Emmanuel Pahud, directeur du Festival de l’Emperi
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Flûtiste reconnu, concertiste, membre de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, Emmanuel Pahud est aussi, avec le clarinettiste Paul Meyer et le pianiste Eric Le Sage directeur du Festival de l'Emperi à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) qui verra en 2009 sa 17e édition.
ResMusica : Pourquoi Salon-de-Provence ?
Emmanuel Pahud : Eric Le Sage est de cette région, plus exactement de Lambesc, à mi-chemin entre Aix et Salon. Après avoir fait plusieurs récitals avec Paul ou moi, Eric avait commencé des séries de concerts dans la région, à l'église de Vernègues. L'opportunité s'est présentée de reprendre la programmation musicale dans la cour du château de l'Emperi l'été, l'occasion idéale pour nous tous de commencer ensemble, en mélangeant piano, cordes et vents et faire des choses qu'on ne pouvait faire nulle part ailleurs.
RM : Quelles sont ces «choses qu'on ne peut pas faire ailleurs» ?
EP : Beaucoup de festivals se spécialisent, autour de programmes monothématiques. Nous avons voulu briser tout ça, mélanger les instrumentistes, chanteurs et comédiens, puis ajouter le cinéma. Nous voulions aller au delà des barrières et des catégories et trouver une autre thématique, moins traditionnelle.
RM : Depuis peu effectivement vous avez une partie cinéma dans votre programmation. Quelle en est la motivation ?
EP : Un de nos collaborateurs travaille à la cinémathèque de l'Institut Culturel Néerlandais à Paris et à un accès privilégié à beaucoup d'informations. L'histoire du cinéma et celle de la musique sont intimement liées, le cinéma muet n'existait que par la musique. Nombre d'œuvres musicales, surtout en Russie, ont été conçues pour ces films muets, dont nous rendons hommages cette années dans notre programmation russe : L'homme à la caméra ou La nouvelle Babylone.
RM : Mais vous n'utilisez pas lors des projections les musiques originales pourtant.
EP : Non justement, l'idée est de reprendre cette démarche et de la poursuivre, près d'un siècle plus tard.
RM : Et de renouer avec les premières musiques de films, improvisées en direct à l'orgue ou au piano.
EP : En partie improvisées et en partie écrites, un peu comme l'histoire du jazz. Un pianiste seul va improviser, un trio aussi mais en se conformant à une grille établie d'avance, un orchestre sera face à une musique composée.
RM : En plus de répertoires originaux et du cinéma, le Festival de l'Empéri laissent une large place à la musique contemporaine. Comment effectuez-vous vos choix ?
EP : L'idée est de mettre en perspective les compositeurs. Par exemple sur l'édition consacrée à la musique française, nous avons commandé des pièces à Philippe Hersant et Bruno Mantovani mise en parallèle avec Fauré, Ravel, … Il y a deux ans c'était Wolfgang Rihm confronté à de la musique de chambre germanique des XIXe et début XXe.
RM : Cette édition est consacrée à la Russie, nous avons vu le volet cinématographique, mais spécifiquement pour la musique, quels choix avez-vous fait ?
EP : Nous voulions rendre hommage aux Ballets Russes, et plus particulièrement à la création cosmopolite à Paris dans ces années là, qui voyait une symbiose entre musique, arts visuel et danse. Après des débuts tonitruants avec Stravinsky, Diaghilev a rapidement demandé à des musiciens français de collaborer, Debussy, Ravel, … En plus de cette thématique russe, il y a évidemment Haydn dont on fête le bicentenaire de sa mort, et dont le répertoire pour musique de chambre est exceptionnel.
RM : Bohuslav Martinů, un compositeur souvent revenu dans votre festival, décédé à y a 50 ans, n'apparait pourtant pas dans votre programmation cette année.
EP : On a préféré laisser les spécialistes de Martinů célébrer cette commémoration, mais une future édition du festival sera consacrée à la Mitteleuropa, qui nous permettra de faire plus de musique tchèque, entre autre.
