Plus de détails
Didier Oueillé dirige l'ensemble Endimione qu'il a créé il y dix ans. Son engagement dans la transmission est grand. Chanteur lui-même il a été élève d'Henri Ledroit et de Paul Eswood. Il enseigne le chant depuis des années avec passion et depuis deux ans dirige la classe de chant du Conservatoire du Tarn. Les progrès de l'ensemble Endimione force l'admiration d'un public qui va bien au delà du Tarn, dans la région Midi-Pyrénnées et Languedoc-Roussillon.
« Je pense que la motivation est la qualité première. Je sais très bien les voix que j'ai et sais donc ce que l'on peut faire. Je sais ce que l'on peut dépasser et j'ai parfois tendance à pousser un peu plus parce que j'ai plus confiance en eux qu'eux-mêmes»
Resmusica : Vous êtes un contre-0ténor et un enseignant : parlez- nous de votre engagement par rapport à la voix, au chant soliste et au chant choral ?
Didier Oueillé : J'ai commencé mon activité musicale par le chant. J'ai d'abord fait des études vocales et me suis occupé de ma voix et j'ai été très vite intéressé par la transmission. La transmission ça veut dire quoi ? Ca veut dire la formation des autres et la direction. C'est arrivé naturellement par des gens qui étaient autour de moi. Puis après cela a pris de l'ampleur et ça se conclut aujourd'hui par un poste d'enseignant en chant au conservatoire et la direction d'Endimione. Également par la formation d'autres chœurs dont je n'ai pas la responsabilité mais qui me demandent de venir assez régulièrement pour les aider, par le biais de structure de formation comme les associations régionales de développement des arts, les anciens centres d'art polyphoniques. Mon activité musicale tourne autour de cela et l'investissement artistique le plus fort reste Endimione. Tout simplement pour des raisons historiques et affectives et des raisons d'évolution. Ce sont des gens que je connais pour la plupart depuis très longtemps. C'est un chœur qui sur le plan local a une certaine notoriété, qui a désormais des structures pour aider à sa reconnaissance. Il possède un niveau de technicité qui me permet d'aborder des répertoires difficiles comme celui que nous allons interpréter aujourd'hui.
RM : Pourquoi mettre votre carrière de contre-ténor entre parenthèses ?
DO : Je n'y ai jamais renoncé vraiment, mais elle ne s'est jamais développée suffisamment. Lorsque j'étais jeune et que j'aurais dû fournir les efforts qu'il fallait, je n'étais pas vraiment près à affronter cet univers là. Ce sont de nombreuses raisons, personnelles, professionnelles et autres qui m'ont retenu. Mais je chante toujours. D'après mon professeur pas à la hauteur de ce que j'aurais du. Il a arrêté de me gronder désormais, du fait de mon âge on me gronde moins. J'ai pu faire des choses intéressantes y compris à l'étranger.
RM : Est-ce donc Endimione qui permet de concrétiser vos rêves d'interprètes ?
DO : Pas uniquement, je tiens à conserver mon activité de chanteur à mon niveau. Car c'est là que je nourris ma recherche en travaillant avec de grands chefs ou avec de bons musiciens.
RM : En 10 ans, quelle a été l'évolution constatée avec Endimione ? Que cela vous a-t-il apporté ?
DO : Ca m'a obligé à réfléchir à certaines directions de travail musical et pas seulement à ma voix comme instrument. Donc j'ai été obligé de m'intéresser à l'écriture, à l'harmonie et aussi à la gestique pour diriger et enfin parfaire ma connaissance des voix. Parce que le travail de formation d'un chanteur en cours individuel est une chose. On est à l'écoute alors d'un individu en prenant en compte ses problèmes… Je suis un peu exigeant avec cela, car il y a le matériau vocal premier des chanteurs qui m'intéresse, désormais je me paie le luxe de pouvoir choisir. C'est-à-dire qu'il y a 10 ans c'était totalement un chœur amateur et cela le reste.
RM : Geoffroy Jourdain nous disait il y a peu que la différence se faisait sur le salaire versé et non la qualité ?
DO : Oui clairement, ce n'est pas la qualité qui fait la différence. Mais il faut bien prendre en compte que les chanteurs d'Endimione ne travailleront jamais autant que des musicien professionnels parce qu'ils ont des semaines lourdes, ils ont tous des activités professionnelles très prenantes. Nous ne répétons qu'une fois par mois, c'est tout.
RM : Pouvez-vous préciser sur quels critères va porter votre exigence ?
