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Il faut dire que l’Opéra de Paris avait pris les moyens de la réussite, pour l’ultime création de l’ère Mortier : mise en scène, scénographie, plateau, orchestre de fosse, tout a été sélectionné parmi ce qui se fait de mieux en matière de théâtre lyrique.
« Le contact physique avec la musique me détend. Aussi, pour composer, je préfère écrire au crayon. Avec cet outil, j’ai ce rapport physique. »
Fidèle de Gerard Mortier qui lui a commandé ses deux premières partitions scéniques, la Passion de Gilles (1983) et Reigen (la Ronde, 1993), tandis que son successeur à la Monnaie de Bruxelles, Bernard Foccroulle, lui commanditait Un conte d’hiver (1999) et Julie (2005), sans doute son chef-d’œuvre à ce jour. Philippe Bœsmans, qui, à soixante et onze ans, est le compositeur belge contemporain le plus connu, a opté, pour l’Opéra de Paris, son commanditaire en coproduction avec l’Opéra de Bruxelles et le Festival de Vienne, pour un ouvrage en langue française. Le livret est signé de son complice Luc Bondy assisté de Marie-Louise Bischofberger d’après la pièce éponyme de 1938 du Polonais Witold Gombrowicz (1904-1969), héritier de Jarry et précurseur de Ionesco. En parallèle, l’Opéra de Paris donnait à l’Amphithéâtre une production de Harry Kupfer venue de Hollande de son Reigen. ResMusica a rencontré Bœsmans pendant son séjour à Paris, alors que commençaient les répétitions d’Yvonne, princesse de Bourgogne.
ResMusica : Qui est cette Princesse de Bourgogne ?
Philippe Bœsmans : Il s’agit de l’héroïne de la pièce éponyme de Witold Gombrowicz écrite dans les années 1930. Cet auteur polonais est le précurseur du théâtre absurde, celui de Ionesco, par exemple. Cette œuvre complètement folle est centrée sur une fille affreusement laide. Il y a une cour, avec un roi, une reine, un fils, le prince Philippe, un chambellan. Arrive d’on ne sait où Yvonne. Tout le monde la traite de mollusque, d’horreur, etc., et le prince, comme un caprice, se dit pourquoi ne l’épouserai-je pas ? Affolement de la cour… La pièce est structurée de telle façon que la laideur, du moins la soi-disant laideur de la fille écorne tout le monde, tout le monde y trouvant ses propres laideurs, ses propres défauts. Tous deviennent soudain sexuellement dérangés, la laideur fascinant tout à chacun. Quand une personne défigurée, par exemple, entre quelque part, personne n’ose la regarder, mais on a envie de le faire, on veut voir, on est attiré. C’est la même chose si, dans la foulée, une beauté survient. C’est de là que je suis parti pour ma musique. La laideur, le désir et le dégoût sont un même axe. En face il y a l’indifférence, qui est banale. Et je me suis dit que, pour écrire cette musique sur la laideur, je ne devais pas intégrer des bruits incongrus, mais au contraire le faire comme si la laideur était beauté qui fascine. Sinon, l’opéra est inutile ; autant jouer la pièce, qui est magnifique.
RM : Yvonne est un prénom aujourd’hui obsolète, à la limite du ringard
PB : Yvonne est bien le nom d’une laide, la laide petite couturière. Le prince Philippe finit par la tuer. Parce qu’elle dérange. Dans un premier temps, il veut se fiancer avec elle. Mais elle est ruée de coups durant le banquet de fiançailles. Comme elle est très bête, on lui sert des perches pour le repas de fiançailles, des perches étonnamment pleines d’arêtes et à la crèmes, afin qu’elle ne les voit pas, parce qu’il est évident qu’elle va s’étrangler. Cette femme est molle et ne parle pas. Quand on lui pose une question, elle ne répond pas. En fait, Yvonne princesse de Bourgogne est une comédie tragique, comme nous l’avons précisé en tête de la partition. Il y a du bouffe dedans, et cela sonne parfois comme du Offenbach. A la fin de la pièce, tout rentre dans l’ordre, parce que l’on s’est débarrassé de l’élément perturbateur. La situation est comparable à celle de Théorème de Pasolini. Le héros n’est pas laid, mais il entre dans une famille, couche avec tout le monde, tout le monde est chamboulé par ce personnage. La présence physique d’Yvonne au sein de cette cour fait que tout le monde est un peu déboussolé : le roi a de nouveau envie de sa femme, le chambellan commence à divaguer, etc. C’est une parodie shakespearienne. Il y a quatre actes, il y a des conspirations… Gombrowicz ne précise pas l’époque, mais l’action se déroule plus ou moins aujourd’hui. Je connaissais l’écrivain, et Bondy a bien connu Gombrowicz, qui est mort à la fin des années 1960. Son père, François Bondy, auteur notamment d’entretiens avec Cioran, etc., a fait venir Gombrowicz en France, où il est mort.
