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«La musique pour moi, au moins en ce qui concerne la grande musique, représente une manifestation des émotions et de l'âme. Dans la musique, j'entends le discours d'un être humain à un autre être humain ; j'entends sa joie, son chagrin, son bonheur, son désespoir. Et dans une composition, appréhendée dans son ensemble, j'entends son attitude existentielle, sa philosophie, son regard sur le monde – son message». Par ces mots puissants s'exprime l'un des compositeurs finlandais vivants les plus remarquables de notre époque : Kalevi Aho.
Kalevi Aho (né en 1949) est préoccupé par les conditions de l'existence humaine, et il croit que la musique est susceptible d'influencer la vie des peuples. Son esthétique est moins absolue et moins idéaliste que les romantiques, moins codifiée et formatée que les classiques, elle obéit moins à des règles préétablies que les néo-classiques ou les compositeurs sériels. Sa foi en la complexité des choses, et aussi en celle de la pensée humaine, le place à distance tant du minimalisme que de la liberté totale et intégrale d'expression.
Né le 9 mars 1949 dans une petite ville du sud de la Finlande, Forssa, le jeune Kalevi y entame des études de violon dès l'âge de 10 ans. De cette époque précoce datent ses premières compositions. Doué d'une capacité de création musicale exceptionnelle par son sérieux, sa diversité et son inspiration, Kalevi Aho, année après année, a échafaudé un vaste catalogue abordant tous les registres de la musique vocale et instrumentale, avec une œuvre très vaste pour orchestre, au sein de laquelle on compte pas moins de quatorze symphonies.
Lorsqu'il entre à l'université en 1968, cette année symbolique, le jeune homme travaille également le violon et la composition dans un établissement prestigieux réservé aux sujets les plus doués et les plus prometteurs, l'Académie Sibelius d'Helsinki. L'ombre du grand maître Jean Sibelius, décédé une dizaine d'années plus tôt à l'âge de 92 ans après un long silence de presque trois décennies, conservait encore toute son intensité et cela en dépit d'évolutions esthétiques divergentes, certes, mais ô combien stimulantes pour l'avenir de la musique dans le pays. L'établissement avait recruté un professeur de composition déjà célèbre dans le monde entier avec ses symphonies, ses opéras et son original Concerto pour oiseaux. Son nom ? Einojuhanni Rautavaara, né en 1928. Une fois en poche son diplôme de compositeur en 1971 Aho se rend à la Staatiche Hochschule für Musik und darstellende Kunst de Berlin en 1971-1972 et travaille sous l'autorité du moderniste allemand Maurice Blacher.
Quelques années plus tard il devient à son tour enseignant et professe la musicologie à l'Université d'Helsinki pendant une quinzaine d'années (1974-1988) avant d'être nommé professeur de composition à l'Académie Sibelius (1988-1993). A partir de 1993 il devient compositeur indépendant. Pour beaucoup, il est évident depuis longtemps que la valeur de créateur de Aho est telle qu'il mérite d'être encouragé. Le gouvernement finlandais lui octroie donc une bourse pour quinze ans.
Depuis 1992 Aho est compositeur en résidence auprès de l'Orchestre symphonique de Lahti. Pour ces musiciens il composera nombre de ses grandes musiques orchestrales.
Toutes ces années de travail ont abouti à l'élaboration d'un catalogue très conséquent puisque l'on dénombre, en plus des 14 symphonies mentionnées supra, quatre opéras, trois symphonies de chambre pour orchestre à cordes, treize concertos, des pièces de musique orchestrale, de la musique vocale mais également de la musique de chambre et des pièces pour instruments solistes. Parmi ses contributions en tant qu'écrivain et journaliste on dénombre plus de 500 essais, articles, présentations et livres ! Cette hyperactivité lui a permis d'assurer plusieurs postes administratifs en rapport avec la vie culturelle du pays.
Aho fait sienne une esthétique que l'on pourrait qualifier d'esthétique de l'impur, à la manière d'un Mahler, d'un Chostakovitch ou encore d'un Schnittke. Cela résulte clairement d'une influence majeure sur l'esprit du compositeur des évènements ambivalents et contradictoires de l'existence, qu'il s'agisse de la vie personnelle, sociale ou politique. D'où un large éventail d'émotions, de banalités ou de sublimation, d'authenticité ou de duplicité, de tragédie, de comique et souvent de grotesque, d'humour également. Aho connaît, utilise et mélange à sa guise différents styles musicaux au sein d'une même composition. Sans doute à cet égard peut-il être considéré comme un créateur post-moderne. Son pluri-stylisme n'est qu'une façade, qui ne l'empêche pas d'extraire une musique vraiment originale, personnelle, vivifiante et entraînante. Cela inclut l'utilisation de collages, de citations, de «à la manière de»… toujours habilement intégrés au flux musical. Le développement musical obéit néanmoins à une logique interne forte semblable à une «histoire» racontée (parfois bien abstraite d'ailleurs !) avec talent. Aho, notamment en matière de symphonie, façonne une œuvre hétérogène en apparence, très cohérente en y regardant de plus près, sans pour autant verser dans le conventionnel et le convenu. Musique épique, héroïque, basée sur de grands sentiments, libre dans sa structure, évolutive, se métamorphosant à vue, imposante… en constante évolution.
Globalement Aho emprunte d'abord une esthétique de type néoclassique qui évolue avec le temps. Il adopte une manière progressivement plus moderne dont le sommet est représenté par la Symphonie n° 6. Après, il s'autorise une liberté d'expression plus grande, plus indépendante et plus originale avec des points culminants comme la Symphonie n°12. Cette symphonie spatiale, emplie de beautés, de rythmes et cohérente autant dans sa structure que dans son déroulement sonore, marque sans doute une étape nouvelle dans le cheminement symphonique de Kalevi Aho. Cheminement qui a débuté en 1969 et dont nous retraçons les étapes principales dans notre analyse.
Lire l'analyse : « Kalevi Aho, le symphoniste affranchi », texte intégral (PDF, 17 pages)
A lire également, notre entretien avec Kalevi Aho :