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Royaumont, abbaye. 14-IX-2008. Barbara Strozzi (1619-1677) : extraits de Diporte di Euterpe, ovvero Cantate & Ariette a Voce Sola : « Sino alla morte » ; « Tradimento ! » ; « Mi fa rider la speranza » ; « Lagrime mie ». Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Cento partite sopra passacagli. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Lamento d’Arianna. Roberta Invernizzi, soprano. Fabio Bonizzoni, clavecin. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Der Streit zwischen Phœbus und Pan, Dramma per musica BWV 201 ; Cantate « Tönet ihr Pauken ! Erschallet trompeten ! », BWV 214. Tanya Aspelmeier, soprano. Julien Freymuth, alto. Benoît Haller, Michael Feyfar, ténors. Matthias Horn, Ekkehard Abele, basses. La Chapelle Rhénane, direction Benoît Haller

Abbaye de Royaumont

On attendait beaucoup de ce récital de , qu'on entend trop peu souvent en France, alors qu'elle est sans conteste une des meilleures sopranos à ce jour pour le répertoire ancien. À peine commencé «Sino alla morte», premier des trois lamenti de ce concert, on est saisi par la perfection de son chant, fasciné par son jeu, ému aux larmes par l'amant qu'elle incarne. Seules les plus grands sont capables, en quelques secondes, de transformer la salle des Charpentes de l'abbaye de Royaumont, cet après-midi d'été frais et ensoleillé, en une scène tragique. Invernizzi déclame si parfaitement que même ceux qui ne comprennent pas l'italien confient après le concert avoir cru tout comprendre. En même temps, rarement une actrice aussi talentueuse aura fait preuve d'autant de qualités plus proprement lyriques : pureté absolue de l'intonation, proprement effrayante dans les chromatismes du tempérament mésotonique, maîtrise absolue du vibrato… Quant à , s'il n'est pas toujours juste de comparer l'élève au maître, on ne peut que relever la ressemblance de son jeu avec celui de Ton Koopman. Il est vrai qu'au départ, le très beau clavecin italien d'Emile Jobin se voit un peu brutalisé par le poids de ce type de toucher, mais les contrastes et les nuances permis par la variation rapide du nombre de voix, la palette des arpègements (Bonizzoni, de manière saine, plaque plus souvent qu'il n'arpège), et la vitalité générale de son jeu (encore qu'on ait entendu des Partite plus enflammées), répondent à la variété du chant de sa partenaire. Tout juste remarque-t-on chez Roberta Invernezzi quelques tics, comme ces attaques piano dans le registre aigu, un peu trop systématiques. Péché véniel pour une artiste qu'on ne peut qu'admirer éperdument, qui peut faire succéder de la manière la plus convaincante du monde, aux sanglots de «Lagrime mie», les éclats de rire de «Mi fa rider la speranza» et qui nous a gratifiés aujourd'hui, alors qu'il n'était pas prévu au programme, du plus beau Lamento d'Arianna qu'il nous ait été donné d'entendre.

On est beaucoup plus réservé sur le concert que donnait un peu plus tard dans l'après-midi. Certes, l'essentiel y était et ceux qui découvraient ces deux cantates profanes de Bach, bien connues des amateurs, n'ont pas été floués : beau chant, attention au texte, style léché, articulations de bon goût. L'enthousiasme du public faisait plaisir à voir – certains spectateurs, n'ayant visiblement pas retenu la leçon de Midas, se laissant aller à chantonner l'air entraînant de Pan, «zum Tanzen, zum Sprungen», dans les jardins de l'abbaye à la sortie du concert. Cependant, l'application de la théorie du «un par partie» se révélait peu convaincante, au moins pour la première cantate, composée pour l'anniversaire de l'électrice de Saxe et reine de Pologne. Ça fonctionne, bien entendu. Mais s'il était une occasion où l'argent était prodigué, c'était bien pour les commandes officielles, et on imagine mal qu'il n'ait été embauché en 1733, comme aujourd'hui, que deux maigres violons, en l'occurrence complètement noyés, à côté des hautbois et des trompettes. Si les chanteurs parvenaient, eux, à se faire entendre, on regrettait vraiment l'effet de masse et de rondeur que produit d'habitude le chœur dans les premier et dernier numéros de la cantate. Par contre, l'utilisation de solistes vocaux, sinon de solistes instrumentaux, était justifiée dans le dramma per musica «Le combat de Phébus et de Pan». On retiendra notamment la performance du Pan d'Ekkehard Abele et du ténor prometteur Michael Feyfar. Le problème le plus grave est posé par le chef. On sait que même pour des orchestres deux à trois plus grands que celui entendu aujourd'hui, les musiciens du XVIIIe siècle ignoraient toute direction autre que celle du Konzert– et du Kapellmeister, au violon et au clavecin. La pratique du «un par partie» devrait justement permettre de recréer une écoute et une cohésion telles qu'on puisse se passer de chef au sens moderne du terme. Or , que personne dans l'»orchestre» ne regarde à part l'altiste et le timbalier, semble s'agiter dans le vide, dirigeant jusqu'aux récitatifs – surtout qu'alors, la basse continue ne joue de toute façon pas ensemble. Quant il fait entendre son (beau) ténor dans le rôle de Tmolus, il ne craint pas de diriger les instrumentistes de dos, menaçant le public de sa baguette blanche. Dans l'air «Blast der wohlgegriffnen Flöten», comme pour faire oublier son inutilité, il swingue et tape du pied, sans doute parce que la basse continue pizzicato indiquée par Bach, c'est cool. Il se trompe. Nul besoin que le contrebassiste pose son archet, Bach est toujours cool.

Crédit photographique : Roberta Invernezzi © Jacek Tomaszewski

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Royaumont, abbaye. 14-IX-2008. Barbara Strozzi (1619-1677) : extraits de Diporte di Euterpe, ovvero Cantate & Ariette a Voce Sola : « Sino alla morte » ; « Tradimento ! » ; « Mi fa rider la speranza » ; « Lagrime mie ». Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Cento partite sopra passacagli. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Lamento d’Arianna. Roberta Invernizzi, soprano. Fabio Bonizzoni, clavecin. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Der Streit zwischen Phœbus und Pan, Dramma per musica BWV 201 ; Cantate « Tönet ihr Pauken ! Erschallet trompeten ! », BWV 214. Tanya Aspelmeier, soprano. Julien Freymuth, alto. Benoît Haller, Michael Feyfar, ténors. Matthias Horn, Ekkehard Abele, basses. La Chapelle Rhénane, direction Benoît Haller

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