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Rencontre avec Julien Szulman, vous l'avez peut-être déjà entendu, ayant remporté l'année dernière le prix des Révélations classiques 2007 de l'ADAMI, dans la catégorie des violonistes, et primé au Concours Long-Thibaud en 2005 à 20 ans. ResMusica a voulu en savoir un peu plus sur la vie de ce jeune artiste prometteur. Féru de mathématiques, il nous raconte son parcours et comment il a du faire un choix entre ses deux passions.
«Mon Leitmotiv est de faire passer une émotion à une date précise, dans un lieu structuré avec mon sentiment à un moment précis. Je garde constamment cette idée à l'esprit»
ResMusica : Est-ce vous qui avez choisi de jouer du violon ? Et quels sont les professeurs que vous avez côtoyés ?
Julien Szulman : Oui, il semblerait que j'étais très déterminé, j'avais environ 3 ans et demi, et nous avions un voisin violoniste, Antoine Goulard, ancien assistant de Christian Ferras, je l'entendais jouer ses gammes. Il paraît, car je ne m'en souviens pas personnellement, qu'un jour en le croisant dans l'escalier, je lui avais demandé de jouer du violon ; j'ai dû attendre au moins un an avant qu'il veuille bien me donner des cours car j'étais vraiment petit. Voilà comment tout à commencé.
Ensuite j'ai rencontré Patrice Fontanarosa à 14 ans et nous avons tissé une relation proche et presque familiale durant quatre ans dés mon entrée au CNSM.
Il m'a construit techniquement et je continue à lui demander son avis parfois. Il vient m'écouter en concert s'il n'est pas lui-même sur scène. C'est lui qui m'a conseillé de travailler avec Suzanne Gessner qui était son assistante, au CNR de Paris. Elle m'a formé et révélé pour que je sois musicien aujourd'hui. Grâce à Suzanne Gessner, j'ai eu la chance aussi de rencontrer son professeur, Michèle Auclair, qui faisait partie de certains jurys dans des concours et je l'ai rencontrée pour qu'elle entende mon travail. Elle m'a donné beaucoup de conseils sur la méthode de travail. J'ai eu une leçon mémorable avec elle. C'était incroyable, malgré son grand âge, elle entendait tous les détails et avait l'acuité de découvrir immédiatement ce qui n'allait pas. Je devais la rencontrer durant ma préparation pour le Long Thibaud, mais malheureusement elle est décédée avant que cela puisse se faire.
J'ai assisté tout le long de ma progression à des master-classes. Depuis 2 ans, je suis des cours de perfectionnement à Crémone avec Salvatore Accardo et au CNSM : l'an dernier avec Jean-Jacques Kantorow et Pierre-Laurent Aimard, et cette année avec Roland Daugareil et Pierre-Laurent Aimard.
Pierre-Laurent Aimard a une personnalité très forte qui me plaît beaucoup. Ayant travaillé avec lui en sonate dans mon cursus, j'ai appris tellement de choses grâce à sa vision de pianiste sur le violon qu'il est devenu évident pour moi de continuer à approfondir mon travail avec lui. C'est quelqu'un que j'estime beaucoup de la même façon que Patrice Fontanarosa. J'ai été en stage avec Seiji Ozawa, durant 10 jours. Cela a été vraiment extraordinaire avec des professeurs d'une grande qualité (Pamela Frank, Nobuko Imai, Sadao Harada, et aussi Robert Mann, 1er violon du quatuor Julliard pendant plus de 50 ans) C'est là que j'ai fait beaucoup de quatuor, en travaillant de façon très intense, en analysant seulement deux mouvements sur plusieurs jours.
RM : Avez-vous été influencé par une école ou par le jeu de certains musiciens mythiques ?
JS : Je suis issu de l'école française grâce à la formation de tous mes professeurs. Je n'ai jamais, par exemple, été confronté à l'école russe, mais c'est difficile aujourd'hui de parler d'école technique pure, tout cela s'est vraiment internationalisé.
RM : Quels ont été les instruments sur lesquels vous avez joué jusqu'à présent ?
