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Royaumont 2009, Bach chez les Cisterciens

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Royaumont. Abbaye. 02-X-2009. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Matthaüs-Passion BWV 244. Andrea Büchel, Hélène Fauchère, Aurore Bucher, sopranos. Julien Freymuth, alto. Julian Prégardien (Évangéliste), Michael Fayfar, François Rougier, ténors. Benoît Arnould (Jésus), Samuel Le Bigot, Mauro Borgioni, Ekkehard Abele, barytons. Chœur d’enfants Carpe Diem (chef de chœur : Alain Palma), La Chapelle Rhénane, direction : Benoit Haller

Royaumont. Abbaye. 03-X-2009. Martin Matalon (n é en 1958) : Trame 2 pour clavecin et six instrumentistes ; Trame 4 pour piano et onze instrumentistes. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos Brandebourgeois n° 3 BWV 1048 et n° 5 BWV 1050. Maude Gratton, clavecin. Wilhem Latchoumia, piano. Les Siècles, direction : François-Xavier Roth

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Une Passion de Bach, c'est une véritable somme théologique et musicale du baroque en terre germanique et réformée. C'est ensuite la promesse de beaux moments de musique pour les auditeurs. C'est enfin le défi qu'a voulu relever Benoit Haller, secondé par son fidèle et dynamique ensemble La Chapelle Rhénane, ainsi que par le chœur Carpe Diem.

Rendons tout de suite hommage au jeune ténor , Évangéliste idéal malgré de menus soucis de santé qui font craquer ses aigus, vite oubliés tant la diction est claire et l'intention renouvelée – on en viendrait presque à souhaiter qu'il y ait davantage de récitatifs ! , très présent lui aussi, ne nous convainc ni dans son personnage du Christ, ni dans les airs qui lui sont confiés : chaque note émise semble gagnée de haute lutte, les aigus sont laids, les graves étouffés… les effets d'une fatigue vocale ?

Le reste du plateau est à l'avenant, sans pour autant qu'on puisse trancher sur les qualités de chacun avec autant de clarté : tel aura déçu dans son premier air, qui convaincra une demi-heure plus tard, comme l'alto qui, après un «Buss und Reu» un peu à l'arrachée, se fait tout d'aisance et de fluidité dans le bien connu «Erbarme dich». Tous partagent néanmoins le défaut de vouloir trop exprimer le texte, et notamment des mots aussi irrésistibles que «blut» (sang) ou «leid» (souffrance), ce qui donne lieu à de brusques changements de dynamiques, de tons, qui hachent les merveilleuses lignes vocales du Kantor. Au titre des associations malheureuses, on regrette que le numéro 27, «So ist mein Jesus nun gefangen», un des moments forts de la partition, ait été confié à la soprano Aurore Bucher et à l'alto Thi-Lien Truong : tandis que la première est toute dans l'extériorité, la seconde est dans le raffinement, la réserve. Comme de juste, le résultat est inégal bien que chacune ait un organe fort appréciable, à tel point qu'on en arrive à se demander si elles s'écoutent réellement.

Sous la direction volontaire de Benoit Haller, à la gestique parfois caricaturale, l'ensemble orchestral sur instruments d'époque offre un support plus que pertinent aux vocalises des solistes ou à la furie de la turba, bien qu'il les couvre parfois. Parmi les solistes, on citera plus particulièrement les deux premiers violons Guillaume Humbrecht et Clémence Schaming, le violiste Armin Bereuter ou encore le flûtiste Jean-Pierre Pinet, dont les interventions font la part belle à un rubato expressif de grande tenue.

Au terme de ce bilan mitigé, on déplorera enfin que les deux grands chœurs qui encadrent la première partie soient aussi confus : si la présence du chœur d'enfants enrichit merveilleusement la texture, on se rend vite à l'évidence que l'on n'y comprend rien. D'une grande complexité polyphonique, ces passages auraient pourtant mérité une direction plus claire. Le final quant à lui est interprété dans un mouvement assez nettement accéléré vis-à-vis d'interprétations canoniques comme celles d'Harnoncourt ou Leonhardt, ce qui ne nuit pas à la musique, au contraire. Plutôt qu'une déploration, ce changement de tempo nous fait ainsi mieux sentir toute l'ambivalence du sentiment qu'inspire au Chrétien la Passion du Christ : peine et joie.

