Éditos

Lettre ouverte à Gaëtan Naulleau

 

Edito

Monsieur Naulleau,

Une fois n’est pas coutume, le rédacteur de ces lignes a acheté le magazine « Diapason », le premier depuis la fusion de ses deux concurrents (« Le Monde de la musique » et « Classica »), donc n°567 de mars 2009. Votre billet (page 71) s’inquiète de la paupérisation de l’espace en presse écrite laissé à la musique classique. Inquiétude que nous partageons en partie. L’espace d’expression se déplace, tout simplement, vers Internet, puisque le papier n’offre plus grand-chose.

Ce n’est visiblement pas votre avis, soit, puisque vous écrivez : « Certains espoirs se portent alors sur Internet : nouvel eldorado de la critique ? Pas sûr » en prenant comme exemple gramophone.net. La suite se corse et nous a fait bondir : « Restent les jeunes sites indépendants où tout le monde ou presque peut enfiler la casquette du critique. On y lit quelque fois de très belles choses, quelques fois du foutraque sympathique, du médiocre, et des bas… très bas – et très normatifs. Cette disparité ne suscitera jamais la même confiance qu’un bon journal – et la même émulation parmi ses signatures ».

Mais monsieur Naulleau, depuis plusieurs années la place de la musique classique dans les revues papier est une peau de chagrin. En 2003 « Répertoire » était mangé par « Classica », qui a lui-même repris « Le Monde de la musique ». En 6 ans le nombre de magazines spécialisés a été divisé par deux. Les grands quotidiens nationaux proposaient au moins un entrefilet (au pire) chaque jour sur la musique classique. Il n’était pas rare de lire parfois dans les colonnes du « Monde », du « Figaro » ou de « Libération » des entretiens ou des portraits de grands musiciens qui font l’actualité. Tout ceci est fini depuis quelques années. Quant à la télévision, ce n’est pas mieux, et le CSA refuse régulièrement l’autorisation d’ouverture d’une troisième radio consacrée au classique. Celui qui sait et veut s’exprimer, où va-t-il ? Internet est la seule issue. Et Internet a permis l’éclosion de plusieurs talents dans le domaine de la critique musicale.

Evidemment Internet est vaste, on y trouve de tout. Il suffit pour ça de savoir lire et d’assez d’autonomie pour se faire une idée de la valeur de tel ou tel site. C’est ainsi que ResMusica et quelques uns de ses confrères se sont hissés, en quelques années, comme références en la matière, par une politique éditoriale claire, une exigence de rédaction et donc une sélection de ses chroniqueurs. « Tout le monde ou presque… », qui est ce « tout le monde » ? Quand un journaliste reconnu ou un producteur de radio vous demande de travailler avec vous, quand un compositeur ou un maître de conférences vous recommande tel ou tel de ses élèves pour intégrer votre équipe éditoriale, ce nouveau rédacteur est-il « tout le monde » ? Quand un producteur de CD ou DVD, un organisateur de concert vous demande l’autorisation de citer un article de votre revue, cet article a-t-il été écrit par « tout le monde » ? Savoir susciter une envie, n’est-ce pas la définition même de l’émulation ?

Monsieur Naulleau vous n’êtes pas à une contradiction près. Autant les sites Internet accueillent « tout le monde », autant les blogs trouvent grâce à vos yeux, puisque vous y avez trouvé un nouveau chroniqueur. Or, des blogs, il en existe par millions, avec de « très belles choses, du foutraque sympathique, du médiocre, et des bas… très bas ».

Sur Internet nous ne souhaitons pas la fin de la presse papier. Nous regardons, affolés, comme tant d’autres, la misère des pages « culture » devenues depuis près d’une décennie la promotion de spectacles et produits très grand public. Devant la pauvreté de cette information, qui en matière de musique classique ne parle plus que des dernières péripéties de Roberto Alagna, nous avons décidé chez ResMusica d’occuper cette place laissée vacante. Sans pour autant que parmi nous « tout le monde ou presque [puisse] enfiler la casquette du critique ».

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