RM : C’est la première fois que vous êtes joué à l’Opéra de Paris ? Ce théâtre vous a-t-il posé des contraintes ? Avez-vous conçu cet ouvrage en fonction du lieu ?
PB : La première pensée que nous avons eue est d’écrire cet opéra en français, précisément en raison de l’origine de la commande. J’ai beaucoup travaillé sur la convention du genre français. Comme ce sont des personnages un peu archétypaux, mes références, sont bien sûr Debussy, mais aussi Massenet, Offenbach, la tradition française du chant avec les e muets ou pas. Là-dessus, j’ai beaucoup travaillé pour trouver un style. Parfois, l’écriture vocale peut ressembler à Debussy, mais je ne reste pas dans ce type de récitatif. Il fallait aussi des grands éclats, avec des écarts de voix qui ne se trouvent pas chez Debussy. Ce n’est pas non plus boulézien. Boulez écrit pour la voix de façon instrumentale, avec de grands intervalles, tandis que, pour lui, le mot n’a pas grande importance. Avec ses références à Mallarmé, son écriture est forcément éclatée. C’est peut-être pourquoi il n’a jamais pu composer d’opéra. Le texte peut le gêner, ce n’est pas dans son travail, dans son esthétique. Même s’il écrit bien pour la voix, les personnages n’existent pas. Le grand modèle est Pli selon Pli, mais aussi Visage Nuptial, œuvres magnifiques.
RM : Par rapport aux opéras précédents, dont trois ont fait grand bruit, et connu une résonance discographique l’un, Un conte d’hiver, ayant été publié chez Deutsche Grammophon, un autre, Julie, étant reporté sur support DVD couronné de plusieurs prix internationaux. Le tout est le fruit d’un long travail avec Luc Bondy et d’une fidélité avec Gérard Mortier et l’Opéra de Bruxelles, par le biais de Bernard Foccroulle. Comment a commencé la genèse de Yvonne ?
PB : A un moment de ma vie, j’ai lu tout Gombrowicz, sans pensée d’opéra. Et quand Julie a été joué à Aix-en-Provence, le jour de la générale, en juillet 2005, nous sommes allés déjeuner aux Deux Garçons avec toute l’équipe de la production, dont Bernard Foccroulle, qui nous a regardé et demandé : «Mais, enfin, pourquoi ne faites-vous pas Yvonne ?» Nous nous sommes regardés, Luc et moi, et avons déclaré : «Nous n’y avons jamais pensé, c’est vrai, pourquoi ?» Bernard a déclaré qu’il nous fallait nous y mettre. Gérard a eu vent de cette conversation, et il a immédiatement téléphoné pour que personne ne lui prenne l’idée, et il a très rapidement mis le tout en route pour que l’œuvre soit créée à l’Opéra de Paris. C’est le troisième opéra qu’il me commande, après le Couronnement de Poppée, Gilles de Rey et La Ronde. Les deux autres m’ont été commandés par Bernard Foccroulle.
RM : Julie était un opéra de soixante-dix minutes avec un petit effectif instrumental. Quelles sont les dimensions de Yvonne ?
