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Le Pays, drame en musique de Joseph-Guy Ropartz – Propos de Jean-Yves Ossonce

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C’est un ouvrage rare et précieux signé par un musicien très largement sous-estimé auquel ce dossier est consacré : Le Pays, drame musical en trois actes et quatre tableaux de Joseph-Guy Ropartz. Créée à Nancy le 1er février 1912, et donnée à l’Opéra Comique un an plus tard avec Germaine Lubin, l’œuvre fut aussitôt saluée par les plus exigeants critiques. Pour accéder au dossier complet : Le Pays, drame en musique de Guy Ropartz

 
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En prélude aux représentations du Pays de qu'il dirigera à l'Opéra de Tours du 25 au 29 janvier, a accepté de répondre à nos questions sur l'ouvrage. C'est tout d'abord le directeur de l'institution lyrique qui réfute le risque constitué par la programmation d'un ouvrage méconnu et exigeant : « Je crois au contraire qu'il faut veiller à faire respirer une programmation, entre des œuvres méconnues mais auxquelles je crois profondément, et des œuvres plus connues dans lesquelles de nouvelles approches peuvent être dignes d'intérêt. Je n'opposerais certainement pas un aspect à l'autre ».

Puis le chef se souvient de sa rencontre avec une partition qu'il a brillamment enregistrée en 2001 pour la firme Timpani avec l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg : « C'est au départ une idée de Serge Topakian, le fondateur et directeur de Timpani, qui en avait également parlé à Mireille Delunsch, à la suite d'un premier volume de mélodies de Vierne qu'elle avait enregistrées pour lui. Cela doit remonter à 1998 ou 1999, à peu près. J'ai lu une première fois la partition à cette époque, mais c'est un projet qui a mis un peu de temps à trouver sa réalisation ». Les raisons de son intérêt tiennent d'abord à « la couleur et un sens de l'espace sonore bien particulier », mais s'il a été rapidement séduit, il n'ignore pas les pièges de cette structure orchestrale mouvante où les thèmes s'entrelacent étroitement : « C'est en tout cas une partition très aboutie et délicate à jouer pour les musiciens, outre son caractère par définition très inhabituel ». Il se réjouit cependant de ce défi : « Le plaisir est toujours là quand il s'agit de faire découvrir une œuvre à un orchestre de musiciens très ouverts et talentueux [l'Orchestre Symphonique Région Centre – Tours] : nous avons déjà joué beaucoup de répertoires peu fréquentés, en particulier dans le domaine symphonique ».

A la question de l'étonnant pouvoir d'évocation d'un ouvrage qui s'appuie sur une formation orchestrale relativement réduite, nous répond : « Par l'harmonie très élaborée, par la violence parfois, par un sens de l'espace sonore qui me rappelle parfois Sibelius ou Britten. Je lui trouve aussi un sens des timbres très personnel et une grande vitalité rythmique ». En ce qui concerne l'écriture vocale, il se veut vigilant : « Je pense que, comme dans toute la musique française, du Roi d'Ys à Louise, de Pelléas aux Dialogues, de nombreux problèmes d'équilibre peuvent se poser à cause de tessitures relativement médianes, et que c'est une bonne partie du travail du chef d'y prendre garde ». Après une légère pique à ceux qui « considèrent du dernier chic d'ensevelir le plateau sous un tsunami symphonique », le chef, qui aime entendre les voix, rappelle que Richard Strauss confiait à Karl Böhm que si le public ne comprenait pas les chanteurs, il s'endormait…

, sans ignorer les influences mêlées de Wagner et César Franck, insiste sur l'originalité de l'écriture de Ropartz : « Le Pays n'est absolument pas l'œuvre d'un épigone. Je trouve que c'est une musique très personnelle, d'une grande richesse et d'une grande cohérence. Elle n'a pas cette froideur académique qui rôde souvent au tournant du siècle ». Il refuse en revanche de se positionner sur l'appartenance de l'ouvrage au courant naturaliste, laissant ce soin aux musicologues et insistant plutôt sur d'autres aspects : « Je crois, avec Alain Garichot qui le met en scène, que c'est un opéra sur un sentiment très beau et très présent, enfoui en chacun de nous : la nostalgie. Et vouloir retrouver un état antérieur idéalisé, vouloir guérir cette nostalgie, en retournant dans son pays natal, et en renonçant donc à l'amour de Kathe, « ici et maintenant », causera la mort de Tual. Pour ce qui me concerne, je me sens dans le Pays très loin du naturalisme, mais plus près d'un théâtre des sentiments (Ibsen ou autres), qui va chercher beaucoup de choses dans l'inconscient, et qui rentre profondément en résonance avec chacun d'entre nous : nos vies antérieures, bonheurs enfuis, etc. C'est un opéra sur l'inaptitude au bonheur ».