DO : D'abord sur la motivation des chanteurs. Je suis très vite irrité lorsque je vois chez un adulte son incapacité à mener à bien sa motivation. Parce que la motivation verbale ils l'ont tous, mais après lorsqu'il faut donner, il y a déjà moins de monde. Je pense que la motivation est la qualité première. Je sais très bien les voix que j'ai et sais donc ce que l'on peut faire. Je sais ce que l'on peut dépasser et j'ai parfois tendance à pousser un peu plus parce que j'ai plus confiance en eux qu'eux-mêmes. Heureusement, car il faut les porter. Les exigences vocales bien sur maintenant j'ai les moyens de les avoir. Sur la région, il n'y a pas beaucoup d'ensembles qui peuvent les avoir. Ce n'est pas de la forfanterie c'est une réalité. J'ai un pupitre de sopranos avec des voix qui sont hyper calibrées. Les altos je suis arrivé à un mixte entre les voix de femmes et les voix d'hommes qui me convient. Les ténors on ne trouvera pas beaucoup de pupitres avec des voix aussi légères et les basses ont un timbre vraiment envoûtant. Avec des imperfections techniques parce qu'ils étudient tous la voix, travaillent et ne peuvent pas y consacrer 4 heures par jour. Ma seconde exigence est là. Ma troisième exigence, c'est la rigueur dans le travail. J'exige beaucoup de travail personnel. Ils doivent travailler les partitions tout seul. Là-dessus je les considère comme des musiciens professionnels. S'il y a une maladresse sur un rythme ou un intervalle on peut très bien s'arrêter ce n'est pas un problème. Mais ils doivent arriver aux répétitions en connaissant leur partition ou alors ce sont d'excellents lecteurs. Là par contre sur le plan de la mécanique musicale, je ne laisse pas beaucoup de faille. C'est ce qui me permet d'avoir une certaine liberté en concert, parce que je sais que le travail technique libère en concert au niveau de l'interprétation. Sur ce plan là je n'ai pas d'exigences particulières si ce n'est le travail sur les phrasés et la couleur. Car déjà dans cette musique là, une fois qu'on a cela on a beaucoup de choses. Et après je les connais tous, je sais qu'ils ont tous une propension à la communication à l'expression et qu'ils ont envie de donner beaucoup et donc c'est à moi de libérer et contrôler cela pour qu'au concert ils aient l'impression de donner quelque chose d'unique. Je peux être très sévère et exigeant sur des couleurs, des phrasés, sur l'articulation d'un texte ou des notes ou d'un rythme, d'une nuance que je veux exactement. Au niveau de l'émotion, plus je la cadre en répétition et plus je cherche à la libérer en concert. Et parfois je prends des risques.
RM : Au bout de combien de temps êtes-vous parvenu à ce résultat ? Prenons l'exemple des sopranos.
DO : Les sopranos ont beaucoup souffert les quatre premières années dans un travail acharné. J'ai été très exigeant dès le début. On a refait et refait. On a travaillé encore et encore. Elles ont eu la direction dans laquelle elles devaient travailler dès le début. Elles travaillent toutes leurs voix et je suis arrivée à une couleur. Mais il a fallu des années. Je n'ai pas de chanteurs professionnels qui arrivent avec un matériau qu'on a juste à mettre en place et l'aura du chef fait le reste. Là ce sont des gens qui viennent et qu'il faut arriver à «agglomérer» pour fabriquer le son. Mais ça c'est un peu mon goût personnel. Je pars aussi du principe qu'on est dans un travail collectif et que l'esprit de la musique, l'idée du son vient aussi de la complémentarité des gens. Je ne pense pas que tout le monde puisse tout apporter.
RM : Votre connaissance de la voix et de votre timbre vous ont-ils fait choisir la musique baroque ?
DO : Oui, c'était dans ce répertoire que j'ai le plus de choses à transmettre où je m'épanouis le plus artistiquement et où je sens que je peux transmettre des choses. Bien sûr j'ai une oreille de contre-ténor et ce n'est pas pour rien qu'il y a trois garçons dans le pupitre, je ne pourrais pas trouver la couleur que j'aime uniquement avec des voix de femme. Je pense qu'il y a une couleur à trouver et dans le baroque j'y ai toujours baigné. J'ai travaillé en Angleterre et les chœurs anglais c'est impressionnant. C'est peut-être pour cela qu'avec les altos on tient une clef. Mais je ne suis pas certain que j'ai une propension à être plus attiré par ce pupitre là que par les autres.
RM : Le nombre de chanteurs est important, comment se passe le travail (par pupitre ?) et la direction ?
DO : Je ne travaille jamais par pupitre, on travaille toujours ensemble. Je pars du général pour aller vers le particulier. Je construis d'abord mon architecture générale et après en fonction du temps et des moyens dont je dispose, j'essaie de descendre progressivement. À force ils arrivent à adopter des attitudes… parfois il y a des accidents sur une attaque mais c'est du spectacle vivant que l'on fait, ce n'est pas une machine. Donc en concert, je suis assez souple par rapport à ça. Je ne le vis pas comme une défaillance ou une trahison. Par contre, en répétition oui. En France, on a en ce moment des ensembles vocaux qui montent très fort et on a la chance d'avoir dans la région, les Eléments avec Joël Suhubiette.
RM : Vous travaillez avec des instruments anciens, pourquoi ce choix ?
