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L’Année 1945 : les survivants

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Dijon, Auditorium, 24-X-2008. Igor Stravinski (1882-1971) : Concerto en ré. Arnold Schœnberg (1874-1951) : Trio à cordes op. 45. Béla Bartók (1881-1945)  : Sonate pour violon seul Sz. 117. Richard Strauss (1864-1949) : Métamorphoses. Ayako Tanaka, violon ; Lise Berthaud, alto ; François Salque, violoncelle. Les Dissonances, violon et direction : David Grimal

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Dijon est heureuse d'accueillir pour cette saison et la suivante le collectif musical initié par , . Cet ensemble à cordes nous promet bien des instants de plaisir, et en particulier celui de découvrir des compositeurs contemporains comme , en les comparant à leurs prédécesseurs. «L'Année 1945» nous a offert un programme éclectique mais cohérent, qui a littéralement enthousiasmé le public. Juxtaposer quatre œuvres si différentes dans un même concert est une démarche justifiée par la mise en perspective historique qui permet de souligner la position stylistique de chacun des auteurs. Un monde s'achève dans les ruines et dans l'horreur, trois de ces quatre compositeurs se sont exilés outre-Atlantique et le quatrième survit pour peu de temps encore dans sa Bavière natale. Pourtant, ces quatre survivants s'expriment de manière radicalement différente et savent mettre en relief leurs particularités avec un engagement évident, voire une véritable passion.

Stravinski est dans un sens le compositeur le plus déroutant : son Concerto en ré est marqué par l'esthétique néoclassique ; il semble étranger au monde qui l'entoure, seules les trois notes répétées que s'échangent les pupitres tout au long de la partition rappellent d'une façon appuyée les «trois coups du destin», comme le signale lors de sa présentation. Stravinski garde donc ses distances avec l'histoire, fidèle en ceci à ses affirmations sur la non expressivité de la musique. Pourtant l'aspect mécanique et motoriste des mouvements I et III parle bien d'un monde mécanisé, voire inhumain, nous laissant par là imaginer des lendemains qui broient les hommes sans merci au nom du profit. Immédiatement l'orchestre nous conquiert par l'énergie qu'il dégage, mais aussi par une cohésion que l'absence de chef souligne : ici point de relais, mais l'écoute de chacun multipliée par la nécessité d'une attention sans faille.

Il est assez cocasse de juxtaposer deux œuvres aussi différentes de compositeurs qui ne s'aimaient guère. Le Trio à cordes de Schœnberg a été composé en un mois après un infarctus qui a failli emporter le maître viennois. C'est une œuvre en cinq parties mais en un seul mouvement ; élaboré à partir d'une série dodécaphonique sophistiquée, il trouve une sorte de continuité dans la discontinuité des gestes musicaux : modes de jeux différents, tempi opposés, passages «hystériques» (selon David Grimal) contrastant avec des moments calmes, apparitions d'accords parfaits complets ou partiels qui se mêlent à la texture sérielle. Les trois interprètes sont remarquables : sans forcer le trait, ils savent mettre en valeur le caractère expressionniste de cette œuvre, qui exprime nous semble-t-il un déchirement intérieur. Schœnberg nous est toujours apparu comme une musicien austère et plein de contradictions, à la fois héritier du romantisme le plus noir et découvreur habile de nouveaux horizons. Avec beaucoup d'humour David Grimal a avoué dans sa présentation du concert avoir rajouté cette œuvre difficile sans la mettre dans le programme pour ne pas effaroucher les auditeurs…

La Sonate pour violon seul de Bartók est une œuvre monumentale, écrite pour Yehudi Menuhin et avec ses conseils. Dans la première moitié du XXe siècle plusieurs compositeurs se sont intéressés à ce genre, autrefois illustré par Jean-Sébastien Bach. Chez Bartók la référence au maître de Leipzig est évidente dans les titres des deux premiers mouvements, mais il est vrai aussi que la magnifique mélodie ininterrompue du mouvement Melodia peut rappeler celle du musicien baroque dans les mouvements lents de ses Partitas. David Grimal a été influencé par sa rencontre avec le violoniste méconnu Philippe Hischhorn, trop vite disparu, et ce maître a marqué sa sensibilité. Il la met au service de cette œuvre exceptionnelle par sa difficulté et par sa spiritualité. Bartók exilé nous dit que sans rejeter l'héritage musical que nous avons la chance d'avoir, il faut chercher de nouvelles voies, sans oublier ses racines populaires, car elles seules sont authentiques face à une civilisation souvent dévoyée.

Les Métamorphoses jouées par Les Dissonances sont actuellement la référence d'interprétation pour la BBC. Cette œuvre hors du commun par l'effectif qu'elle réclame est emblématique de l'esthétique de  : on y retrouve des accents de l'Alpensinfonie pour la texture, mais surtout l'atmosphère de Im Abendrot, le dernier de ses Vier letzte Lieder. L'adieu à la vie pour ce vieillard, est l'adieu à un monde enfoui sous les décombres, mais aussi l'adieu à une musique qui disparaît ; cette vie si belle, on la quitte à regret, et cette douceur ineffable est superbement traduite par l'écriture si dense, et même arborescente. La coulée sonore, fluide ou épaisse selon les modifications de la masse des cordes, les éruptions de thèmes descendants, tout nous entraîne dans monde hors du temps et lorsque les accents de la Marche funèbre de la symphonie Héroïque retentissent, on est au bord des larmes.

Crédit photographique : David Grimal © J-L Atlan

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