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Lyon. Opéra National. 18-X-2009. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène : Adrian Noble. Décors : Tom Pye. Costumes : Deirdre Clancy. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Sue Lefton. Avec Markus Werba, Don Giovanni ; Vito Priante, Leporello ; Alexandrina Pendatchanska, Donna Elvira ; Jacquelyn Wagner, Donna Anna ; Andrew Kennedy, Don Ottavio ; Andreas Bauer, Commandeur ; Tomislav Lucic, Masetto ; Christina Daletska, Zerlina. Chœurs de l’Opéra de Lyon, direction : Alan Woodbridge. Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction : Christopher Moulds.
Le dernier Don Giovanni vu à Lyon date déjà d'il y a onze ans ! Il s'agissait d'une reprise de la désormais célèbre production de Peter Brook qui avait inauguré l'ère Lissner au festival d'Aix-en-Provence 1998.
Ayant fait illusion dans la cité du Roy René, sous l'œil complaisant des médias, le travail minimaliste et sans grande force dramaturgique du metteur en scène anglais ne nous avait guère convaincu ; la direction brutale de Daniel Harding et une équipe de chanteurs très inégale (impeccable Mattei, Cachemaille usé, Diener placide… ) n'arrangeant pas les choses. Assurément, Don Giovanni nous devait une revanche!
Alors pari gagné pour cette nouvelle production qui ouvre la saison, et conclut la collaboration initiée entre Adrian Noble et l'Opéra par Così fan tutte en 2006 ? Affirmatif, si l'on s'en réfère à l'accueil ultra-chaleureux réservé par le public à l'issue de la représentation. Négatif, en ce qui nous concerne, tant ce Don Giovanni nous sera apparu comme le plus anecdotique jamais monté, desservi par une distribution largement contestable – nonobstant quelques bons éléments- et une direction d'orchestre plaisante mais superficielle, se permettant de surcroît la coupure du deuxième air de Don Ottavio («Il mio tesoro intanto»).
N'y allons pas par quatre chemins : Adrian Noble, ancien directeur de la Royal Shakespeare Company, devenu l'un des metteurs en scène attitrés de la maison (avec Peter Stein) n'a strictement rien à dire sur le chef-d'œuvre de Mozart. Des Don Giovanni, on en a vu de toutes sortes. Certains étaient outrageusement ratés, comme celui de Pitoiset à Bastille ou Ronconi-Salzbourg, sans parler du délirium tremens de Calixto Bieito à Barcelone. Les autres n'étaient pas parfaits (l'œuvre est un tel sphinx !) mais tous avaient quelque chose de saillant à proposer. Chez Warner à Glyndebourne, Guth, Kusej, Freyer, McVicar, Chéreau ou Bondy à Salzbourg, Haneke à Paris, on lançait de multiples pistes de réflexions. Des spectacles audacieux et plein de lignes de forces. Un point de vue aussi, plus ou moins pertinent selon les cas. Qui éclaire les mille et une dimensions de l'ouvrage, qu'elles soient psychologiques, métaphysiques, sociales ou sexuelles. Même des spectacles plus traditionnels comme Strehler-Milan, ou Zambello-New-York suintaient l'intelligence sans parler d'un Peter Sellars génialement inspiré chez Decca ; le plus explosif et sensuel des Don Giovanni, hélas médiocrement chanté.
Que propose Adrian Noble ? Tout d'abord l'inutilité d'une transposition dans le New York des années 30 qui n'apporte rien, sinon l'exotisme de décors et costumes qui peuvent rappeler les films de John Huston ou d'Howard Hawks. Nous voilà téléportés dans les bas-fonds de Little Italy, aussi clean qu'une cuisine Mobalpa. Pas de surprises avec les cages d'escaliers rouillées échappées du West Side Story de Robert Wise, et les quelques idées de décor (le linge aux fenêtres dans le deuxième acte) bien inoffensives. Des voyous vaguement mafieux y côtoient des prostituées et de grandes dames égarées sans qu'aucun choc social ne se produise jamais. Par ailleurs gratifié de superbes éclairages de Jean Kalman, entre chien et loup ou d'une crudité aveuglante, ce spectacle n'offre rien d'autre que sa joliesse narrative (le petit théâtre Noble a fait ses preuves), son effervescence scénique, plus soucieuse de remplissage (les couples défilant pendant «Vedrai Carino», le bal masqué à la fin du premier acte) que de pertinence dramaturgique. Quid de la gémellité troublante Leporello-Don Giovanni ou de l'énigme Donna Elvira ? Tous les personnages s'agitent sans exister autrement que par des stéréotypes, Noble ne s'embarrassant pas de considérations psychologique (Elvira plus hystérique que jamais, Zerlina oie blanche, allumeuse malgré elle). Quand à la dimension métaphysique de l'œuvre, elle est singulièrement absente : Don Giovanni n'est-il pas cet insoutenable jouisseur que l'on veut réduire à néant, ce subversif qui défie le ciel à l'instar de Prométhée dérobant le feu au Dieux ? Ici, c'est un médiocre séducteur promis à une mort qui ne procure aucun effroi, aucun vertige. Quant aux fausses audaces, comme le viol de Donna Elvira lors du souper, elles sont dérisoires tant auparavant rien n'aura semblé moins sexué, moins dangereux que ce Don Giovanni finalement très banal.
