lieu le 19 novembre 2009 au Monument-National à Montréal, ResMusica a rencontré quatre artisans au cœur de l'œuvre. Table-ronde avec Pauline Vaillancourt, Lorraine Vaillancourt, Robert Bellefeuille et Jean Bard.
Pauline Vaillancourt. Cofondatrice et directrice de Chants Libres, (une compagnie lyrique de création) Pauline Vaillancourt mène une carrière remarquable au Canada et en Europe. Elle a créé sur scène plusieurs œuvres, entre autres, celles de Georges Aperghis, Claude Vivier, Serge Nigg, Michael Finnissy, Gilles Tremblay, Sylvano Bussotti, Serge Garant, José Evangelista et Bruce Mather. Elle a participé à plusieurs festivals européens et américains et a enregistré plusieurs disques sous étiquettes Amberola, SONARt, SNE et Port-Royal, pour Radio-France, la BBC (Londres) et la Société Radio-Canada.
Lorraine Vaillancourt. Fondatrice et directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne, la pianiste et chef d'orchestre Lorraine Vaillancourt se produit régulièrement depuis les trente dernières années, pour plusieurs ensembles. a contribué à la fondation du «Circuit», revue nord-américaine de musique du XXe siècle.
Robert Bellefeuille. Le metteur en scène Robert Bellefeuille est un homme de théâtre polyvalent. Membre fondateur du Théâtre de la Vieille 17, il en est le directeur artistique et général depuis 1983. Il a reçu le Prix Théâtre Le Droit et le Prix d'excellence artistique Théâtre Action pour la qualité exceptionnelle de son travail. Il est professeur titulaire du programme de mise en scène à l'École nationale de théâtre du Canada. On lui doit les mises en scène de créations remarquables, Le comte de Monte-Cristo, Jouliks, La Dame aux camélias.
Jean Bard. Très actif sur les scènes théâtrales montréalaises, le scénographe Jean Bard, dont on peut voir le travail autant à l'Espace GO qu'au Théâtre de Quat'Sous ou au Théâtre d'Aujourd'hui, vient en aide aux jeunes finissants, surtout ceux qui se regroupent afin de créer leurs propres spectacles et de trouver un langage théâtral qui leur est propre.
ResMusica : Vous avez une très grande connaissance de l'œuvre de Gilles Tremblay. Vous avez sûrement des affinités avec le compositeur. L'opéra, d'ailleurs, est une commande de Chants Libres.
Pauline Vaillancourt : Effectivement, c'est une commande. Mais l'initiative en revient à Gilles Tremblay. En 2002, il m'avait dit qu'il voulait composer un opéra ludique. C'est peut-être en 2004 qu'il en a commencé l'écriture. C'est lui qui a choisi le thème à partir des contes de Madame d'Aulnoy. Il y a eu la rencontre avec Pierre Morency qui fut déterminante. Ils se sont très bien entendus. La poésie et la musique se marient parfaitement. Et c'est devenu un opéra féerie. À part le texte, il y a toute la musique qui apporte son monde aussi. Et ce que j'aime du metteur en scène Robert Bellefeuille, c'est qu'il a été plus loin que le texte, et a su tirer du livret et de la musique, les choses qui m'apparaissent essentielles.
Robert Bellefeuille : Lorsque Pauline m'a demandé de faire la mise en scène de l'opéra, comme je monte beaucoup de créations, donc par définition, des œuvres qui n'ont jamais été montées, tout est possible. On a le privilège de faire pour la première fois. Le texte de Pierre Morency m'est apparu comme une allégorie. Mon travail consiste à consolider l'œuvre, texte, musique et chanteurs sur scène, de voir les rapports des différentes composantes, d'établir l'équilibre entre les images qui vont apparaître. Je travaille avec Jean Bard et nous avons beaucoup parlé de l'espace et l'espace que la musique allait occuper, la place des chanteurs dans cet espace. Dans cette féerie, on raconte une histoire. Les choses se passent vite, en un clin d'œil elles arrivent. Il faut raconter la réalité de l'histoire même s'il s'agit d'une féerie ! Quand nous écoutons la musique, nous sommes transportés dans un Orient imaginaire, où l'eau danse, un oiseau parle, une pomme chante. Jean a proposé l'image des aurores boréales, c'est la magie qui s'installe comme toile de fond ! Il y a des éclairs de chaleur qui sont intimement liés à l'émotion des personnages. Je dis souvent aux chanteurs, l'image est derrière vous, elle est là comme un écrin. Parfois vous êtes le coryphée de l'image, parfois, vous faites partie de l'image. Je veux donner une clé au spectateur, un sens à l'histoire. Peut-être va-t-il interpréter l'histoire différemment. Mais c'est une piste.
