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Régulièrement, l’Auditorium du Musée du Louvre propose des cycles plus ou moins importants de musique filmée. Peu avant l’ouverture de « Ludwig van Beethoven et ses métamorphoses », rencontre avec Christian Labrande, directeur de Classifilm et programmateur des cycles de musique filmée au Louvre.
« L’idée est d’organiser des cycles complets autour de thèmes vastes, largement illustrés en archives audiovisuelles. »
ResMusica : Monsieur Labrande, les lecteurs ne savent pas nécessairement qui vous êtes ni quelles sont vos fonctions. Pourriez-vous nous le résumer ?
Christian Labrande : En 1989 lors de l’ouverture de l’auditorium du Louvre il m’a été proposé de créer une programmation originale sur la musique à travers les films. J’ai organisé les premiers cycles qui ont trouvé un public, ce qui m’a amené à explorer de manière plus profonde toutes les archives audiovisuelles sur la musique. Parallèlement, j’ai développé dans ce même domaine des productions pour la télévision, Arte surtout. L’idée est d’organiser des cycles complets autour de thèmes vastes, largement illustrés en archives audiovisuelles.
RM : Comment sont choisis ces thèmes ?
CL : En fonction des fonds existants. Il faut des sujets relativement connus, tel Wagner il y a deux ans. Cela peut être autour d’un instrument, nous avons fait une rétrospective autour du piano et une autre autour du violon. Il faut choisir un thème large pour sélectionner suffisamment de documents intéressants. Il existe beaucoup de concerts filmés n’importe comment, de manière ennuyeuse.
RM : On entend souvent que la musique classique est mal filmée. Qu’est ce qui rend un film de concert ennuyeux ?
CL : Tout d’abord la qualité de l’interprète, et son charisme. Par exemple, Carlos Kleiber possède un geste, une expressivité qui justifient le film à eux seuls. Il faut ce feu sacré qui passe l’image, comme avec Bernstein, Karajan, Kleiber, … qui sont devenus des légendes grâce à l’image. L’autre raison de l’ennui est que le réalisateur ne comprend pas la musique, par exemple il ne montre pas le rapport entre un chef d’orchestre et ses musiciens. C’est cette dynamique très subtile qu’il faut pouvoir capter au montage. Souvent par paresse les réalisateurs s’attardent sur les instruments de manière routinière.
RM : Comment sur l’exposition Beethoven avez-vous fait vos recherches ?
CL : L’œuvre de Beethoven a donné des interprétations musicales très diverses. Il se situe entre le classicisme et le romantisme et a donc donné lieu à des visions fort différentes.
RM : Mais comment avez-vous axé vos recherches ? Il doit y avoir pléthore de documents.
CL : Cela va des années 40 à maintenant, et je me suis axé sur les interprètes qui ont le plus marqué chaque génération. On a essayé de choisir les plus représentatifs à travers les documents les mieux filmés.
RM : Comment vous panachez votre programmation entre les concerts, les documentaires, les fictions, etc. ?
CL : On essaie de proposer des programmes qui s’apparentent à un concert par exemple : ouverture, concerto, symphonie. Pour proposer au public ce qu’il retrouve au concert en montrant ce qu’un concert ne peut faire : trois orchestres et trois chefs différents dans la même soirée. Cela nous permet d’assembler des documents et des expériences musicales. On a consacré un week-end à la Symphonie n°3 en déclinant tout sur le thème de l’héroïsme, et donc en prenant des œuvres pour piano ou de musique de chambre en plus de la symphonie, pour montrer la rupture dans l’écriture de Beethoven. On profite de ce médium pour proposer des expériences musicales inédites.
RM : Mais comment obtenez-vous l’équilibre entre concerts, documentaires et fictions ?
Nous avons écarté les fictions anciennes comme le Beethoven d’Abel Gance car nous avions déjà consacré en 1996 un cycle aux vies de compositeurs. Pour cette fois nous n’avons retenu que Eroica De Simon Cellan Jones qui un film extraordinaire entièrement basé sur la musique celle de la Symphonie n°3 dont le film montre la création sous la direction du compositeur. En 1h30 de pellicule, on y entend 1h de musique dirigé magnifiquement par John Eliot Gardiner. Toute l’action du film est construite sur cette symphonie.
RM : Vous reliez ce cycle aussi à l’actualité, avec un documentaire consacré aux rapports entre Beethoven et un autre grand créateur récemment disparu, Karlheinz Stockhausen.
