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Dossier inédit que « La série des Danois » qui met en lumière des musiciens souvent méconnus du public français. Rédiger par notre spécialiste de la musique nord-européenne, cette série d’articles va de découverte en découverte. Pour accéder au dossier : La série des Danois
Au XIXe siècle, et particulièrement jusqu'en 1850 pour ce qui concerne la musique, la vie culturelle danoise connaît un authentique Age d'Or. La noblesse et l'élite bourgeoise en pleine expansion économique accèdent à un niveau de pratique intellectuel et artistique jamais atteint au Danemark. Les acteurs de cette période, qui en fait n'est pas un mouvement organisé en soi, regroupent de grandes et très diverses personnalités, dont Schulz, Kuhlau ou Gade comptent parmi les plus marquantes.
Les premières décennies du XIXe siècle pèsent lourdement sur les frêles épaules du Danemark en matière de politique extérieure au sein d'une Europe troublée. Cette période marque un contraste manifeste avec une fin de XVIIIe siècle florissante et riche de ses ambitions sociales, de sa prospérité culturelle et de l'amélioration de la vie de tous les Danois. On doit rappeler que l'émancipation de la paysannerie danoise ne s'accompagne pas de révoltes sanglantes. Les moins riches, au moins pour une part d'entre eux, ressentent cette effervescence admirative pour les cercles intellectuellement actifs. Les bénéfices financiers et culturels ont tendance, plus qu'ailleurs sans doute, à irradier sur les moins bien lotis. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle. Les représentations musicales commencent à attirer, et à être mises à la disposition d'un public plus vaste, plus varié, qui n'est pas obligatoirement rattaché à la noblesse riche et élitiste. Ce temps est également celui de la prise de conscience d'une identité danoise, nationaliste certes, mais dégagée de l'étroitesse politique qui y est généralement attachée. En témoigne, entre autres, cette étonnante capacité d'assimilation du Danemark qui verra de nombreuses personnalités d'origine étrangère, essentiellement germanique, adopter rapidement, de manière profonde et sincère la langue, la culture, la politique de leur pays d'adoption. Si, durant une période, on peut parler de «musiques écrites au Danemark», avec le temps et l'évolution des mentalités, on en vient bientôt à préciser qu'il s'agit de «musiques danoises». La prise en compte et l'utilisation de textes danois, de légendes nordiques, de musiques populaires revisitées cimentent plus encore ce sentiment d'appartenance nationale forte. Ces écrits alimentent et inspirent des œuvres vocales, des ballets, des hymnes, des chansons danoises… mais aussi des musiques de scène, de théâtre, des ballets, des opéras, des singspiels, des cantates et plus largement encore des concertos et des symphonies. L'activité musicale intéressait auparavant essentiellement l'interprétation privée, familiale, animant les salons des grandes demeures bourgeoises de musique de chambre et de chansons. Avec le temps le répertoire retient des partitions venues de l'étranger mais aussi de compositeurs nationaux contemporains.
Cette activité fébrile se concentre principalement dans la ville de Copenhague, avant de s'étendre à la province, et touche tous les milieux, aristocratie terrienne, nouvelle bourgeoisie marchande, élite intellectuelle, mais également le monde paysan. Par exemple, certains opéras, syngespil et vaudevilles mis en place dans la capitale sont rapidement proposés au reste du pays, dans les provinces jusque-là ignorantes de la vie culturelle de la seule grande ville du pays. La diffusion des informations et des évènements trouve de sérieux alliés avec les nouvelles feuilles imprimées, les journaux, les périodiques et bien sûr les livres.
Un évènement essentiel survient en 1814. Au moment où l'Etat se trouve si proche de la faillite, les autorités décident que tous les enfants danois devront bénéficier d'un minimum de scolarité élémentaire d'une durée de sept ans. D'autres avaient depuis un certain temps envisagé d'inclure dans l'éducation la poésie et la musique, d'où l'enseignement de chansons de qualité dans la langue maternelle dont l'impact sur l'évolution culturelle de la jeunesse sera loin d'être négligeable. Surgissent ainsi des poèmes, des contes, des nouvelles, des romans qui constituent et enrichissent cet Age d'Or danois. En dépit d'une certaine censure ces textes envahissent l'espace culturel et enrichissent le savoir de ces classes sociales en pleine expansion. La ville et les campagnes apprennent à mieux se connaître et rompent leur isolement respectif. Les classes bourgeoises et populaires convergent pour demander toujours davantage de musiques nouvelles, des chansons et ballades influencées par le folklore des provinces danoises et dans une certaine mesure des autres pays scandinaves.
