Edito
Les temps ne sont pas aux hausses des budgets de la culture comme en témoignent les nombreuses menaces sur différentes formations et institutions musicales mondiales. Cependant, ces années douloureuses et difficiles ne doivent pas empêcher les acteurs de la musique d’avoir de l’audace et des idées et de montrer la créativité pour renforcer le rôle indispensable des orchestres car il vaut mieux conduire la locomotive que de courir derrière le train.
Outre les difficultés liées aux turbulences budgétaires, la situation économique et sociale ne joue pas en bénéfice de la musique classique. Si l’Opéra, par son côté spectacle total, est encore relativement épargné et continue de drainer des foules ; le concert symphonique classique, genre particulièrement rigide et codifié, est en plus grandes difficultés. Il va sans dire que le «cœur de cible» du public de la musique classique pose des problèmes de renouvellement à long terme. Par ailleurs, dans un contexte de resserrement des porte-monnaie et de grandes concurrences entre productions, la majeure partie du public n’accepte de se déplacer et de payer le plein tarif que pour des concerts qu’elle ressent comme des évènements.
Dès lors, la formule des concerts d’abonnements traditionnels est condamnée à disparaître et le nombre de concerts est forcément amené à être revu à la baisse. Les orchestres devront travailler de manière plus flexible autour d’évènements de type «intégrale» ou «marathons», sans oublier d’aller à la rencontre de nouveaux publics, de multiplier les déplacements dans les banlieues, les régions voisines et d’organiser régulièrement des concerts populaires (comme les célèbres Proms in the Park) ; sans oublier la promotion de concerts mixtes qui mélangent les genres musicaux du piano solo au grand orchestre (activités déjà promues par Pierre Boulez lors des années new-yorkaises !) ou qui alternent musiques du monde et musiques symphoniques…
Quant à la forme de concert telle que nous la connaissons : rituelle ; elle devra sans nulles doutes évoluer de manière drastique. Il n’est plus acceptable de «supporter» un concert avec un même éclairage qui tombe du plafond de façon polaire ; chaque œuvre jouée devra avoir une ambiance différente. Pourquoi également s’évertuer à programmer les concerts de 20h à 23h tel un acte social du XIXe siècle ? Est-il inconcevable d’avoir des formules de concert plus courtes, en toute fin d’après midi ou tout début de soirée qui correspondent mieux aux souhaits du public actif ? Considérant qu’il y a un grand besoin de vulgarisation, abandonnons l’idée des concerts en deux parties pour promouvoir un concert centré sur une œuvre avec un premier temps d’explication et un second d’interprétation intégrale de la partition….
Enfin, la pédagogie de qualité s’impose comme un maillon indispensable. Il faut travailler à des projets participatifs où toutes les générations peuvent se retrouver, élaborer des concerts courts, thématiques, organiser des ateliers qui mixent jeunes musiciens et professionnels. N’est-il pas navrant que la Salle Pleyel soit contrainte de convier l’Orchestre symphonique de Londres pour se produire avec des jeunes ? Pourquoi les pays francophones n’ont pas encore accueilli des projets comme ceux du chorégraphe Royston Maldoom qui a travaillé avec des jeunes et l’Orchestre Philharmonique de Berlin autour du Sacre du Printemps ?
Il ne s’agit pas de pointer du doigt les bons et les mauvais. Certaines institutions (trop rarement hélas dans les pays francophones) sont à la pointe, mais elles sont trop nombreuses à se complaire dans une léthargie par habitude ou manque de volonté. Bétonner la place des orchestres dans la vie des cités sera le meilleur argument contre les coupes sombres dans les budgets de la culture.