PB : La partition de Julie est pour dix-huit musiciens, celle de Yvonne pour trente-quatre, mais ce n’est toujours pas un orchestre symphonique. Si je reste sur une formation réduite, c’est parce que je pense que Yvonne se devait d’être un opéra très proche de la parole. Les gens se parlent sans cesse. Le texte reste constamment compréhensible, sauf quand on monte dans les hautes sphères. Mais, là, généralement, je répète ce qui est dit. Le chanteur expose une phrase, il la répète, et peut ainsi broder dessus et rester sur un mot. Une différence avec Julie, repose sur le fait que, quand on écrit un opéra en français, sans le vouloir, la musique se fait automatiquement autre. Y compris l’orchestration. La musique est plus française, parce que les phrases, en français, sont autrement construites. Les accents viennent vers la fin des phrases. Nous sommes loin de l’allemand. Je ne me suis pas dit «je vais faire de la musique française», mais je me rends compte, avec le recul, que ma musique sonne plus français : il y a plus de bois, de cuivres. Il y a aussi un piano, des claviers, une harpe, des cordes. J’ai toujours utilisé le piano, peut-être parce que ce n’est pas conventionnel ; peut-être par habitude. Dans Julie, il n’y a pas de citations, tandis que dans Yvonne j’ai écrit une musique de cours dans le style du XVIIIe français un peu délié. Il s’y trouve beaucoup de fonctions tonales. Ce qui ne me dérange pas, parce qu’après tout pourquoi ne pourrait-on pas faire de la musique tonale aujourd’hui ? Tout dépend de la façon dont elle est faite, dans quel contexte elle est introduite, etc.
RM : Avez-vous fixé l’instrumentarium en fonction de la langue française, idiome utilisé dans votre livret ?
PB : Non. J’avais choisi les instruments préalablement à la composition, et une fois que j’ai commencé, je me suis rendu compte que la partition sonne de façon plus brillante que Julie. Cette cour-là est constituée de gens épouvantables, qui n’ont aucun scrupules mais qui veulent garder les formes : des fiançailles, un mariage.
RM : Votre langue maternelle est le flamand, qui a des racines germaniques.
PB : Je pense en français, mais je me réprimande et jure en flamand. Je crois que je vais mourir dans ma langue maternelle (rires).
RM : Travaillez-vous au piano, lorsque vous composez ?
PB : Je ne supporte pas de travailler au piano. Je me limite à y faire des essais ou des contrôles d’un certain nombre d’idées. Je ne travaille au piano que lorsque je suis très fatigué. Mais je perds alors beaucoup de temps, parce que cela me conduit à me faire plaisir en jouant des œuvres des œuvres que j’aime… De toute façon, il vaut mieux travailler à la table. Mais Ravel faisait tout au piano… Ce que je fais n’est donc pas une référence. Les jours où je ne suis pas inspiré, je joue les Préludes et fugues de Bach, mais avec des rubato, des nuances, des pédales que je n’oserais faire devant témoin. Le contact physique avec la musique me détend. Aussi, pour composer, je préfère écrire au crayon. Avec cet outil, j’ai ce rapport physique. Parfois, la main précède le cerveau ou fait une erreur qui se révèle meilleure que ce que j’avais envisagé de faire. Le crayon permet l’acte manqué, ce qu’annihile l’ordinateur. Il faut se laisser cette liberté quand on compose. C’est comme une lettre d’amour : écrite à la main, elle est plus belle qu’un sms ou un email.
RM : Pourquoi optez-vous le plus souvent pour l’adaptation d’une pièce de théâtre ? Est-ce un gage de réussite ?
PB : Ce n’est pas capital. En fait, je ne sais pas pourquoi je ne travaille pas sur des livrets originaux. Je ne suis pas contre. Mais les pièces sont plus intéressantes qu’un roman, précisément parce qu’elles sont déjà théâtrales. Luc Bondy et moi fonctionnons comme un vieux couple, désormais. Nous travaillons toujours ensemble, lisons les mêmes livres. Il travaille comme moi. Il est très libre, détaché. Il n’est pas coincé dans l’avant-garde. Il n’est pas dans un système, dans une école, il n’a pas envie d’utiliser la vidéo, il aime les bons vieux décors. Quand j’étais enfant, au théâtre, j’entendais avec plaisirs les marteaux frapper les clous durant l’entracte pour les changements de décors. J’y suis resté fidèle.
RM : Quels sont les personnages d’Yvonne ?
