La fida ninfa de Vivaldi, première mondiale exceptionnelle

Attention, chef d'œuvre ! Musicalement, l'ouvrage est une pure merveille, et la partition contient de nombreux trésors qui, pour une fois, ne sont pas pour l'essentiel la énième version d'airs connus et recyclés pour la circonstance par le compositeur.

Le livret, certes compliqué et alambiqué – pour ne pas dire totalement invraisemblable… – est cependant d'une belle cohérence, et se trouve tout à fait dans la tradition des ouvrages de cette époque, dans la mesure notamment où il se prête à la peinture de toutes les émotions et de tous les affects de l'âme humaine. À ces superbes airs à la virtuosité vocale typiquement vivaldienne s'ajoutent un certain nombre d'ensembles vocaux (deux duos, un trio et un quatuor…) ainsi que plusieurs pièces instrumentales de toute beauté, et presque inattendues dans le contexte de l'opera seria.

L'interprétation proposée par Jean-Christophe Spinosi, l'ensemble Mathéus et la totalité des solistes avoisine tout simplement idéale, et on en vient presque à se réjouir d'avoir dû attendre si longtemps pour acquérir enfin l'enregistrement officiel de cet opéra – pourtant déjà diffusé plusieurs fois sur les ondes –, tant l'ensemble des chanteurs semblent posséder et habiter leurs rôles respectifs.

Dans celui de Licori, la suprême Sandrine Piau prête son soprano de plus en plus fruité et charnu, et fait preuve comme à l'accoutumée d'une imagination musicale hors du commun. Dans le rôle de Morasto, écrit pour le castrat Giuseppe Valentini, Veronica Cangemi montre presque davantage de virtuosité, faisant valoir également de belles sonorités un peu ombrées qui contrastent très joliment avec celles du soprano de Sandrine Piau. Le contralto de Marie-Nicole Lemieux, parfaite comme d'habitude dans les emplois vivaldiens – notamment dans les rôles écrits pour Anna Girò –, est tout à fait à son avantage dans le rôle de la coquette Elpina, et Philippe Jaroussky, dans la partie du volage Osmino, excelle lui aussi dans son emploi. Les voix graves ne sont pas en reste, avec notamment Lorenzo Regazzo, parfaitement à l'aise dans les vocalises virtuoses du tyran Oralto, ainsi que Topi Lehtippu, à qui il incombe de chanter les deux magnifiques arias écrites pour la voix de ténor. Cette luxueuse distribution est complétée par Christian Senn et surtout Sara Mingardo, très convaincants tous les deux en deus et en dea ex machina.

Comme à l'accoutumée, la direction de Spinosi est énergique mais sans excès, les moments de stase langoureuse et d'émoi exacerbé étant finalement ce qu'on apprécie le plus dans cet opéra baroquissime, dont les splendeurs musicales seront sans doute – et on le souhaite – une révélation pour de nombreux mélomanes.