JS : Le violon qui est vraiment le mien est un Jacques Bocquay (luthier français du XVIIIe siècle) mais qui manque de puissance quand je dois jouer avec orchestre. Sinon le conservatoire m'a permis de jouer un Guadanini, que je jouais pour passer le concours Long-Thibaud. J'en suis très reconnaissant, c'est un plus d'arriver avec un instrument prestigieux. On m'a prêté un Gigli, mais celui qui est le plus extraordinaire est celui que j'ai actuellement. Avec Le Serafin (violon fait par Santo Serafino, luthier italien 1699-1758) qui a par exemple plus de grain que le Guadanini, j'arrive à mieux travailler la matière sonore sans devoir me concentrer sur sa puissance. Il est magnifique aussi esthétiquement parlant : je suis enchanté à chaque fois que j'ouvre mon étui. Sinon je joue un archet de Voirin et un archet de l'école de Léonard Tourte. J'aime passer de l'un à l'autre, ils sont complètement différents, et cela me permet de trouver des sonorités et des accents différents. Je ne voudrais pas être esclave d'une seule baguette avec un poids spécifique, une cambrure toujours identique, et c'est très difficile de trouver un archet qui convienne parfaitement, qui donne le meilleur son du violon et s'adapte dans tous les répertoires… Je ne prendrais pas le Voirin par exemple pour jouer Bartòk.
RM : C'est grâce au concours Long Thibaud que vous êtes allé faire une tournée en extrême Orient ?
JS : Oui, j'ai eu la chance d'aller en Chine et en Corée. C'est étonnant de partir à la découverte de cultures complètement différentes. J'ai joué à Shanghai et la réaction du public était étonnante. Sans être vraiment dissipés, ils n'arrêtent pas de parler, de bouger, c'est très vivant, cela ressemble plus à ce que l'on peut imaginer en Europe au XVIIIe et au XIXe siècle. Par contre en Corée, le public est très attentif, très sérieux, je dirais même plus : religieux, les salles sont très belles à Séoul. (J'ai joué avec Tae-Hyung Kim)
RM : Quel type de livres aimez vous lire ?
JS : Cet été j'ai dévoré les livres de Kundera et sinon je lis en ce moment «Monsieur CroCHe», un recueil de critiques que Debussy a fait, c'est très agréable, très ironique.
RM : Si un tableau ou un style pictural devait vous définir, que seriez vous ?
JS : Quelle question étrange ! Certainement pas un paysage, mais j'imagine que je suis un peu comme un tableau de Picasso, assez asymétrique avec un visage à plusieurs facettes, comme une personnalité multiple. Je suis imprégné par les mathématiques. Longtemps, j'ai hésité entre des études spécifiques de maths et la musique. Je me suis retrouvé à l'aise grâce à elles dans l'approche d'une partition : par exemple, dans Bartòk, j'ai la conviction que tout s'enchaîne comme une suite logique. C‘est une façon de voir les choses différemment. C'est une façon mécanique, analytique, je pense que cela m'a donné un plus dans la mémorisation d'une œuvre et me laisse plus d'espace dans l'interprétation. C'est ce qui me guide. J'essaie d'être le plus scrupuleux et le plus honnête possible, je veux respecter la pensée du compositeur. Un exemple : si le compositeur marque un point, au lieu de jouer juste un point je préfère comprendre pourquoi il a écrit un point. Même maintenant si l'on veut entretenir l'idée que la musique classique doit être vivante, c'est en étant au plus près, à la source, de l'écriture et de l'équation que l'on peut comprendre la partition originale. Je suis persuadé qu'il en découle plus de piment dans la vie.
RM : Vous continuez à fréquenter les mathématiques ?
JS : Non il m'a fallut faire un choix, car j'arrivais à un niveau où cela devient très abstrait et cela prend beaucoup de place dans l'esprit, et quand j'ai eu le prix au concours Long-Thibaud, j'ai compris que ma vie était le violon et non les mathématiques que je considérais plutôt comme un jeu, mais je n'arrivais plus à atteindre le niveau que je m'étais fixé. Il aurait fallu m'y consacrer complètement, car cela devient très complexe et plutôt sclérosant. Il ne faut faire que cela.