La référence à Alain Garichot nous conduit à aborder l'aspect scénique avec une première interrogation : alors que le refus d'action du Pays peut le destiner au concert, pourquoi avoir opté pour une version scénique ? « L'action est dans les âmes des personnages, un peu comme dans certains films de Bergman, par exemple. Le refus de la facilité d'une action théâtrale avec les « scènes à faire » est un parti pris de Ropartz, qui cherchait un sujet en adéquation avec sa vision artistique. Je continuerais l'analogie avec Bergman, en disant que, par exemple, on peut très bien écouter ou lire le scénario d'un de ses films (des Scènes de la vie conjugale à Saraband), mais que l'œuvre prend sa pleine dimension dans sa réalisation, même (et surtout) si elle est épurée ». Dans ces conditions, le choix d'Alain Garichot, metteur en scène jouant de cadres épurés pour privilégier une direction d'acteur d'une précision extrême – rappelons nous par exemple ses Tosca ou Clémence de Titus – s'imposait : « Alain Garichot s'attache toujours à chercher la vérité des situations et des sentiments, sans égotisme mais avec beaucoup de force tranquille pour défendre ce qu'il croit juste pour l'œuvre à servir. Je lui trouve souvent une vraie compassion pour les personnages, qui découle aussi, pourquoi ne pas le dire, de la « belle personne » qu'il est dans la vie. Nous avons toujours très bien travaillé ensemble, j'aime son respect des artistes et sa chaleur humaine, l'esprit positif de sa manière de faire avancer les répétitions, avec aussi l'humour et la distance nécessaires, sans manipuler les gens. Il y a beaucoup d'intériorité dans son travail, et savoir faire éclore en scène un sentiment est une de ses grandes qualités. Comme il le dit joliment lui-même, il n'est « pas dans la peur, pas dans le jugement ». Il a aussi une culture profonde du théâtre et des acteurs, celui de cette Comédie Française des grandes années, où il s'est formé. Et les chanteurs comme mes collaborateurs à Tours l'adorent ».

On nous pardonnera de terminer cet échange enrichissant par une note militante : pourquoi ce pan de notre répertoire national est-il à ce point ignoré et négligé ? Jean-Yves Ossonce nous répond avec pondération : « D'abord, je pense qu'il ne faut pas tout mettre sur le même plan. Il y a sans doute des œuvres à remonter, mais il faut aussi savoir reconnaître les tiroirs qui doivent rester fermés. Je ne dirais donc pas que je défends avec une sorte de passion dévastatrice et exclusive le répertoire français méconnu ! Je ne suis pas monomaniaque, mais raisonnablement curieux. Les raisons sont assez simples : les établissements d'opéras sont de plus en plus condamnés à remplir leurs salles, et ces ouvrages ne peuvent rester qu'à la marge d'une programmation, dans les conditions économiques actuelles. Et puis, le répertoire s'est ouvert depuis la guerre, souvent pour le mieux. Monter Bruneau est très intéressant, mais il y a trente ans, on ne montait presque jamais Janáček ou Britten, sans parler de Berg… Les éditeurs de ces œuvres françaises ont souvent été très négligents (comme d'une manière générale pour toute la musique française). Vous devriez voir l'état de bien des matériels d'orchestre, qui sont une insulte pour les musiciens qui doivent les jouer : fautes non corrigées, photocopies de photocopies de manuscrits, pages collées, notes illisibles, etc. N'oublions pas que Berlioz est joué depuis que Breitkopf puis Bärenreiter l'ont édité correctement… alors qu'une édition de Pelléas sans fautes et conforme aux dernières volontés de Debussy, par exemple, n'existe pas encore ! D'ailleurs, c'est le cas même pour Gounod : j'ai encore corrigé des fautes d'édition graves, à Montréal, dans Roméo et Juliette, il y a quelques semaines ! Non seulement mal édité, pas promu par les éditeurs qui en sont les dépositaires, difficilement accessible matériellement, je pense aussi que ce répertoire est maintenant totalement méconnu de la plupart des directeurs, mais je ne veux pas leur jeter la pierre : nous avons tous, moi comme les autres, et comme disait un de mes professeurs, nos lacunes encyclopédiques ! ».

Beaucoup d'injustices sont à réparer, mais nous avons la ferme conviction que l'une d'elles sera soldée à Tours d'ici peu. Rendez-vous est pris.

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