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Chostakovitch au-dessus de la Musique

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Gstaad, Festival-Zelt. 21 et 22-VIII-2009. Johannes Brahms (1833 – 1897) : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 77. Anton Bruckner (1824 – 1996) : Symphonie n°9. Richard Strauss (1864 – 1949) : Concerto pour hautbois et orchestre en ré majeur. Dimitri Chostakovitch (1906 – 1975) Symphonie n° 11 «l’année 1905» op. 103 . Joshua Bell, violon. Emanuel Abbühl, hautbois. London Symphony Orchestra, direction : Valery Gergiev

Menuhin Festival Gstaad 2009

Sautant d'un concert à l'autre, invité de toutes parts, à Moscou aujourd'hui, à Paris demain. Un petit saut à Gstaad, avant de retourner à Londres pour un enregistrement avec le pour s'envoler pour le Metropolitan Opera de New York, tout en essayant de fixer des rendez-vous avec les architectes et les autorités responsables du nouveau projet du théâtre lyrique du Kirov. est un homme pressé. Un manager moderne. S'il s'arrêtait quelques instants, peut-être aurait-il l'impression de perdre son temps.

Dans sa direction d'orchestre, une débordante énergie caractérisait son jeu. Dirigeant à même le sol, il se précipitait bras en avant entre les pupitres pour souligner un trait, donner un accent, remodeler l'œuvre à l'instant présent. Tel un grand épervier, ses mains tremblaient au-dessus de sa tête, calmant celui-ci, appelant celui-là à quitter sa retenue. Aujourd'hui, le geste est plus rare. Même s'il se trouve devant un orchestre admirablement huilé, les éclats qui faisaient jaillir l'émotion de ses prestations, la tension qu'il générait tout au long d'une œuvre, tout ce qui en faisait l'un des plus extraordinaires chefs d'orchestre de notre temps a laissé place à un savoir-faire admirable sans grande surprise. Hier ses concerts, habités par un vent de génie, laissaient l'auditeur pantois d'émotion, le souffle coupé, le cœur noué à l'image de ceux qu'il offrait dans ces mêmes lieux en 2006 ou l'an dernier. Aujourd'hui, comme assagi, , sans tomber dans le routinier, paraît favoriser sacrifier l'expression de ses fulgurances à une intériorité presque banale. Fatigue ? Lassitude ? Saturation ? Peut-être, mais tout en restant marqués du sceau d'une exceptionnelle qualité musicale, les concerts du chef russe n'ont plus guère qu'en de courts instants ce vent de folie enthousiasmant d'un passé pourtant proche.

On sait moins à l'aise avec Brahms qu'avec Prokoviev, avec Strauss qu'avec Chostakovitch. On n'attendait donc pas de grands miracles avec son interprétation du Concerto pour violon de Brahms, d'autant plus que la puissance du violon de manquait à l'appel des premiers et derniers mouvements de l'œuvre. Malgré ses efforts désespérant pour dominer les tutti de l'orchestre, ce n'est que dans le registre aigu que le violoniste américain réussissait à exposer son superbe phrasé. Sur le tapis soyeux de l'Adagio déroulé par un tout de miel, confirmera la beauté de son legato, et la douceur élégiaque de son articulation musicale. Dans la Symphonie n°9 d', monument de la musique romantique, si les deux premiers mouvements offrent au chef l'occasion d'exprimer des images fortes et proches de son monde animé par les grands compositeurs russes de cette époque, le dernier mouvement le voit quelque peu emprunté pour en suivre une ligne mélodique pas toujours clairement tracée. Tout en faisant naître d'admirables couleurs orchestrales, la presque discrète direction de Valery Gergiev porte au crédit du , ses valeurs toujours reconnues de précision, de son et de musicalité.

Au lendemain de ce concert, le rarissime Concerto pour hautbois et orchestre de était à l'affiche. A la répétition du matin, les nombreuses mises au point, les divers flottements entre pupitres, les corrections de la partition outre les exigences du soliste ne laissaient pas augurer du meilleur pour le concert du soir même si le hauboïste est depuis trois ans le soliste attitré de cet instrument auprès du London Symphony Orchestra. Il fut pourtant au-delà de toute attente. La personnalité et la qualité d'instrumentiste d'Emanuel Abbühl ont fait la différence. Dans cette œuvre, le compositeur n'a laissé que peu de place au soliste pour reprendre son souffle. Sans une technique de respiration continue, impossible d'arriver à bout de ce long solo d'une bonne vingtaine de minutes. Emanuel Abbühl, doté d'une maîtrise du souffle peu commune démontre des qualités musicales exceptionnelles rendant très agréable une œuvre qui, quoique inspirée par Mozart dans ses accompagnements, s'avère bien austère dans le développement de la partie soliste.

Une étonnante désertion d'une petite partie du public après l'entracte retrouve les festivaliers prêts à affronter un monument de , la Symphonie n°11 «l'année 1905». Cette magistrale fresque musicale s'inscrit plus comme un poème symphonique qu'une symphonie proprement dite. Plus d'une heure de musique ininterrompue pour brosser les quatre tableaux de cette œuvre. Retraçant les affres de la famine qui dévasta la Russie de 1905 et déclencha une première révolution réprimée dans le sang, Chostakovitch expose sa musique comme un film dans lequel quelques éléments récurrents reviennent en surface, tel le thème initial dense et lugubre comme un brouillard mortel enveloppant le peuple qui, au fil de la «symphonie», revient mêlé à d'autres structures musicales. Dans une musique qui lui colle à la peau, Valery Gergiev se noie totalement dans ce monde de cruautés et de vaines attentes d'un peuple souffrant. Entendre la plainte funèbre des contrebasses, des altos et des violoncelles annoncer la misère du peuple errant sur la place du Palace glace les sangs. S'immergeant dans ces tableaux sinistres, les couleurs orchestrales du London Symphony Orchestra varient en s'entrechoquant sans pour autant que l'unité du propos musical n'en soit affecté. Des éclats des cuivres soudain déchirants n'enlèvent en rien le velouté des cordes. Le chaos bientôt exacerbé des percussions, des cuivres soulignés par l'insistance de huit contrebasses retombe bientôt vers l'inaltérable tristesse de la misère. Pas de rédemption dans ces moments musicaux. Et quand tout à coup, quand au paroxysme sonore de l'orchestre, le dernier accord sonne comme un ultime appel à une vaine clémence divine, de longues secondes se passent avant que le public réalise que «la comédie est terminée».

En fin de concert, on se demande qui de Valery Gergiev ou du London Symphony Orchestra remporte la palme de l'émotion ? Sans qu'aucun des deux ne démérite, elle revient cependant incontestablement à Dmitri Chostakovitch qui, par ce qu'il exprime de la misère humaine au travers de son œuvre, se projette au-dessus de la Musique !

Crédit photographique : Valery Gergiev © DR

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