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Patrick Cohen-Akenine, chef d’orchestre

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Premier violon de diverses formations baroques, Patrick Cohen-Akenine fonde en 2000 son ensemble des Folies françoises. Rencontre avec un musicien en quête d'authenticité.

« La musique française du XVIIe est relativement archaïque. La musique italienne au même moment était non seulement plus « moderne » mais aussi plus simple et efficace »

ResMusica : Patrick Cohen-Akenine merci de vous plier au jeu de l'entretien. Peut-on vous considérer comme le fondateur des Folies françoises ?

Patrick Cohen-Akenine : Oui, enfin co-fondateur, puisque cet ensemble a été créé par un groupe de musiciens, ce qui fait sa différence, avec Béatrice Martin, claveciniste, François Poly, violoncelliste, et bien d'autres toujours présents actuellement dans l'ensemble. C'est vrai que j'ai la direction artistique : je donne l'axe des projets, je prends les décisions artistiques.

RM : La direction artistiques certes, mais pas la direction musicale puisque les Folies françoises ne se présentent pas comme un ensemble avec à sa tête un grand nom en haut de l'affiche et les musiciens derrière. Le rapport hiérarchique est-il différent ?

PCA : Oui, les choix sont souvent concertés. Je n'hésite pas à confier la direction de l'ensemble à d'autres personnes : Joël Suhubiette, Pierre Cao, … Je trouve logique lorsque nous faisons un oratorio que ce soit le chef de chœur qui dirige le tout, je participe comme premier violon, qui est mon rôle principal dans les Folies françoises : je conçois la direction de l'ensemble depuis mon pupitre.

RM : Vous êtes violoniste de formation, vous devez avoir une formation « classique » ?

PCA : Bien sur, personne ne commence par le violon baroque. C'est une spécialisation pour musiciens férus d'histoire, cela concerne bien sur la période baroque, mais aussi la période pré-baroque jusqu'au classicisme. J'ai fait des études tout à fait classiques, avec le cursus traditionnel conservatoire/concours. J'ai beaucoup fait de quatuor à cordes, surtout lors de mon perfectionnement au CNSM de Paris dans la classe de Jean Moullière qui m'a donné l'occasion de travailler avec les plus grands : Amadeus, Alban Berg, Guarnieri, Fine Arts, … J'ai également travaillé avec Vilmos Tatrai du Quatuor Tatrai en Hongrie. Des années très formatrices que ces années de quatuor, mais j'avais déjà un grand intérêt pour la musique ancienne. J'ai donc fait le pas d'étudier cette spécialisation.

RM : Le violon baroque est-il si différend du violon moderne ?

PCA : Oui. Certains violonistes font vite le pas de l'un à l'autre. Je pense que cette spécialité doit s'étudier assez longuement et en profondeur, ça ne se limite pas à poser des cordes en boyau.

RM : Mais quelle est cette différence, au-delà du matériel utilisé ?

PCA : L'instrument est très différent. Avec le violon baroque on joue beaucoup plus avec les résonances. On essaie de laisser vivre, chanter l'instrument. Alors qu'avec le violon moderne tout est focalisé sur la puissance sonore, y compris le vibrato. C'est d'ailleurs cela qui a fait souvent dire qu'en musique baroque on ne vibre pas, ce qui est évidemment faux : le vibrato est aussi utilisé, d'une manière différente, ce qu'on appelait le « balancement de la main » dans les traités d'interprétation. Sauf qu'on ne vibrait pas de façon systématique, c'était pour donner un effet de puissance. Le retour du violon baroque – et des instruments anciens en général – est un peu une forme de refus de cette montée sonore. On peut le mettre en parallèle avec au début du XXe siècle le refus de continuer à utiliser des orchestres de plus en plus grands pour faire des recherches sur le timbre avec des petites formations. Tout notre travail est dans le détail : détail de l'ornementation, de l'articulation, du tempérament, du diapason – qui n'est jamais le même.

RM : Jamais le même diapason en fonction de quoi ?