RM : Paul Meyer, Eric Le Sage et vous êtes concertistes ; Jérôme Bloch, président du festival, a de hautes fonctions dans le Réseau Culturel Français à l'étranger. Comment trouvez-vous le temps d'en plus organiser un festival qui dure quinze jours ?
EP : Au départ le festival ne faisait que 4 ou 5 concerts. L'activité a été multipliée par deux en une quinzaine d'année. Au cours des saisons nous faisons des rencontres qui nous permettent de faire venir des artistes au festival, avec lesquels ont peut mettre en place plus rapidement un programme de concert. Le temps, on le trouve par le désir et par la volonté. Chaque année ce sont plus d'un millier de mails que nous nous envoyons pour mettre au point des programmes homogènes selon les disponibilités, faire des concerts auxquels on puisse mettre un titre et une saveur. C'est très important pour le public et pour nous musiciens. Et puis du coté des cordes nous avons beaucoup de membres de la Philharmonie de Berlin, des gens qui ont une tradition forte de la musique d'ensemble. Inversement des solistes habitués du festival ont été recrutés récemment par la Philharmonie de Berlin, le violoniste Daishin Kashimoto par exemple.
RM : Vous avez fidélisé des artistes qui viennent régulièrement, mais vous avez aussi fidélisé un public dans une région qui ne manque pas de festivals. Comment avez-vous réussi ce tour de force.
EP : Il y a une tradition musicale importante. Un festival précédait le notre, «Les Nuits de l'Emperi», célèbre pour leur coté long et froid, des concerts de quatuor à cordes dans lesquels le public venait en anorak, au cas où il y ait un coup de mistral. Maintenant il faut utiliser des moyens ciblés, en reprenant des œuvres, surtout les créations, dans les saisons, ce qui nous permet ensuite de faire des disques, c'est ainsi que se fait la publicité autour du festival. Nous avons ainsi un groupe de japonais qui vient spécialement chaque année dans la régions pour suivre deux festivals : Salzbourg et le notre. Une grande partie du public est locale, Salon tant entre Aix, Avignon et Marseille. Plus les «touristes musicaux», qui vont chez nous, mais aussi à Aix ou La Roque d'Anthéron, un festival «partenaire» puisque René Martin fait partie de notre comité d'honneur.
RM : Beaucoup de festivals ont eu des soucis financiers dernièrement. Avez-vous subi des restrictions de budget ?
EP : Effectivement la structure financière existante a été remise en cause, pusique fortement dépendante de subventions publiques. Mais grâce à une relation de confiance établie depuis plusieurs années nous avons pu maintenir notre programmation malgré un budget moindre en réalisant quelques économies de logistique et d'organisation. Cette crise nous a permis de rebondir pour clarifier certaines choses.
RM : 17e édition cette année, dans peu de temps le festival aura 20 ans. Quels sont les projets à venir ?
EP : Une année concentrée autour des compositeurs viennois, Haydn-Mozart-Schubert ou Schœnberg-Berg-Webern, mais aussi nombre d'autres compositeurs viennois ou qui ont vécu à Vienne (Mahler, Zemlinsky, Wolf, Korngold, …). Une autre autour de la Mitteleuropa, mélange de musiques slaves, germaniques, hongroises, … Et continuer à suggérer la création en mettant en parallèle des œuvres d'hier et d'aujourd'hui. Je pense à la Kammersymphonie n°1 de Schœnberg, dans sa version de chambre, une œuvre très forte qui provoque toujours des réactions qu'on aimerait bien voir sur papier musique.
RM : En 2013 le Festival de l'Emperi aura 20 ans et Marseille, toute proche, sera Capitale de la Culture. Une collaboration est prévue ?
EP : Une programmation méditerranéenne bien sur, d'Israël à l'Espagne, ainsi que des compositeurs français comme Roussel ou Jean Cras qui ont beaucoup voyagé sur la Méditerranée et en ont recueilli des impressions musicales très fortes.
RM : Pas Henri Tomasi ou Darius Milhaud, les enfants du pays ?
EP : Bien sûr, du moment que les «senteurs méditerranéennes» s'y retrouvent.