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San Francisco, War Memorial Opera House. 23-IX-2008. Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Die Tote Stadt, opéra en trois actes sur un livret de Paul Schott. Mise en scène : Meisje Hummel. Décors et costumes : Wolfgang Gussmann. Lumières : Wolfgand Göbbel. Avec : Katharine Tier, Brigitta ; Lucas Meachem, Franck/ Fritz ; Torsten Kerl, Paul ; Emily Magee, Marie/Marietta ; Alek Shrader, Victorin ; Andrew Bidlack, le Comte Albert ; Bryan Ketron, Gaston. Chœur du San Francisco Opera (chef de chœur : Ian Robertson), Orchestre du San Francisco Opera, direction : Donald Runnicles.
L'attrait de cette Ville Morte est multiple.
Il tient d'abord au fait que le San Francisco Opera ose enfin (finalmente, Tosca !) présenter, 88 ans après une création simultanée à Cologne et Hambourg, le 4 décembre 1920, l'œuvre quelque peu tonitruante mais emblématique d'Erich Wolfgang Korngold. Il était temps ! Car Die Tote Stadt agrippe son auditeur dès les premiers instants… le fascine et le captive jusqu'à la dernière mesure.
L'attrait de cette production tient également au fait que Meisje Hummel qui fut l'assistante de Willy Decker à Salzbourg en 2004 tient ce soir la barre, et fermement. Inutile de démolir cette relecture qui, malgré soi, échafaude un projet stupéfiant (en faisant par exemple de Marietta la goulue sanguinaire et psychopathe qu'elle n'est pas) puisque Meisje Hummel s'en accommode (alors, pourquoi pas nous ?) et travaille avec, en privilégiant alors les ambiances intérieures et le psychologisme forcené, exacerbé du texte. Elle traduit et reproduit à point ces obscurs sentiments de malaises expressionnistes et de ravissements existentiels qui taraudent, de bout en bout, et Paul et le spectateur. Elle décortique au scalpel ces mécaniques déréglées du deuil, ces confrontations, vigoureuses et glacées, ces sentiments d'urgences absolues pour débusquer in fine les solitudes, délires et dérives obsessionnelles de ses personnages, souvent déroutants mais criants de vérité. Hummel échoue par contre à reconstituer les extra-muros, cette ville morte, ses cabarets misérabilistes, ses flamboyantes crucifixions, ce climat délétère… si piteusement théâtralisés. Plusieurs scènes ressortissent ici du burlesque, du boulevard, elles font désordre et long feu.
Il tient enfin au fait que le spectateur découvre et savoure ce soir, au fil des actes, deux ou trois grandes voix en première locale (Magee, Kerl). La voix robuste, incisive, de Torsten Kerl, violemment engagé, le mordant, l'agressivité de son timbre, sa violence «expressionniste» son aigu ravageur, voire outrancier, dynamise l'auditeur. Attentif aux mots, à leur pouvoir d'évocation, aux tumultes et rancœurs, aux désarrois du personnage, Kerl brosse ici, à gros coups de pinceau, viscéralement, le portrait d'un homme en totale déroute sentimentale. Vocalement, dramatiquement, c'est gagné. La voix expressive et sincère, fraîche et sonore, puissante, épanouie d'Emily Magee (mille fois reproduite, elle a ce soir le visage de l'Elsie Palmer de John Singer Sargent) affiche une insolente santé. Son «Gluck das mir verblieb» (acte 1), tendre, lyrique et passionné à la fois, s'écoute d'une traite. Dans cette quête fébrile d'un bonheur qui se refusent à eux, ou qu'ils se refusent à eux-mêmes, Kerl et Magee, investis de rôles fonctionnels et rituels, créent la (bonne, très bonne surprise).
Egalement excellent, sur les plans vocal et dramatique, le Frank/Fritz de Lucas Meachem, au timbre solide et suffisamment corsé. Egalement excellente Katharine Tier (Brigitta). Donald Runnicles dirige à blanc ces métriques irrégulières, ces enchaînements harmoniques inattendus, ces arias merveilleusement écrites pour la voix, les outrances et boursouflures d'une musique souvent excessive qui possède l'art de savoir transformer une simple anecdote, un simple cas clinique, en tragédie, de faire d'un petit personnage insignifiant un héros exemplaire et symbolique. On sort de cette Tote Stadt abasourdi… et ému, en se disant qu'après tout, tout ceci n'était qu'un mauvais rêve.
Crédit photographique : Emily Magee (Marietta/Marie) © Terence McCarthy
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San Francisco, War Memorial Opera House. 23-IX-2008. Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Die Tote Stadt, opéra en trois actes sur un livret de Paul Schott. Mise en scène : Meisje Hummel. Décors et costumes : Wolfgang Gussmann. Lumières : Wolfgand Göbbel. Avec : Katharine Tier, Brigitta ; Lucas Meachem, Franck/ Fritz ; Torsten Kerl, Paul ; Emily Magee, Marie/Marietta ; Alek Shrader, Victorin ; Andrew Bidlack, le Comte Albert ; Bryan Ketron, Gaston. Chœur du San Francisco Opera (chef de chœur : Ian Robertson), Orchestre du San Francisco Opera, direction : Donald Runnicles.