Une production en dents de scies, donc, dont les faiblesses n'entament pourtant pas la magie ineffable de ce chef-d'œuvre. On notera en outre que cette interprétation trouvera son complément dimanche 4 octobre avec la Saint-Jean, donnée par les mêmes artistes.

Un programme taillé sur mesure pour les interprètes et qui s'insère dans la logique d'un événement est toujours appréciable. Il en a été ainsi du concert du lendemain proposé par et son ensemble Les Siècles, au cœur de ce week-end consacré au Kantor de Leipzig. Non content cependant de s'en tenir à des interprétations énergiques des Concertos Brandebourgeois n°3 et 5, on se félicite de leur initiative de coupler ces œuvres bien connues (nos préférées du cycle, avouons-le) avec les Trames 2 et 4 de . En plus d'entendre de très belles pièces, le programme ainsi concocté nous a offert un assez large éventail de réponses apportées par les compositeurs à la problématique essentielle du genre concertant : le rapport entre le ou les solistes et l'ensemble.

Trame 2 est une pièce très originale, rythmée en ces parties extrêmes, faite de brusques ruptures, et écrite pour un instrumentarium improbable : le moyen de marier des timbres aussi divers qu'un udu, un bandonéon ou un clavecin ? Pourtant, ça marche ! et tellement bien qu'on est vite happé par l'extraordinaire vitalité de l'inspiration et l'atmosphère parfois satyrique qui s'en dégage. Le rôle du clavecin, amplifié pour l'occasion, n'est guère concertant au sens propre : mise à part l'impressionnante cadence qui lui est réservée, cet instrument devient le soliste paradoxal d'une œuvre où chaque musicien a un rôle d'importance à jouer.

Le Brandebourgeois n°3 est quant à lui basé sur la logique du Concerto Grosso, tout en accentuant l'indépendance des pupitres. Le premier violon est certes prépondérant, mais ses camarades ne sont pas en reste et lui renvoient la balle le long d'une partition très dansante (à l'image de la gestique de ), quasi effrénée, dans un échange ludique dont chacun tire un grand plaisir, des deux côtés du pupitre.

On retient ensuite de Trame 4 la formidable prestation du jeune pianiste , qui s'empare avec énergie autant que musicalité de sa très volubile et virtuose partie. Son charisme est tel qu'on en oublierait presque ses partenaires, du moins jusqu'à l'explosion finale du morceau, d'une puissance telle qu'il nous a semblé voir trembler les augustes voûtes de l'abbaye…

La soirée se concluait enfin par le Concerto Brandebourgeois n°5, pour lequel nous sommes plus réservés. Véritable amplification d'une sonate en trio en même temps que première œuvre concertante pour clavier, l'interprétation de cette pièce a pâti de plusieurs défauts : tout d'abord de la trop grande discrétion du premier violon et du flûtiste, aux interventions inaudibles, souvent alourdies par des phrasés caricaturaux ; ensuite du jeu de . Encouragée par des tempi très enlevés dans les mouvements extrêmes, il semble que cette jeune interprète ait voulu démontrer à quel point elle pouvait bouger rapidement ses frêles doigts sur les deux claviers de son instrument, au détriment évident de la musique, notamment dans la cadence de l'Allegro initial. C'est peu dire qu'on y aurait souhaité davantage de respiration, de phrasé, au lieu du «rendez-vous au tutti final» auquel nous avons eu droit.

Ces quelques défauts mis à part, l'énergie déployée par les musiciens autant que leur évident plaisir de jouer était tel que ce concert ne pouvait qu'emporter l'adhésion du public, qui a chaleureusement applaudi tant les solistes que et , présent pour l'occasion.

 

Crédit photographique : Benoit Haller © JP Rosenkrantz ; François-Xavier Roth et Les Siècles © DR

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