OD : Oh bien oui, parce que si l'on embête les chanteurs sur la couleur (comme sur la musique baroque française sacrée) sur le latin à la française et que l'on fait ce répertoire là, c'est bien beau mais il faut avoir la même exigence sur les instrumentistes. Dans la région on a un cheptel d'instrumentistes baroques de bon niveau, donc oui. Pour Bach, oui. Maintenant s'il fallait choisir entre de bons instrumentistes modernes et de mauvais instrumentistes baroques je prendrais les premiers. Mais par contre quand on a la chance d'avoir les deux c'est formidable. Et puis je suis assez fidèle en amitié et en travail donc les trois-quart sont des gens avec qui je travaille depuis 20 ans.
RM : Vous attachez beaucoup d'importance à la construction du programme. Ce programme Bach, vous pouvez en dire quelques mots ?
OD : Ça c'est le fruit de la maturité, non pas qu'on ait achevé notre évolution. Mais j'estime que jusqu'à présent on était vraiment balbutiant et qu'il y a certains répertoires qu'il fallait aborder avant d'autres pour la pédagogie : pour la connaissance du style, la connaissance de la maîtrise vocale. On en est là de notre histoire. Peut-être que nous ne sommes pas prêts, que je ne suis pas prêt. Mais c'est le moment. Aujourd'hui je pense que c'est une belle expérience qui nous permet d'explorer un peu nos limites, mais permet aussi de les dépasser. Parce que sinon on n'aurait pas eu la motivation. Parce qu'il y a tout un tas de répertoires qu'ils font très bien, très très bien. Là on a touché du doigt certaines choses qu'il fallait vraiment revoir sur le plan musical, précision, sur le plan vocal. L'homogénéité et sur le plan des phrasés, quand on a des sopranos dans les suraigües… quand on est dans des situations difficiles le niveau d'exigence est obligé de monter terriblement. Donc ça c'est un problème d'intensité de travail, de ne pas lâcher la barre, car c'est très contraignant pour la physiologie de la voix. Il faut vraiment des gens qui acceptent de se rompre à cette discipline là. On ne peut vraiment pas chanter comme on veut. Au niveau du phrasé il y a beaucoup de travail sur l'ensemble des langues baroques sur la prosodie. Le gros projet à venir c'est d'arriver à l'opéra baroque et là on touche à des problématiques qui sont extérieures à la musique car ce sont des projets lourds sur le plan financier et je n'ai pas un mécénat suffisant derrière moi pour pouvoir avancer. Pour un projet comme Bach on est très soutenu et je ne remercierais jamais assez le département. Mais pour monter une marche supplémentaire on en demande toujours plus pour offrir à mes chanteurs des possibilités d'exploration. J'essai que les projets s'enchaînent avec une sorte de progression. Ici j'ai la chance d'avoir un orchestre mais je n'ai pas de soliste. Ce qui augmenterait les budgets.
RM : Quels sont vos projets. Brahms, cela sort du répertoire baroque
DO : Oui mais cela reste pour moi du répertoire ancien. Et c'est surtout parce qu'il y a trois ans grâce à la commande d'un festival on a fait une incursion dans la musique contemporaine et souvent les baroqueux et la création contemporaine sont associés. Et évidemment le joint entre ces deux périodes est la musique romantique. Et je me suis rendu compte qu'il y avait un potentiel vocal et musical dans le chœur qui ne demandait qu'à s'épanouir dans ce répertoire là et qu'on était peut-être prêt à l'aborder. Pourquoi ? Parce qu'il y a une bonne maturité vocale et musicale maintenant et une confiance que je peux proposer qui est accrue. Il y a un autre challenge à relever, de musique plus lourde et plus large. Cela leur permettra aussi d'accéder à un répertoire qu'ils n'ont pas l'occasion de faire et puis un petit peu voir un prolongement de ce que l'on peut faire. Et puis la musique que j'aime, ne se limite pas à la musique baroque. Dans la musique vocale allemande il y a des choses riches et j'aimerai l'équilibrer avec la musique anglaise de cette période là par goûts personnels : Elgar, Standford, Holtz et puis dépasser un peu Vaughan Williams…faire un joli programme entre le XIXe allemand et le XXe, entre l'Allemagne et l'Angleterre. Mais c'est difficile car il faut trouver le répertoire adapté à l'instrument que j'ai. Et le répertoire c'est 50 % de la réussite d'un projet. Est-ce qu'il est adapté au moment où on se trouve ? Est-ce que les difficultés qu'on va rencontrer qu'on va pouvoir affronter, contourner ? Je me pose toujours beaucoup de questions sur le répertoire.
RM : Est ce que vous souhaitez rajouter quelque chose
DO : En province il y a des gens qui cherchent à défendre la musique avec les moyens qu'ils ont et l'offrir au public, afin de former ce dernier et lui donner envie de découvrir ensuite avec les grands ensembles cette musique. Je pense que l'on peut apporter avec la musique vivante quelque chose aux gens qui viennent nous écouter dans les lieux les plus reculés, même si je ne peux pas définir exactement quoi.