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Les Sacrifiées de Thierry Pécou, un genre revitalisé

S'il dit avoir déjà approché le genre avec des spectacles comme L'Homme Armé, La ville des Césars ou encore Passeurs d'eau crée en 2004 à l'abbaye de Sylvanès, signe avec les Sacrifiées, créés ce vendredi 11 Janvier à la Maison de la Musique de Nanterre, son premier opéra d'après la pièce homonyme de Laurent Gaudé.

Articulé en trois parties, chacune portant le nom des femmes – Raïssa, Leïla et Saïda – sacrifiées sur l'autel du Pouvoir et de l'Histoire, le livret s'attaquant à un sujet d'une brûlante actualité, frappe par sa concision et l'angle percutant de ses situations. Des années 60 à celles de 90, c'est d'abord l'histoire de la guerre d'Algérie dont Raïssa, la fille maudite subissant les outrages des soldats français, devient la victime tragique ; elle mettra au monde Leïla qui, tentant de déjouer « la grimace » – entendez la fatalité qui pèse sur ces êtres – se mutile pour ne jamais avoir d'enfant. Puis, années 90, la malédiction de la trop libre et trop belle Saïda défigurée par ses frères, les fondamentalistes islamistes dont elle devient la meurtrière.

Optant pour les dimensions d'un opéra de chambre – neuf instrumentistes seulement dans la fosse – nous plonge durant les deux heures de ce spectacle dans son propre univers sonore, arabisant bien sûr car il aime « cette prise de possession affective des lieux » mais avec un art de la stylisation, une recherche du détail du timbre et de l'élégance de la ligne, cette translation personnelle qu'il opère toujours à partir de ses modèles et qui n'accuse ici aucune faiblesse. Saluons, sous la conduite très investie de leur chef , la maîtrise et la qualité de l' rompu à l'écriture microtonale des modes orientaux auxquels se réfère Pécou pour colorer tout du long une texture sonore ainsi revitalisée.

Côté plateau, une même distance est prise avec la narrativité et l'éventuel pathos d'une telle dramaturgie grâce à la présence d'un chœur à l'antique – quatre comédiens et trois chanteurs – qui, aux côtés des trois rôles féminins chantés, agit, témoigne, interpelle, met à jour les mécanismes de cette « machine infernale » sur le mode – dégagé de tout affect – du parlé-rythmé voire crié dont l'écriture intéressante et savamment travaillée sur le plan de la rythmique et de la phonétique n'était pas totalement assumée par ses interprètes.

A la verticalité du chœur s'oppose le lyrisme des trois protagonistes. , dans le rôle de Raïssa jeune fille et de Saïda sert au mieux la ligne ornementale d'une belle sensualité que lui dessine le compositeur. Très convaincante dans la deuxième partie – le lamento final de la mère et de la fille atteint un sommet d'émotion – la voix de mezzo-soprano de – Leïla – semble accuser la fatigue dans le troisième tableau. dans le rôle de Raïssa, confère une belle intensité tragique à son personnage de victime même si sa voix laisse apparaître des faiblesses.

Avec une grande économie de moyens – quelques blocs amovibles serviront de décor à un espace en constante métamorphose dont la lumière et la vidéo suggèrent les perspectives – réussit à maintenir l'intensité du rythme scénique et laisse passer ce « souffle mythique » dans lequel s'incarnent la violence et l'impact émotionnel de la musique de .

Crédit photographique : © M. Garanger ; Thierry Pécou – DR

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