PB : Ils sont archétypaux. Le roi Ignace est un baryton de caractère, car il s’agit d’un prédateur, un être vulgaire et sans scrupules, comme le sont les gens riches. Néanmoins, il a des manières de roi. Il ne désire plus sa femme, la reine Marguerite, pourtant jeune et jolie quadragénaire. Après dix ans de mariage, il ne la trouve plus attirante, mais la présence d’Yvonne le conduit à trouver chez sa femme quelque attrait au point de l’observer dans la salle de bain quand elle se déshabille, ce qui l’émoustille de nouveau. Le dessein de la pièce est de montrer que la laideur d’Yvonne relance tout le monde sur des chemins qu’ils ne voyaient plus, sollicitant la libido du roi, par exemple. Le couple royal a un fils, le prince Philippe (ténor lyrique), un jeune homme caractériel, qui se dit brusquement «après tout pourquoi ne pas épouser une laide ?» Autre personnage central, le majordome, homme obséquieux que j’ai naturellement confié à une basse profonde. Côté femme, Yvonne ne chante pas. Le rôle est tenu par une comédienne. En fait, quand une question lui est posée, elle ne répond pas. Elle ne dit que quelques mots décalés, au deuxième acte. Face à elle, la courtisane Isabelle, qui est très jolie. Mais le prince n’en veut pas, il préfère la laide. Les Jeunes solistes tiennent des petits rôles, les trois tantes, les trois femmes qui se disputent, etc.
RM : Etes-vous satisfait du choix du palais Garnier pour la création d’Yvonne ?
PB : Gérard Mortier a tout d’abord envisagé l’Opéra Bastille, mais je lui ai dit que ce n’était pas possible avec une telle pièce… Garnier est déjà grand et la salle est mieux adaptée. En général, j’aime les grandes salles, j’ai été joué au Liceo de Barcelone, ça sonne bien.
RM : Par rapport à des compositeurs comme Luciano Berio, Helmuth Lachenmann ou Peter Eötvös, quelle est votre approche de l’opéra ?
PB : Berio, c’est une autre époque. Il organisait lui-même une merveilleuse confusion. Il voulait des superpositions, qui suscitaient trop de confusion ; une confusion positive, qu’il décidait et conduisait sciemment, loin de tout amateurisme. Quand j’ai commencé à songer à la Ronde, je me suis demandé pourquoi ne pas écrire un opéra à l’action compréhensible, qui raconte une histoire claire et simple, que l’on peut suivre, comme Mozart, Rossini et autres. Ce n’était pas la mode dans les années quatre-vingt. Il fallait alors spatialiser, mettre le chœur derrière le plateau, faire de la stéréophonie. J’ai voulu quant à moi travailler avec l’outil qui est à disposition dans un théâtre lyrique, l’orchestre dans la fosse. Lachenmann n’a écrit qu’un opéra, La petite fille aux allumettes, qu’il faut éviter de donner dans une grande salle. Eötvös est plus traditionnel. Je ne connais pas tous ses opéras, mais j’ai aimé Trois Sœurs.
RM : Quel a été votre cheminement dans votre ancrage dans la tradition du théâtre lyrique ?
PB : C’est venu sans que je le décide. C’est toujours a posteriori que l’on peut analyser ce qui a pu se passer. A partir du moment où j’ai commencé à composer des opéras, je me suis rendu compte que la musique que l’on écrivait à l’époque et que j’écrivais plus ou moins avec ce langage qui a engendré des œuvres très belles, ne pouvait répondre aux exigences de l’opéra. Ce genre nécessite en effet l’expression d’états d’âme que certaines écoles ne peuvent rendre, la joie, la tristesse, la douleur, la tendresse, etc. Je pense que la musique post-sérielle voire spectrale est inadaptée. Faire du comique, exprimer la solitude, le désarroi, avec la série ou le spectre me paraît difficile. J’en ai déduit qu’il me fallait faire des emprunts à des styles plus anciens, sans user de citations, mais en puisant dans certains gestes du passé. Cela m’a été reproché par certain milieu de la musique contemporaine, j’ai été plus ou moins mis à l’écart, après avoir été beaucoup joué par ces musiciens. Mais la vie est ainsi. Pour ce qui concerne mon langage, l’opéra a changé mon idiome par nécessité, pour que l’opéra parle, c’est-à-dire pour que les personnages soient crédibles. Il me fallait donc écrire la musique que j’ai faite. Maintenant, elle est là. Et ce qui me fait plaisir, c’est qu’elle peut être appréciée autant par des gens qui font partie de l’intelligentsia musicale que par le grand public. Ce qui compte beaucoup pour moi. Ce n’est pas que je veuille avoir du succès, mais je tiens à ce que mes opéras parlent, à ce qui se joue soit crédible et que les personnages soient incarnés. Je tiens aussi à aimer ces derniers et à montrer que je les ai aimés. Quand j’écris, je cherche à être juste avec mes personnages. Je ne me dis pas «je ne peux pas faire ainsi, ce n’est pas assez moderne». Je mets ce type de problématique de côté. L’histoire dira peut-être que ce n’est pas bon, mais ce n’est pas mon problème aujourd’hui. Mon problème est d’être vrai. Je n’ai pas de complexe par rapport à cela. Je ne pense pas à la postérité.