RM : Qu'aimeriez-vous interpréter pour une première gravure ?
JS : J'ai beaucoup d'intimité avec la sonate de Bartòk. Je vais participer d'ailleurs l'année prochaine à une tournée avec les Jeunesses Musicales de France où je présenterai l'œuvre à des enfants dans toute la France.
RM : Avez-vous un interprète que vous appréciez dans cette sonate ?
JS : En fait, je préfère ne pas écouter les versions existantes pour garder mon sentiment personnel, je ne voudrais pas donner une échelle de valeur à untel ou un autre, je n'ai pas cette prétention. Je préfère me concentrer sur la partition et m'en imprégner.
RM : Comment appréhendez-vous la vie de soliste ?
JS : Il faut savoir pourquoi on veut faire cela, il faut avoir une profondeur en soi et ne pas le faire pour la seule motivation d'être soliste ou connu, je pense que sinon, c'est voué à l'échec. On a la chance de jouer des chefs-d'œuvre qu'il faut transmettre au public. C'est notre mission et il faut être en adéquation.
Mon Leitmotiv est bien de savoir pourquoi et pour qui je joue. C'est bien le fait de faire passer une émotion à une date précise, dans un lieu structuré avec mon sentiment à un moment précis. Je garde constamment cette idée à l'esprit. Quand j'écoute une des œuvres de Schubert ou de Mahler… On ressent tous une profondeur dramatique, une expression de douleur intemporelle, mais il n'y a pas que cela, et je dois me nourrir de mon propre sentiment pour le transcrire au public. Il ne s'agit plus sur scène que de technique, ni de phrasé, mais d'une émotion pure et de quelque chose d'authentique aussi pour soi. Si on arrive à transcender ce ressenti sur scène, c'est un moment magique pour celui qui est sur scène et pour le public. C'est un moment rare, enivrant, qui j'espère, fait que le public attend ce rendez-vous comme pour moi. C'est en même temps un petit peu dangereux, car il faut garder à l'esprit qu'il faut être là pour le public, c'est ce qu'on appelle je crois «les ficelles du métier», mais il est vrai que c'est l'émotion qui me motive. C'est un espace de recherche pour moi, sur la motivation d'écriture du compositeur qui passe de la profonde douleur à un espace d'euphorie, de ravissement fait avec le même matériau, cela m'interpelle et m'impressionne, les silences la vibration sur un trait que l'on va accentuer à un moment précis, sans savoir véritablement pourquoi on l'a joué de cette façon là, ce jour là. Je repense à certaines critiques à propos de Christian Ferras quand il était à la fin au plus mal, on pouvait lire qu'il fallait être dans la salle pour entendre et vivre les cinq minutes d'émotion qu'il y avait pu y avoir durant 1h30 de concert ! Je pense que l'on ne peut pas travailler ou gérer l'émotion comme des gammes ou un texte, mais c'est bien elle qui rend le concert vraiment unique.
RM : Comment se présente l'avenir pour vous ?
JS : Avec le prix de l'ADAMI que j'ai remporté l'année dernière je suis allé dans plusieurs festivals cet été comme celui de Pablo Casals à Prades, je suis allé à Nancy, Metz et d'autres villes en France. Je continue mes études au conservatoire en perfectionnement avec Pierre Laurent Aimard, en continuant de rencontrer de nouveaux professeurs. J'essaie d'être disponible pour de la musique de chambre, sans vouloir m'enfermer dans un style ou une époque, je me concentre sur des programmes qui ne sont pas souvent donnés, je veux être le plus ouvert possible : par exemple je vais jouer au sein de l'ensemble InterContemporain en décembre pour un concert à Londres. J'ai donné un concert avec François Dumont en sonate cet été et nous avons créé un vrai duo, car nous avons beaucoup d'affinités et nous voulons tous deux présenter un vrai travail de sonate, qui n'existe plus très souvent maintenant.
Propos recueillis le 1er octobre 2008