PV : Je sais aussi que Gilles Tremblay en composant son opéra s'est amusé comme un enfant. Il racontait le conte à ses enfants et à ses petits-enfants. Il se mettait au piano, il était habité par chacun de ses personnages.
RM : Comment aborde-t-on une œuvre contemporaine comme celle de Tremblay ?
Lorraine Vailancourt : En ce qui me concerne, mon travail s'intègre parfaitement avec celui de mes collaborateurs. Il y a une grande souplesse de part et d'autre. On essaie dès le départ, avec les répétitions au piano, d'équilibrer les différents éléments. Et, je dirais qu'automatiquement, tout en découle. Bien sûr, parfois la musique s'accélère et nous interdit de prendre plus de temps. C'est un travail d'équipe, tous les gens impliqués savent pertinemment ce qu'ils ont à faire et ils font partie d'un tout. Le but, c'est de respecter la musique. J'aimerais revenir sur un point qui m'apparait essentiel en ce qui touche l'opéra contemporain. Souvent dans l'opéra classique, les livrets sont faibles au sens littéraire du terme. L'accent est mis sur le drame, uniquement le drame. Alors que c'est souvent le contraire qui se passe avec les compositeurs d'aujourd'hui. Ils adoptent un texte puis ils travaillent sur la matière littéraire. Il n'y a pas toujours ce climax tant attendu. On reprochait exactement la même chose à Claude Vivier avec son opéra Kopernikus en 1979. Mais pour revenir à l'œuvre de Tremblay, cela se passe dans un pays imaginaire, un ailleurs.
PV : C'est presque un opéra de forme classique, avec ses entrées, ses airs. Les gens vont certainement se retrouver facilement. On reste dans une formule classique avec douze chanteurs sur scène. Il y a aussi des musiciens sur scène, trois percussionnistes et un piano. Dans la fosse d'orchestre, les cordes et les vents et bien sûr le chef d'orchestre. Et un des défis, c'était d'intégrer les musiciens sur scène dans la scénographie et non pas de les laisser là, seuls, inutilement.
RM : Vous travaillez en étroite collaboration avec Robert Bellefeuille. En lisant attentivement le livret, je me suis demandé de quelle manière un metteur en scène, un scénographe pouvaient arriver à faire vivre un texte qui me semble avant tout narratif ?
Jean Bard : On peut établir un discours en parallèle. Je travaille davantage le visuel, la dimension spatiale. Il peut y avoir rupture de sens aussi. On travaille sur les images, sur le vocabulaire. Il en ressort un équilibre à partir de tous ces éléments. Il y a une architecture propre à la pièce, les chanteurs entrent dans ce cadre spécifique. La féerie en fait partie tout comme la réalité. Pour ma part, je trouve l'écriture très dense, très ramassée.
RB : C'est certain que c'est un livret particulier. Ce que j'aime, c'est son unicité.
RM : Comment la voix est-elle traitée ?
PV : La voix est traitée sous toutes ses formes. C'est très lyrique. Les chanteurs ont leurs airs et entrent dans la peau d'un personnage. Gilles Tremblay a aussi beaucoup utilisé la parole en rythme, un parlando lyrique, pas toujours facile pour les chanteurs ! Mais ce sont des défis relevés par les chanteurs qui deviennent à leur tour, eux aussi, des créateurs. Ils font partie de l'atelier créateur. L'Oiseau est très vocal. Belle-Étoile, un soprano léger colorature, comme on peut s'y attendre. C'est un rôle extraordinaire à créer. Il y a Yby qui raconte, toujours accompagné du Tambour-Parleur. Il est le passeur entre le monde imaginaire et le monde réel. Mais il joue aussi les personnages de Corsaire et Corsine. C'est vraiment une fable.
RB : Yby devient notre lien entre les hommes, un peu comme Shakespeare a fait dans Le Songe d'une nuit d'été. Personne ne se questionne sur l'eau qui danse ou une pomme qui chante. Il faut prendre cela comme acquis, j'allais dire l'accepter comme quelque chose de normal. Il y a aussi une autre dimension. On a beaucoup travaillé sur le relationnel interdit entre Chérot et Belle-Étoile. Ils ressentent quelque chose l'un pour l'autre. Il y a tout le pouvoir de l'évocation. Mais il faut aller voir cette œuvre. L'idéal ce serait de voir la musique et d'entendre la poésie.
RM : Peut-on espérer une sortie prochaine sur support DVD ?
LV : Il est prévu de tourner un DVD et il y aura une diffusion à Radio-Canada. J'espère que par la suite, cela pourra être commercialisé.