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Klaus Badelt est aujourd'hui considéré comme l'un des piliers d'un style particulier d'écriture qui a marqué à jamais le cinéma d'action américain.
« Si le public n'arrive pas à écouter la musique de film en elle-même, c'est de notre responsabilité, à nous compositeurs, de changer cela »
Né en 1968 à Francfort, ce compositeur d'origine allemande a d'abord commencé sa carrière dans son pays natal avant de rejoindre Hans Zimmer dans son célèbrissime studio Mediaventures (devenu Remote Control). Il contribue ainsi à la composition de blockbusters comme Gladiator, La Ligne Rouge, Mission Impossible 2, Pearl Harbor ou encore Volte Face. Il compose lui-même quelques partitions pour de grands films américains comme le premier volet de Pirates des Caraïbes, Equilibrium, Time Machine, K19 et La Recrue.
Cette année, après avoir été l'auteur d'une partie des musiques de la cérémonie des clôture des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin, Klaus Badelt se fait remarquer en écrivant la musique de Pour Elle, premier essai brillant du réalisateur français Fred Cavayé. Dans ce film mené tambour battant, Julien (Vincent Lindon) organise l'évasion de sa femme Lisa (Diane Krüger), victime d'une erreur judiciaire.
Nous avons interrogé Klaus Badelt lors du festival d'Auxerre. Celui qui se trouve être l'un des compositeurs les plus sollicités d'Hollywood et l'un des rouages du studio de post-production le plus contesté au monde, s'est avéré affable et d'une grande humilité.
ResMusica : Vous venez de composer la musique du film Pour Elle. Pourquoi travailler pour un film français alors que vous travaillez d'habitude sur des blockbusters ?
Klaus Badelt : On doit toujours être inspiré. Pour moi l'inspiration ne vient pas de l'envergure du film mais du sujet et de l'inspiration de personnes qui font le film. Le réalisateur de Pour elle était fantastique, autant que ceux qui travaillaient pour la production. Je ne pouvais pas être plus enthousiaste : c'était comme faire mon premier film. J'étais tellement heureux d'avoir la chance de faire quelque chose de nouveau ! Je ne veux pas passer du temps à me répéter. Quand je reviens aux Etats-Unis je suis de nouveau inspiré.
RM : Ce film est-il si nouveau pour vous ? Pour elle semble très hollywoodien dans sa façon de traiter le sujet. Le cinéma d'auteur français est bien différent, par exemple. Plus intellectuel, plus lent…
KB : Ce que vous dites là semble vouloir dire «plus mauvais» (rires).
RM : Ce film convient mieux peut-être à votre style.
KB : Je ne sais pas. Les personnages sont complexes, ce n'est pas noir et blanc, c'est un genre mixte : c'est un film romantique mais également un thriller. On ne dirait pas forcément cela aux Etats-Unis. Peut-être pas ! Mais vous avez raison : ce film a une dimension plus internationale aussi pour bien les Etats-Unis que pour l'Europe. C'est l'époque pour faire des films avec une couleur locale : le public est aujourd'hui mondial. Klaus Badelt : Grâce à l'Internet, les gens reçoivent des nouvelles du monde entier. Il y a de la place pour les Ch'tis ou d'autres films très français (rires) Ce film aurait pu se passer à New York, à Paris ou à Stockholm. Vous avez une bonne intrigue, des personnages complexes, une bonne histoire et suffisamment de complexité pour que le film puisse intéresser des personnes différentes ; si vous vous attendez à un thriller, vous serez satisfait, si vous regardez plus profondément et tu vous attendez à un film d'auteur, ce sera suffisamment complexe pour que vous en tiriez quelque satisfaction.
RM : Est-ce pour cette raison que ce film vous a inspiré ?
KB : Oui. Parce que le réalisateur ne me demandait pas d'écrire avec un accordéon, dans le style français. Si vous voulez des clichés, je ne suis pas celui qu'il vous faut.
RM : La façon de travailler pour un film français est-elle différente de la manière dont on travaille pour un film américain ?
KB : D'abord il n'y a pas ce genre de choses en Amérique. Ce sont des films de gros studios ou des films indépendants – que j'aime aussi beaucoup. J'ai fait suffisamment des deux pour voir que les façons de filmer sont similaires. Mais il y a une chose que j'ai beaucoup aimé ici : le réalisateur a plus de pouvoir pour imposer sa vision. Aux Etats-Unis, sur les films importants, il y a d'autres gens qui influencent le film, et même des réalisateurs comme Ridley Scott ou Wolfgang Petersen doivent les écouter.
RM : Avez-vous donc plus de liberté en France de ce fait ?
KB : Oui. On a la chance ici de pouvoir travailler de manière plus intègre. On peut le faire aussi aux Etats-Unis, certes, mais cela semble plus facile ici. Bien sûr, est-ce aussi facile quand le budget est plus petit dans la mesure où cela met en cause la responsabilité de chaque film ? Le producteur a encore son mot à dire. Mais globalement ce n'est pas aussi démesuré que dans des films à 16 millions de dollars. C'est sans doute pourquoi la pression est différente.
RM : En travaillant pour Mediaventures, avez-vous l'impression d'avoir amélioré votre propre langage musical ou avez-vous l'impression d'avoir perdu un peu de votre personnalité ?
KB : Oui. Il est très facile de perdre sa propre griffe. C'est bien l'endroit où chaque compositeur doit ressembler à un autre. Il m'est arrivé qu'on me mette quelque part, que cela sonne comme Gladiator et qu'un autre me dise : mais c'est moi qui l'ai écrit ! Une des raisons de partir était donc de se centrer sur soi, de retrouver sa propre voix et de faire quelque chose de complètement différent.