Noble a trouvé en Christopher Moulds le partenaire idéal. Admirateurs de Furtwangler, de Mitropoulos ou Klemperer, passez votre chemin : ici, le défi est d'expédier la partition le plus vite possible. On n'ose penser à lecture si creusée et réfléchie d'Harnoncourt au disque… C'est le syndrome TGV, déjà constatée in loco en juin dernier lors de La Traviata. La direction est d'une vélocité à faire peur, ce qui pourrait être une qualité tant l'opéra de Mozart est avant tout une désespérante course à l'abîme. Mais le chef d'œuvre mozartien, qui a posé problème aux plus grands (Karajan en tête) ne peut se contenter d'une lecture aussi univoque. Comment peut-on passer à ce point à côté du dramma giocoso ? Pourquoi avoir à ce point peur du silence et de l'abandon? Malgré l'équilibre fosse-scène recherché et plutôt réussi, et l'attention portée aux chanteurs, nous avons entendu dans cette baguette que superficialité et prosaïsme (le trio des masques, les airs de Zerline).
La distribution réunie à Lyon ne restera pas dans les annales, même s'il transparait une louable volonté de faire confiance à de jeunes chanteurs. Le trésor en est incontestablement Vito Priante, Leporello de grande classe, mâle présence scénique, charismatique, timbre à la Idelbrando D'Arcangelo au métal sombre et beau. Dans l'acoustique si sèche de l'Opéra de Lyon, l'impact de cette voix est étonnant. On lui doit le sommet de la soirée, un air du catalogue gouleyant qui en remontrerait à d'autres ! Le reste est nettement en dessous. Markus Werba est-il un Don Giovanni? Très à l'aise dans Papageno, ce superbe chanteur de lied, parfait dans les passions de Bach n'a pas l'italianità souhaité, ni la présence vocale qu'il faut au Don. Il reste assez court de projection, surtout à côté de Priante. Bon acteur, il n'a pas la virile présence de son confrère italien et pour le moins le duo s'en trouve déséquilibré. Andrew Kennedy est un Ottavio sonore capable d'un beau legato dans «Dalla sua Pace» ; ailleurs il aura semblé un rien plébéien, même s'il nous change des Trissotins efféminés trop souvent distribués dans le rôle. Bon Masetto de Tomislav Lucic et Commandeur plutôt faiblard d'Andreas Bauer.
Les Dames soufflent le chaud et le froid : Alexandrina Pendatchanska, pour laquelle on a pu nourrir il y a quelques années de grands espoirs, exhibe un timbre fatigué, affublé aujourd'hui d'un bien désagréable vibrato. C'est regrettable car l'interprète est toujours aussi intense (comme dans l'enregistrement de René Jacobs), véhémente dans «Ah chi mi dice mai» passionnée dans «Mi Tradi». Quel dommage que Noble n'est pas mieux exploité ses talents de comédienne ! Révélation du spectacle, Jacquelyn Wagner n'impose pas une présence scénique foncièrement captivante, mais le timbre est vraiment beau, féminin capable de belles nuances piano dans «Don Ottavio son morta». Si «Or sai chi l'onore» est encore un peu timide, «Non mi dir» est un des beaux moments de la soirée, avec de superbes vocalises -même s'il la pousse au bout de ses possibilités actuelles. Quant à Christina Dalentska, son émission curieusement instable n'en fait pas la plus idiomatique des Zerline.
Une production qui laisse un sentiment de déception. Espérons que l'Opéra de Lyon, si audacieux dans sa programmation, le sera aussi dans le choix de ses futurs metteurs en scène !
Crédit photographique : Andreas Bauer (Le Commandeur), Markus Werba (Don Giovanni) © Opéra National de Lyon
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Lyon. Opéra National. 18-X-2009. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène : Adrian Noble. Décors : Tom Pye. Costumes : Deirdre Clancy. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Sue Lefton. Avec Markus Werba, Don Giovanni ; Vito Priante, Leporello ; Alexandrina Pendatchanska, Donna Elvira ; Jacquelyn Wagner, Donna Anna ; Andrew Kennedy, Don Ottavio ; Andreas Bauer, Commandeur ; Tomislav Lucic, Masetto ; Christina Daletska, Zerlina. Chœurs de l’Opéra de Lyon, direction : Alan Woodbridge. Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction : Christopher Moulds.