PCA : En fonction des pays, des périodes, des villes. Parfois dans une même ville le diapason n'est pas le même, l'orchestre de la chapelle ne joue pas à la même fréquence que l'orchestre de la cour. Maintenant on schématise : tout est joué en 415, environ un demi-ton en dessous du diapason moderne. A l'époque un flûtiste avait sept ou huit corps pour son instrument, selon le lieu ou il jouait. Tout ça sont des recherches intéressantes, beaucoup de recherches historiques. On n'est pas dans la routine, on ne reproduit pas de traditions ni de conventions, traditions et conventions qui ont fait beaucoup de mal à la musique classique, d'où une image ringarde et parfois dépassée. A force d'être dans la tradition, tout le monde finit par faire plus ou moins la même chose. Soyons vigilants à ce que la musique baroque ne tombe pas dans ce travers là à s'imiter les uns les autres. Le mouvement est jeune mais il faut faire attention, beaucoup d'aînés nous mettent en garde.

RM : A propos de recherches, pourriez-vous en dire plus sur le projet des « Vingt-quatre violons du Roy » mené à Versailles (avec le CMBV) qui concerne la facture instrumentale ?

PCA : La tradition française est totalement différente de la tradition italienne. En France, le violon sert à accompagner le ballet. En Italie c'est pour accompagner le chant. L'orchestre italien est à « consonance vocale ». L'orchestre français est assez ancien. L'origine remonte à Charles IX, il s'est beaucoup développé sous Louis XIII. Les « Vingt-quatre violons du Roy » sont en réalité vingt-quatre cordes en cinq parties : les « dessus de violons », les « hautes-contre de violon », un violon un peu plus grand, qui fait 37, 5cm, soit deux centimètres de plus que le violon actuel. Puis les « tailles de violon » qui sont à 45cm, plus grand que l'alto actuel, les « quintes de violons », qui sont à 52, 5cm, presque un alto-ténor.

RM : L'alto-ténor d'.

PCA : Exactement, l'instrument de Berlioz devait remonter au XVIIIe, il devait en rester quelques uns. Enfin la « basse de violon », un peu plus gros qu'un violoncelle.

RM : Pas d'équivalent de la contrebasse ?

PCA : Non, la basse de violon a ce rôle. Donc une écriture spécifique à cinq parties de cordes, qui n'a rien à voir avec le quatuor traditionnel qui nous vient d'Italie. Cette écriture particulière a aussi été utilisée dans le nord de l'Allemagne, Bach s'en servait pour ses imitations de musique française. C'est évidemment très riche puisqu'il y a une voix de plus, très contrapuntique. Cet orchestre a peu à peu cédé la place à l'orchestre italien, qui avait une nette avance au niveau technique. Avec Rameau on a enlevé la partie de quinte, jusqu'au moment ou les instruments italiens ont pris le dessus, la haute-contre de violon, la taille et la basse ont laissé leurs places au second violon, à l'alto et au violoncelle. Pour avoir plus de profondeur on rajoute une contrebasse. Grâce au CMBV on fait reconstruire par deux luthiers installés à Gennevilliers, Antoine Laulhère et Giovanna Chitto ces instruments. Ce sera la première fois depuis la naissance du mouvement baroque que des œuvres seront jouées sur de tels instruments.

RM : Quelles œuvres?

PCA : Des œuvres de jeunesse de Lully et de Luigi Rossi composées à Paris. On commencerait sur le quatuor italien puis à la vue du public nous changerions d'instruments, pour que tout le monde se rende compte du changement de sonorité. Nous avons fait des essais devant des musiciens, directeurs de festivals, etc. tous ont été frappés par la clarté du son. La lutherie italienne vise l'homogénéité du son, d'où un son très rond, si spécifique au quatuor.

RM : C'est pour ça que ça c'est imposé.

PCA : Tout à fait. L'écriture italienne est une écriture de contrepoint simple : une ligne mélodique, une basse, parfois on remplit au milieu. L'écriture française est contrapuntique, chaque ligne a sa vie propre, qui n'est pas souvent mise en valeur dans les enregistrements actuels. Avec ces instruments là, qui ont beaucoup plus de clarté car faits dans une taille précise pour sonner dans une tessiture précise.

RM : Cela renverse l'image qu'on avait jusqu'à présent de l'entrée en scène du baroque avec la mélodie accompagnée puisque ce contrepoint à cinq voix fait directement référence à la Renaissance.