RM : Cette peur de perdre votre personnalité a donc motivé votre départ pour composer en Europe ? Comme vous nous le disiez au début de cet entretien, afin de retrouver l'inspiration ?
KB : L'inspiration était aussi dans Pirates des Caraïbes. J'ai fait beaucoup de films formidables. J'ai passé 5 mois sur un film chinois (sans doute Wu Ji, NDLR), j'ai fait un film avec Dick Donner (Richard Donner : 16 Blocks, NDLR), avec Wolfgang Petersen. J'ai travaillé avec beaucoup de réalisateurs différents. Je travaille pour ma satisfaction personnelle. Cela m'est égal que cela soit un blockbuster ou non. Je suis ravi d'avoir mon son à moi et de passer des mois avec quelque chose qui me rend heureux.
RM : En travaillant avec Hans Zimmer, vous avez contribué à la création d'un style de musique d'action spécifique. De nombreux jeunes compositeurs s'inspirent de ce style. Que pensez-vous de cela ? Vous réjouissez-vous de cette évolution ou trouvez vous cela dommage que ce style vampirise désormais l'industrie de la musique de film ?
KB : Je ne l'appellerais pas cela un style. C'est ce que les producteurs veulent entendre. Je suggérerais aux jeunes compositeurs de trouver leur propre «voix». C'est beaucoup plus dur d'avoir sa propre personnalité, puisque personne n'écrit de cette façon. Ce style, si néanmoins vous désirez l'appeler un style, a un danger : c'est qu'il est «creux» (Klaus Badelt dit plus exactement «there's very little content», NDLR) mais plus glamour. C'est un style très plastique et «nappé de sucre». Et je ne devrais pas vouloir être lié à cela ! C'est une raison de partir. Ce n'est pas ce que je veux faire. Lorsque tu viens de ce studio, il est difficile de faire autre chose. Ce que je pense, c'est que son est daté et que nous devons nous en démarquer.
RM : Nous célébrons cette année le 100e anniversaire de la musique de film. Est-ce important pour vous de fêter cet événement afin d'améliorer la popularité de ce genre de musique ?
KB : Imaginez que ce genre de musique n'existait pas il y a 100 ans ! Il n'y avait que de la musique de concert. Nous devons accepter que cette musique soit comme de l'opéra : c'est la même chose. Ce que nous écrivons s'inscrit dans l'histoire. Si le public n'arrive pas à écouter la musique de film en elle-même, c'est de notre responsabilité, à nous compositeurs, de changer cela. Nous avons fait des choses qui s'apparentent aux styles que vous avez mentionné. C'est sans doute ennuyeux d'entendre sans arrêt les mêmes clichés. C'est peut-être pour cela que le public ne se sent pas proche de cette musique.
J'ai fait beaucoup de films : dans certains cas, le CD s'est bien vendu, dans d'autres cas, pas du tout – de toute manière c'est un autre problème, l'industrie de la musique a tant changé.. et c'est une chance pour la musique de film. Il faut écrire une musique que le public puisse écouter en elle même tout en faisant son travail, celui d'accompagner la dramaturgie. C'est pourquoi j'aime beaucoup collaborer avec des artistes afin d'écrire quelque chose de particulier. Avec Lisa Gerrard sur Gladiator, c'était de la musique, pas seulement de la musique de film. Si vous n'écrivez pas quelque chose que les gens peuvent aimer, ceux-ci ne pourront pas aimer le film. C'est un défi pour les producteurs et les réalisateurs d'essayer de faire ça.
RM : Il est intéressant de constater que finalement vous avez la même conception que Gabriel Yared, qui désire faire de la musique de film un art plutôt qu'une musique purement fonctionnelle et semble du coup déplorer le système à l'œuvre aux Etats-Unis.
KB : Evidemment, je ne tourne pas le dos à l'Amérique, aux blockbusters. J'espère que mes voyages pourront permettre également aux américains d'ouvrir leurs esprits et qu'ils puissent se dire en voyant ce qui a été fait avant : oh mais ça marche, on peut oser fait la même chose (rires).
RM : Vous êtes au cœur même de l'industrie de la musique de film. Comment voyez-vous l'avenir de la musique de film alors qu'en France nous nous apercevons que les budgets consacrés à la musique originale sont souvent sacrifiés?… A votre avis, allons-nous célébrer le 200e anniversaire de la musique de film ?
KB : (Rires)… C'est une bonne question… Mais tant qu'il y aura des films, des histoires à raconter et des gens qui les aiment, il y aura de la musique de film. Je suis parti d'Allemagne parce que les budgets étaient si petits et l'inspiration si faible qu'il semblait ne pas y avoir de reconnaissance de la musique de film. Je crois qu'en France c'est différent. La musique est importante, on a un budget, on peut avoir une production de grande valeur et ne pas baisser le niveau. On doit y veiller, je suis d'accord. C'est un autre avantage de la globalisation. En France, sont apparus des postes qui n'existaient pas avant ; superviseur musique, monteur musique, les agences artistiques. Ce qui tend à propager l'idée que le musique de film signifie quelque chose et a une importance. Il y a vingt ou trente ans aux Etats-Unis également, la musique de film n'était pas aussi bien considérée. Les compositeurs étaient embauchés par les studios et écrivaient chaque semaine ou toutes les deux semaines la musique d'une émission télévisée ou d'un film ! Cela dit, c'est une façon d'acquérir de l'expérience. Je pense qu'un budget plus petit permet aussi d'avoir plus d'idée, ce qui est un défi pour moi.
Propos recueillis le 14 novembre 2008 à Auxerre