RM : Avez-vous composé d’autres œuvres parallèlement à Yvonne ?
PB : Je suis incapable de concevoir plusieurs œuvres en même temps. Je ne peux travailler que sur une œuvre nouvelle à la fois. Peut-être ferais-je encore un opéra, mais je n’ai pas envie d’y penser. Entre deux opéras, j’aime à me ressourcer dans des formes plus modestes. Je pense à un troisième quatuor, par exemple, pour les Arditti, qui ont créé les deux premiers.
RM : Avez-vous des projets d’opéras ?
PB : Plus tard, peut-être, je pourrais envisager un nouvel opéra, pourquoi pas d’après une pièce de Lorca ou de Cervantes, voire d’un jeune Espagnol. Des œuvres comme celles de Tchekhov me conviendraient aussi, et ce serait bien avec Bondy, qui a réalisé de beaux spectacles sur ses pièces. Shakespeare également, comme la Nuit des Rois. Un livret original, fait sur mesure, pourrait tout aussi bien me convenir. Mais je suis trop fatigué pour avoir des envies d’opéra. Je sais néanmoins que des commanditaires souhaitent m’en demander. J’ai terminé Yvonne dans les premiers jours de novembre. Mais, comme d’habitude, j’ai tout donné au fur et à mesure. L’Opéra de Paris a eu la dernière scène début novembre. J’ai mis près de trois ans pour achever cet opéra. L’idée du livret est née un an plus tôt. Je suis lent.
RM : N’envisagez-vous pas de collaborer avec d’autres librettistes que Bondy ?
PB : Mon premier opéra reposait sur un livret de l’écrivain belge Pierre Mertens. Il s’agissait de la Passion de Gilles, centré sur le personnage de Gilles de Rey, second de Jeanne d’Arc qui finit mal. Mais je suis trop fatigué désormais pour envisager un long travail d’opéra. Mais je sais que je vais me ressourcer et que l’envie va revenir. Pour écrire, il faut du désir. Il faut dire qu’ici, à l’Opéra de Paris, je suis mangé par le travail, les répétitions d’Yvonne seront suivies de celles de Reigen. Dire que je vais retourner à un ouvrage scénique est difficile tant que je suis là. Je ne suis pas Verdi, qui se reposait la main pendant les répétitions en composant un quatuor à cordes. J’adore Verdi. Comme lui, je me suis inspiré de Shakespeare, avec Un Conte d’hiver. Yvonne est plus proche de cette forme que de Judith, mais ce n’est pas discernable. Je crois qu’Yvonne a beaucoup de mes précédents opéras, parce qu’elle se présente comme une pièce de synthèse. Elle est à la fois tragique, comique, absurde, avec des moments de grand lyrisme. Il s’y trouve aussi des réminiscences de musique «contemporaine». Par exemple, lorsque les deux tantes, deux vieilles filles acariâtres dont un rôle travesti, introduisent leur nièce Yvonne à la cour et qu’elles la couvrent de reproches : «pourquoi n’as-tu pas plus de sex-appeal, pourquoi ne fais-tu pas du sport comme tout le monde, pourquoi n’es-tu pas plus moderne ?» Là, pendant dix secondes, on entend de la musique contemporaine…
RM : Lorsque vous dites user de réminiscences de musique contemporaine, je présume qu’il s’agit d’avant-garde…
PB : Pour moi, cette dernière appartient déjà à l’histoire. Cette musique-là est devenue patrimoniale. Il s’agit donc pour moi d’emprunter à l’histoire.
RM : Vous avez pourtant plus ou moins appartenu à ce mouvement.
PB : Oui, dans ma jeunesse. Je ne l’ai jamais condamnée, et j’aime beaucoup de choses qui se font aujourd’hui, même les spectraux comme Tristan Murail. Salvatore Sciarrino est formidable. Chaque note qu’il écrit est érotique, elle entre en contact direct avec la peau.
Propos recueillis à Paris le 10 janvier 2009