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Les 35 ans de L’Itinéraire : Cap sur le son

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Paris. Auditorium Saint Germain. I-IV-2008. Gérard Grisey (1946-1998) : Périodes (Espaces acoustiques) pour ensemble ; Michaël Levinas (né en 1949) : Etudes pour piano ; François Narboni (né en 1963) : Où vont les lunes pour ensemble (création mondiale) ; Marc-André Dalbavie (né en 1961) : Palimpseste pour ensemble ; Roger Tessier (né en 1939) : Scène II pour clarinette et vibraphone ; Gérard Pesson (né en 1958) : Cassation pour ensemble ; Franck Bedrossian (né en 1971) : Transmission pour basson et électronique. Sophie Dardeau, flûte ; Renaud Desbazeille, clarinette ; Brice Martin, basson ; Christophe Bredeloup, vibraphone ; Fuminori Tanada, piano. Ensemble Itinéraire ; direction, Marc Foster.

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« Nous sommes des musiciens et notre modèle c'est le son… » Ainsi s'exprimait le regretté , membre fondateur – avec Tristan Murail, Michaël Levinas, Hugues Dufourt et – de l'Ensemble Itinéraire qui avait mis en tête de son concert anniversaire Périodes de Grisey, une de ses partitions emblématiques qu'il crée à Rome en 1974.

En résidence à l'Auditorium Saint Germain depuis le début de la saison, l'Ensemble fêtait ce Mardi 1er Avril ses trente cinq ans d'existence en la présence de son directeur artistique et de , seul compositeur toujours à la barre d'un vaisseau maintenant le cap sur de nouveaux territoires à explorer et de nouveaux courants à traverser. En témoignent les sept œuvres au programme de ce concert-fleuve charriant dans son flot tumultueux des sonorités d'esthétique très différente, gage de l'ouverture et de l'espace de liberté dont s'est toujours réclamé cet ensemble.

Périodes pour sept musiciens de – deuxième étape du cycle des Espaces acoustiques – va, dès sa création, consacrer le lien qui unit l'Itinéraire au mouvement spectral. Trente quatre ans plus tard, cette œuvre exigeante et visionnaire reste un défi pour les instrumentistes qui, dans l'acoustique sèche de l'Auditorium, parviennent difficilement à restituer cette circulation de l'énergie sonore induite par la notation.

Après les Etudes de Michaël Levinas, un travail d'écriture subtil autant que savant mettant à l'œuvre les modes d'attaque et de résonance du piano dont le magicien Fuminori Tanada nous livre la secrète alchimie, , élève de Levinas, nous fait pénétrer dans un univers singulier et intimiste avec sa pièce en création mondiale « Où vont les lunes » pour flûte solo et ensemble instrumental ; bien menée par Marc Foster à la tête de son ensemble, cette « mélodie infinie » nourrie par les sonorités interactives de la flûte – la soliste était presque provocante dans son » habit de lumière » – et des sept autres instruments, projette ses images éphémères et flottantes dans un espace en continuelle mutation.

Réaffirmant ce qu'il doit à « l'Itinéraire » et au courant spectral auquel il reste attaché, n'en suit pas moins aujourd'hui une voie plus personnalisée qui l'amène à repenser le facteur mélodique au sein de son écriture. Ainsi dans Palimpseste pour six musiciens scindés en deux groupes joue-t-il sur l'effacement et la résurgence d'un Madrigal de Gesualdo que fait émerger le trio à cordes au terme d'un lent processus de transformation dont la fantasmagorie des couleurs et l'ondoiement des lignes confèrent toute la séduction.

Scène II pour clarinette sib – Renaud Desbazeille – et vibraphone – Christophe Bredeloup – est « un véritable dialogue de sourd » nous dit qui sonde ici l'univers sonore de ces deux sources acoustiques soumises à différents modes d'émission qui en nuancent, modifient, pervertissent la qualité naturelle : autant de gestes qui animent ce petit théâtre de sons dans lequel l'auditeur se laisse bien volontiers happer.

« La musique spectrale est une musique que j'aime beaucoup mais qui n'appartient pas à mes racines » confie rappelant que c'est l'Ensemble Itinéraire sous la direction de Pascal Rophé qui créa en 1995 « Mes béatitudes », pour trio à cordes et piano, une des œuvres majeures de son répertoire instrumental. Cassation pour clarinette, trio à cordes et piano jouée ce soir est une pièce écrite en 2003 ; le titre fait référence à un genre prisé au XVIIIe siècle que l'on peut rapprocher du Divertimento et qui n'exclut pas son cousinage avec la danse. Elle semble bien affleurer dans cet univers pré-instrumental de « geste sons » qu'il est important de voir pour espérer les écouter. « J'ai voulu évoquer à nouveau la vivacité tactile comme art suprême de la perception » précise le compositeur ne donnant à entendre que les bruits de mécanique – celle des clés de la clarinette et des pédales du piano – ou les frottements des cordes du violon joué le plus souvent quasi « chitarra ». Une musique « d'os » qui n'exclut pas l'énergie et la vivacité du jeu, autant de qualités qui émanaient des interprètes remarquablement investis dans l'exécution de ce « théâtre d'ombre appliqué au concert ».

C'est à un chaud-froid qu'était exposé le public passant sans transition de l'univers pessonien de l'effacement à la musique à « haut voltage » de mettant à l'œuvre l'étonnante virtuosité du bassoniste dans Transmission crée en 2002 à l'espace de projection de l'IRCAM.

A peine sorti de la Villa Medicis – un séjour béni autant que déterminant pour son travail à venir – cet élève de – un des derniers à avoir profité de son enseignement – vient d'être choisi parmi une pléiade de compositeurs américains pour enseigner à l'Université de Berkeley ; un poste prestigieux qui l'honore mais va nous priver une fois encore d'un des esprits les plus brillants du monde musical contemporain. L'œuvre qui couronnait cette soirée en témoigne magistralement.

Transmission pour basson et dispositif électronique a été réalisé durant le cursus de composition et d'informatique de l'IRCAM. Dans Transmission, il y a le mot transe et pour atteindre ce stade supérieur de l'exaltation, Bedrossian fait appel à l'électronique qui enregistre les ondes de choc du basson, décuple l'énergie et distord le son jusqu'à l'état critique de saturation. « Les sons saturés portent en eux un mystère permanent » déclare Bedrossian dont la quête essentielle et urgente du devenir sonore confine ici à l'ivresse mystique.

Crédit photographique : © C. Daguet / Editions Henry Lemoine

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