Les trompettes de Purcell : naturellement renommées

Il est curieux de constater que depuis toujours, dans l'inconscient collectif des musiciens, et plus largement des mélomanes, le nom de Henry Purcell reste intimement lié à la trompette. Sans doute avons-nous le souvenir de ces fameux Trumpet voluntarys, entendus lors de cérémonies de mariage, ou quelque autre concert « trompette et orgue ». A y regarder de plus près et avec un peu plus de sérieux, l'intention est judicieuse, et les couleurs de ce nouveau disque nous plongent dans un univers où la trompette se plait et nous plait. Ici, point de compromis, les trompettes sont « naturelles », c'est-à-dire dans leur présentation primitive, sans pistons, et développant uniquement les notes naturellement émises par la colonne d'air, grâce à l'ingéniosité et les lèvres de l'interprète. Malgré ces limites, la trompette naturelle connut de grands virtuoses dont le plus célèbre reste Gottfried Reiche, trompettiste allemand qui créa la plupart des œuvres de Johann Sebastian Bach, toujours très difficiles, et qui finit par en mourir à la suite de l'exécution de la cantate profane BWV 215, donnée un soir en plein air, à la lueur des torches, et dont les fumées lui furent fatales.

Le programme du présent CD s'articule autour de la personnalité de Henry Purcell, et de ses contemporains anglais, parfois peu connus, mais qui écrivirent une musique dans la même lignée. La trompette appelle une musique festive, joyeuse, souvent soutenue par des percussions. Comme l'indique le titre de la pochette, la sonorité des trompettes passe d'un rivage à l'autre, shore to shore depuis ce petit maître William Shore et sa marche princière, jusqu'à Jeremiah Clarke, célèbre par quelque voluntary, et rendant hommage à son collègue. L'ensemble Arianna dirigé avec fougue depuis le clavier par Marie- Paule Nounou, nourrit pleinement ces musiques de fête, avec panache, et aussi beaucoup de diversité. Les sonates, marches et chaconnes, beaux témoins musicaux d'une époque ou la rhétorique était de mise, se succèdent et se répondent, tels de vastes échos, préfigurant parfois quelques musiques de Händel, digne successeur de Purcell. Nous retrouvons avec plaisir également quelques compositeurs de cette grande Europe musicale, Corelli et Dieupart, au même diapason que leurs homologues britanniques. Les trompettistes Madeuf et Lahens maîtrisent entièrement leur instrument, l'ensemble baroque Arianna est parfait, à la fois dans son rôle d'accompagnateur, mais aussi de soliste, en particulier dans l'une des grandes chaconnes de Purcell, pièces envoûtantes et incantatoires. Purcell sonne ici dans toute sa lumière.

La prise de son, très directe, restitue dans les moindres détails toutes les attaques des instruments, pour la plus grande joie des sens. « Rivage à rivage » certes, mais « du cœur au cœur aussi », comme aurait dit un certain Beethoven.