CL : Oui, on ne lui a pas assez rendu hommage en France à sa disparition. Et sa filiation avec Beethoven est évidente, outre l’œuvre écrite pour le bicentenaire en 1970 [NDLR : Beethoven est né en 1770] Opus 1970 à partir d’extraits de musiques de Beethoven retravaillées, remixées, leurs personnalités sont proches. Ils ont exprimé l’essentiel de leurs forces vitales dans la création avant tout, ils ont traversé tout deux des épreuves douloureuses, ils ont du tout deux surmonter l’adversité et ne se sont réalisés que dans la recherche d’un absolu.
RM : On peu appliquer ceci à Schumann ou Wagner aussi.
CL : Sûrement oui.
RM : C’est une filiation Beethoven/Wagner/Stockhausen
CL : C’est vrai… Dans cette lignée de créateurs la filiation est quand même bien respectée entre les deux. On va montrer plusieurs extraits de documentaires sur Stockhausen. Une autre séance sera consacrée à l’influence de Beethoven sur les compositeurs suivant, de Liszt à nos jours. Dans « Beethoven et les modernes » seront projetés des extraits de Ludwig van de Mauricio Kagel et la Dixième symphonie de Pierre Henry.
RM : D’où le titre « Beethoven et ses métamorphoses »
CL : Tout à fait, c’est la manière dont est représenté Beethoven, par ses interprètes ou par son œuvre.
RM : La programmation de Classique en images reste indépendant des concerts de l’auditorium et des expositions du musée ?
CL : Pour les concerts on essaie toujours de trouver une complémentarité. On aura en plus des films des concerts avec de jeunes interprètes, comme une sorte de prolongement. Plus des récitals de pianistes reconnus comme Giovanni Bellucci ou Jean-François Heisser. Et aussi une commande passée à Philippe Manoury, qui va composer une œuvre à partir des Variations Diabelli.
RM : Pas de rapport avec les expositions du musée ?
CL : C’est arrivé, pas très souvent, car les exigences sont différentes. Il faut aussi un thème fédérateur entre exposition, musique et cinéma… Dans deux ans nous aurons un grand cycle autour du baroque. Avant il y a eu un cycle autour de l’égyptomanie.
RM : Pour revenir à Beethoven, vous cherchez à équilibrer films récents et archives, ou vous choisissez uniquement selon des critères purement artistiques ?
CL : Quand c’est possible on essaie toujours d’équilibrer pour créer la diversité. Si on fait une séance avec un document ancien en noir et blanc, il faut faire un contraste avec un documentaire plus récent, pour reposer l’œil et l’oreille. Comme on veut mélanger les époques dans une même séance, les qualités diffèrent.
RM : Le Louvre s’exporte, à Laon comme à Abu-Dhabi. Classique en images va aussi voyager ?
CL : C’est déjà fait ! Depuis le début on organise des reprises à l’étranger. Le cycle Beethoven va être montré au Lincoln Center de New York au mois de mai et à Londres en 2009.
RM : Ce travail est aussi fructifié, il ne se limite pas au Louvre.
CL : oui, c’est bien de pouvoir trouver d’autres spectateurs, surtout que c’est un type de programmation par essence international et cosmopolite.
RM : Est-ce qu’un diffusion télévisée ou sur support numérique est prévue ?
CL : Une série DVD est sortie « The art of… » chez NVC Arts d’après certaines rétrospectives, mais on ne peut pas être toute la programmation, cela engendrerait de tels problèmes de droits. On suscite des émules en revanche.
RM : Pas d’équivalents télévisés ?
CL : Je continue mon travail pour Arte, qui s’inspire de ce que je fais au Louvre. En ce moment je fais un portrait d’Ivry Gitlis. Mais pas de cycle Beethoven, pas assez de place. Les créneaux sont très limités dans les chaînes publiques, et la seule chaîne télévisée consacrée au classique n’a pas de moyens.
RM : Après Beethoven, à qui le tour ?
CL : Donc en 2010 une rétrospective autour du baroque, des pionniers à nos jours, en liaison avec une partie concert conséquente, avec William Christie, Philippe Herreweghe, Gustav Leonhardt. Parmi les autres projets, un cycle Pierre Boulez à la rentrée 2008 et quatre week-ends consacrés à la Scala de Milan.