PCA : Exactement. La musique française du XVIIe est relativement archaïque. La musique italienne au même moment était non seulement plus « moderne » mais aussi plus simple et efficace : une ligne de chant, une basse, un remplissage parfois juste en accords chiffrés. L'écriture française demandait donc plus de maturation, Lully n'écrivait qu'un opéra par an par exemple. Donc c'était aussi plus long à monter.

RM : Une autre idée préconçue disparaît avec ce projet : celle que la famille des violons aurait supplanté celle des violes au XVIIe siècle.

PCA : La cœxistence des deux familles d'instruments est très ancienne. Les violons étaient utilisés pour les grandes salles, les grandes cérémonies. La viole était pour la « chambre du Roy ». Puis on a de moins en moins joué chez les gens et de plus en plus dans les salles. Henriette de France, deuxième fille de Louis XV, jouait de la viole. Cet instrument était encore très en vogue au XVIIIe.

RM : Revenons aux Folies françoises. Quel était votre but lors de la création de l'ensemble en 2000, alors qu'il existait (et existe toujours) beaucoup d'ensembles baroque ?

PCA : De travailler dans un esprit de musique de chambre plutôt que d'orchestre, aussi bien au complet qu'en petite formation : quatuor à cordes – nous préparons du Haydn actuellement, violon et clavecin, etc. Par exemple le disque Bach fait avec Béatrice Martin est le résultat de sept ans de travail en commun. J'ai besoin de prendre mon temps, de ne pas travailler de manière épisodique. La direction depuis le pupitre le premier violon implique un travail d'écoute plus que du regard, donc un esprit très différent. Et toujours dans l'idée cette notion de recherche, jusqu'à présent nous avons fait très peu de Lully car je n'en voyais pas l'intérêt avec l'orchestre « italien ». Nous jouons beaucoup sur les manuscrits, les éditions d'époque.

RM : Et pourquoi une installation en province ?

PCA : C'était une envie de longue date, et aussi quelque chose d'inévitable. Aux Folies françoises tous les musiciens sont enseignants. L'Académie de musique ancienne d'Orléans va se transformer à terme en département de musique ancienne au sein du conservatoire de cette ville.

RM : Terminons sur le répertoire. Les Folies françoises spécialistes du baroque français ?

PCA : Non pas du tout. On aime bien mettre les gens dans les cases. Je n'ai jamais voulu spécialiser l'ensemble sur un répertoire, on apprend beaucoup à jouer plusieurs styles. Bach nourrit mon interprétation de la musique française, et inversement. Bien jouer Bach implique de bien connaître Scarlatti, etc. La musique française et Bach sont nos axes, j'ai aussi un faible pour la « 1ère Ecole viennoise », de Gluck à Schubert.

RM : Schubert ? Mais on rentre dans le XIXe. Vous allez faire comme certains de vos aînés à remonter ainsi le temps – enfin le descendre plutôt ?

PCA : Non, je me limiterai à Schubert. Je suis très intéressé par le début du romantisme très imprégné de classicisme, de travailler sur les timbres instrumentaux de cette époque. Il y a un esprit dans cette musique de cet endroit, de Vienne et de la Mitteleuropa, qui m'interpelle. La musique française a eu une certaine influence, on le sent dans les formes, dans les danses (rondo, gavottes, menuets). Dès le mois de mai on jouera de la musique de chambre de Beethoven avec Cyril Huvé.

RM : Sur instruments d'époque ?

PCA : Bien sur, avec un magnifique piano viennois de 1800. Nous avons beaucoup de chance. Nous faisons une académie autour de Beethoven à la Chaise-Dieu lors de l'Ascension, et nous retrouverons les étudiants de cette académie lors du festival au mois d'août.

RM : L'agenda ne désemplit pas !

PCA : Oui mais je me suis gardé beaucoup de temps puisque je vais être bientôt père, et cette naissance s'accompagne de l'installation à Orléans, d'un travail avec une nouvelle administratrice, je prends un peu de recul pour être moins présent cet été pendant les festival d'autant plus que dès fin août nous commencerons le projet des « Vingt-quatre violons » aux Festivals de Sablé et de la Chaise-Dieu.

RM : Une forme de renaissance donc.

PCA : Et une réorientation repensée, pour être bien plus visible et identifié. Nous allons donner une identité plus forte aux Folies françoises avec ce projet.

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