Le lieu public de ces manifestations musicales se trouve à Tivoli, quartier alors légèrement excentré de la capitale, mais qui va devenir un centre très actif de la vie culturelle de la ville. La première saison organisée dans les Jardins de Tivoli se situe au cours de l'année 1843. Pendant sept semaines cet endroit reçoit la visite de 175 000 visiteurs. Chiffre assez extraordinaire lorsque l'on songe que l'ensemble de la ville de Copenhague compte seulement 120 000 âmes. Quelques années plus tard, soit en 1853, le choléra frappe brutalement la ville. Décimée, elle vit totalement repliée sur elle-même afin de limiter la diffusion de la maladie au reste du pays. Il s'ensuit un retard d'ouverture de la ville vers l'Ouest et un développement marchand et culturel accéléré du Jutland. Autour de l'année 1848, et après, se produit un renouveau politique, social et culturel du pays lorsqu'il vit une sorte de révolution pacifique avec la fin de la monarchie absolue basée à Copenhague et l'engagement du Danemark dans la première guerre du Schleswig. Une nouvelle constitution, plus libérale, adoptée le 5 juin 1849, signe une des plus grandes acquisitions de la période de l'Age d'Or. Les bases fondamentales d'une démocratie moderne sont fermement et durablement posées.
A partir de la fin du XVIIIe siècle la musique se pratique, à Copenhague, dans les maisons bourgeoises, chez les particuliers plus modestes, dans les châteaux, les palais, les églises et les théâtres. Le Théâtre royal est le siège d'une grande partie de cette activité effrénée, aussi bien pour les concerts de musique de chambre que pour le théâtre. Les interprètes de qualité, acteurs, chanteurs, danseurs et instrumentistes donnent tout son faste à la vie du théâtre principal de la ville. Des observateurs ont même précisé que les spectateurs à eux seuls constituaient une édifiante représentation sociale digne du théâtre dit de boulevard. Le public a conscience de participer à cette effervescence culturelle tout en accomplissant une authentique fonction sociale. Les débats accompagnant chaque nouvelle réalisation participent activement à la vie intellectuelle. Certains peuvent même devenir de vrais débats de société. Tout cela, malgré une certaine fièvre, se déroule dans un climat apaisé et auto-satisfait. La musique tient fermement sa partie mais d'autres secteurs, comme la littérature, l'esthétique, la philosophie, la politique, la technique, la science et la religion, alimentent pensées, discussions et prises de position. Dans le cadre de ces activités multiples les succès peut être éclatants tout comme les échecs retentissant et définitifs. Les personnalités ainsi que le public de base ont le pouvoir d'élire ou de condamner telle ou telle œuvre selon des critères ne relevant pas forcément de la logique ou du bon sens, voire du bon goût. Rappelons que cette époque permet que se côtoient pacifiquement les meilleures nourritures spirituelles comme le pur amusement sans prétention.
Les préoccupations mercantiles sont rarement absentes de certaines activités. C'est le cas de Georg Carstensen, le fondateur des Jardins de Tivoli et plus largement du parc d'attraction en pleine expansion qui est situé au niveau de la porte ouest de Copenhague. L'inauguration remonte au 15 août 1843. Depuis cette date Tivoli devient un des lieux favoris des copenhagois qui s'en montrent très fiers et aiment à y déambuler l'été. Dans le projet de Carstensen la musique occupe un rôle majeur. La carrière du violoniste, chef et compositeur Hans Christian Lumbye participe à cette réussite sans précédent dans le pays. A Tivoli, chaque jour ou presque l'on peut entendre toutes sortes de musiques de la plus légère en passant par le divertissement et la musique de danse jusqu'aux plus sérieuses symphonies des classiques viennois. Les Danois mais encore de nombreux étrangers y goûtent d'excellentes et inoubliables prestations.
Parmi les compositeurs ayant œuvré et participé de manière majeure à façonner cet Age d'Or, et dont le parcours biographique est dessiné dans l'étude ci-dessous, on trouve Johann Schulz (1747-1800) le grand pionnier, Friedrich Kunzen (1761-1817) son digne successeur, Christoph Weyse (1774 – 1842) le créateur de la romance danoise, Friedrich Kuhlau (1786-1832), qui aidera le pays à entrer dans le romantisme, J. P. E. Hartmann (1805-1900) en qui Grieg voyait «le poète, le prophète de l'avenir» qui «a su ravir trois générations et les a comblées des trésors de son esprit», Hans Christian Lumbye (1810-1874) qui sut comme nul autre compositeur apporter gaieté, insouciance et plaisir à un vaste public représentant toutes les classes sociales danoises, et bien sûr Niels Vilhelm Gade (1817-1890) qui s'est imposé comme l'une des figures essentielles de la vie musicale danoise du 19e siècle.
Lire notre étude : V : Les musiciens danois de l'Age d'Or
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