Festival de Sablé-sur-Sarthe : Quel Swing !
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«Oh rage, oh désespoir !…» ! Comment commencer, que dire sans risquer d'oublier un artiste, ou un programme, qui tous à leur manière nous ont offert un enchantement… baroque ? Et d'abord, l'Académie !
Car tout le monde ne le sait peut être pas, mais la grande jeunesse de ce festival c'est d'abord d'être un lieu de rencontres toutes générations confondues de musiciens baroques et où vous pouvez si vous le souhaitez le temps d'un Concerto Brandebourgeois par exemple venir vous ressourcer. Et là, que de divines surprises ! Marianne Müller faisant swinguer Bach en compagnie de jeunes professionnelles (Catherine Ambach, Bénédicte Pernet, …) et d'étudiants dans une des classes de cette Académie, c'est quand même un instant qui se savoure comme une gourmandise.
Mais journaliste sérieux, après les classes, revenons aux concerts. Faut-il les prendre par ordre chronologique, par sensations d'après concert, enthousiasmes ou légères réserves – car bien évidemment l'impartialité est impossible, quoi qu'en disent certains ? Nous aimons passionnément, à la folie… mais jamais un seul instant, pas du tout. Tous les goûts, toutes les saveurs, de la suavité à l'amertume se savourent à Sablé.
Pirame et Thisbé. La qualité du silence à la mort de Thisbé à la fin de la représentation est peut être la meilleure preuve de la réussite de cette version concert. Le lendemain d'ailleurs lors des rencontres avec le public le chef Daniel Cuiller, nous confiera qu'il la ressent plus aboutie que la version avec mise en scène qui en avait été donnée l'année dernière à Angers/ Nantes.
Le premier élément marquant de ce concert nous le trouvons auprès des chœurs et de l'ensemble Stradivaria qui sous la direction féline, (et osons cet anachronisme) au swing emporté de Daniel Cuiller font preuve d'une cohésion exceptionnelle, variant les couleurs, la force ou la douceur de cette œuvre peu connue et pourtant exceptionnelle des deux François, Rebel et Francœur. Les qualités vocales du chœur offrant à la tragédie toutes ses nuances et aux cinq interprètes une scène au drame. Les deux rôles titres sont repris par les interprètes d'Angers/Nantes. Thomas Dolié y étant héroïque et sensible, Judith van Wanroij tendre et désespérée. À leur côté, Isabelle Druet, nous révèle une autre facette de son talent dans le rôle de Zoraïde, qui justifie pleinement le second prix au concours Reine Elisabeth qu'elle vient de recevoir. Comédienne, son timbre lui permet aussi de développer toutes les facettes du rôle, jalouse, furieuse et pourtant si généreuse, elle donne à Zoraïde, l'image tragique d'une héroïne bouleversante, sans héros, sans âme sœur ! Son amant, traître et lâche, Ninus est interprété par Jeffrey Thompson dont on peut juste regretter qu'il en fasse un peu trop sur scène, car vocalement son interprétation est équilibrée et suffirait déjà à montrer à quel point son personnage est ignoble et veule. Philippe Roche est lui un Zoroastre hiératique et noble, dont le timbre est si sombre qu'il rend plus fragile encore, la vie si ténue des deux amants et de sa fille. Souhaitons que les salles parisiennes songent à reprendre cette version concert.
Autre grand évènement de ce festival, le concert donné par Philippe Jaroussky et l'ensemble tchèque Musica Florea. Dans Les Lamentations de Zelenka, la voix de Philippe Jaroussky fait merveille. Il donne des couleurs angéliques et pourtant tragiques à ces œuvres, en soulignant la profondeur, alors qu'elles étaient d'abord composées pour mieux permettre aux castrats de montrer leur virtuosité. Voix des cieux Philippe Jaroussky, montre par son interprétation que la virtuosité seule n'est pas suffisante pour faire vibrer ces textes dans le cœur du public d'aujourd'hui. C'est aussi et avant tout parce qu'il est un interprète inspiré, possédant une réelle ouverture au texte et à la musique et qu'il sait partager avec les musiciens sensibles de Musica Florea, que ce concert est un instant de bonheur à la spiritualité aux parfums d'extase.
On pourrait en dire autant de Chiara Banchini, qui avec l'ensemble 415, nous a montré dans un programme Albinoni, que la lumière peut venir de l'archet. Dialoguant avec une délicatesse infinie aussi bien avec le violoncelle que les violons et les alti de l'ensemble, nous permettant de mieux recevoir des œuvres ardues et méconnues de celui que l'on résume bien souvent à un certain Adagio.
Violaine Cochard, suit également cette voix, qui mène au silence, à l'écoute engagée d'œuvres de Couperin et Rameau pour le clavecin. Instrument qui passionne désormais le public, tant les interprètes d'aujourd'hui, depuis Gustave Leonhardt, savent nous en montrer la diversité et les nuances non seulement du jeu, mais des âmes et des émotions qu'il révèle.
L'ordre suivi par cet article ne révèle pas des préférences, mais la difficulté de tout, ne pas assez ou trop en dire, sur une programmation faisant la part belle à l'émotion baroque. Le Festival de Sablé et les artistes, nous ont tant donné à l'occasion de ce festival anniversaire, que la mission des journalistes est honnêtement quasi impossible. Béatrice Massin et la Compagnie des Fêtes Galantes nous ont offert dans un programme intitulé Un air de folies, une chorégraphie dont la mélancolie si baroque est pourtant aussi, si contemporaine. Benoît Haller et la Chapelle Rhénane ont quant à eux fait swinguer Monteverdi dans un Laetus Sum dont nous nous souviendrons encore longtemps. Tous, nous ont rappelé qu'un festival est avant tout une fête et que public et musiciens y forment une « mosaïque des cultures ».
Mille e mille volte grazie à tous ! Espérons que l'avenir qui s'assombrit, retrouvera bientôt ses couleurs, afin que la joie fasse à nouveau danser les flammes de la scène, auriez-vous dit Baroque ?
Crédit photographique : © Monique Parmentier