Leonard(s) Bernstein

Un livre en français sur Leonard Bernstein (1918-1990), enfin ! Comment expliquer qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour qu'un ouvrage de qualité, mais trop court, soit consacré à ce personnage exceptionnel ? Seul un autre livre en français était paru précédemment, mais qui ne rendait pas justice à son sujet.

Une explication à cette déshérence éditoriale est peut-être la nature kaléidoscopique de Leonard Bernstein. Car de quel Leonard parle-t-on ? Du chef d'orchestre, celui qui fut la première star de la baguette née sur le sol américain et qui réalisa la première intégrale des 9 symphonies achevées de Gustav Mahler ? Du pédagogue, qui anima de 1958 à 1972 sur la chaîne de télévision CBS une émission musicale devenue légendaire, les Young People's Concerts, qui fut diffusée pendant trois ans le samedi à 19H30, et qui traitait de compositeurs dont la France n'avait pas idée à l'époque, comme Mahler bien sûr, Sibelius ou Chostakovitch ? Cette série d'émissions fut un immense succès, diffusée dans 40 pays et traduite en 12 langues, tandis que l'édition DVD qui reprend 25 des 53 émissions n'est même pas sous-titrée en français. Parle-t-on du compositeur ?

Le cas du compositeur est peut-être le plus douloureux. Bernstein est l'auteur immortel de West Side Story, écrite pour Broadway où elle obtint un beau succès, c'est au cinéma que cette comédie musicale obtint un triomphe universel. Or Bernstein aspirait à être reconnu comme un compositeur sérieux maîtrisant les techniques sérielles et dodécaphoniques. Il voulait composer un grand opéra américain, il ne put jamais vraiment se démarquer de l'étiquette qu'on lui collait sur le dos, jugé trop cérébral par les producteurs de musique légère, et inversement. Pour finir, une œuvre emblématique de Bernstein et de son époque telle que Mass créée en 1971, qui associe chanteurs lyriques, de rock et de blues, un orchestre symphonique avec un orgue symphonique et un orgue synthétique, des guitares électriques et une bande magnétique, n'était pas en mesure de plaider pour son auteur dans la France de l'époque.

L'homme Bernstein n'était pas moins tiraillé entre de multiples contradictions, à la fois marié et père aimant, oiseau de nuit décrit comme un « prédateur sexuel », attiré par les hommes, lisant le Talmud et la Torah dans le texte mais s'en remettant à son psychanalyste.

Le format concis de la collection Classica n'autorise pas les analyses fouillées, et traiter la vie et l'œuvre de Bernstein en 200 pages relève de la gageure. Le choix de l'auteur a été de consacrer l'essentiel des développements au compositeur, ce qui permet de découvrir la partie la moins connue de Bernstein, très révélatrice de sa personnalité.

Les autres dimensions telles que la carrière du chef d'orchestre, le pédagogue, l'homme public et l'homme privé ne sont pas oubliées, on a seulement envie d'en savoir encore plus ! Le temps qui fait son tri semble promettre l'art de Leonard Bernstein à une sûre réévaluation. Cet essai de Renaut Machart constituera à coup sûr une étape significative de cette reconnaissance.

Sur ResMusica :

Portrait de Leonard Berstein : Tous à l'ouvrage ! (DVD)

Le chef d'orchestre :

Mozart : Leonard Bernstein aux portes de l'éternité (DVD)

Bruckner : Triple dernière pour une géniale inachevée (DVD)

Mahler : Leonard Bernstein dirige Gustav Mahler (CD)

Le compositeur

Mass : Liturgie made in Broadway (concert)

Trouble in Tahiti : un concentré de vitamine C (CD)

Serenade Facsimile Divertimento (CD)